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parce que quand le Baftiment eft fait, on le regarde feulement tel qu'il eft, fans avoir égard aux moyens difficiles dont on s'eft fervi pour le mettre en œuvre. Il eft conftant que les beaux Edifices n'ont point efté faits fans peine, ny par hazard, quelque genie & quelque experience qu'ayent eu les Architectes quiles ont élevez; & l'on a toûjours veu que ceux qui fe font éloignez des regles, bien loin de reüffir, ont perdu la reputation qu'ils avoient aquife lors qu'ils s'y eftoient foumis, l'invention ne confiftant pas dans le changement des Ordres qui font les caracteres expreffifs de la bonne Architeature, mais dans la distribution des Plans & dans la décoration des Façades, dont la variété donne assez de quoy exercer le genie, quelque fécond qu'il foit à produire des chofes extraordinaires.

Or comme la plufpart de ceux qui commencent à apprendre l'Architecture,n'en ont encore aucune teinture, j'ay crû qu'il eftoit à propos de les informer de l'excellence de cette Science, & de la conduite qu'ils doivent tenir pour arriver à fa perfection.

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La Nature, l'Art & l'Exercice font les trois moyens par lefquels l'efprit humain arrive à tout ce qu'il fe propofe de poffible.

La Nature eft la difpofition qui nous eft donnée en naiffant pour un talent, qui fe découvre par les inclinations que nous faifons paroistre au dehors: fi l'on remarque par exemple, qu'un enfant regarde baftir avec attention, qu'il faffe de petits effais pour

fe divertir, & qu'il s'y adonne fans y eftre pouffé, c'eft une marque affeurée que s'il eftoit inftruit des préceptes de l'Art, il y pourroit faire quelque progrez, c'est pourquoy ceux qui n'embraffent l'Architecture que par des raisons de famille ou d'intereft,fans inclination,deviennent rarement de grands hommes, & c'est de ce nombre que font la plufpart des ouvriers du commun. Il n'y a rien de fi beau que l'inftitution d'un Architecte felon Vitruve; & fur tout quand il luy recommande de n'eftre point adonné à l'interest, parce que les Arts font le plus fouvent mal exercez par ceux qui font contraints d'en fubfifter, puifque cette neceffité étouffe les plus belles conceptions de l'efprit, à cause de l'impofibilité qu'il y a de les pratiquer fans s'incommoder: cependant quand on a une profeffion, on y doit non feulement trouver fa fubfistance, mais encore du gain, pourveu qu'il foit fans reproche de la confcience & de fareputation.

La Nature ayant commencé, l'art doit diriger enfuite. Il confifte dans les Préceptes & dans le Deffein. Les Préceptes s'acquierent par la lecture des livres & par la converfation des fçavans & des gens d'experience; & le deffein par une application affiduë à mettre exactement fur le papier ce que l'on a imaginé tant pour fe le reprefenter à foy mefme que pour le faire connoiftre aux autres. On deffine pour apprendre, lors qu'on copie des deffeins des Maiftres ou que l'on met au net les mesures que l'on a prifes des plus excellens ouvrages; & le des

sein d'invention eft lors que l'on compofe de foymefme des Bastimens, mais il ne fuffit pas degarder fon cabinet & de ne s'attacher au deffein que par patience & fans jugement, il faut encore que l'infpection des Edifices bons & mauvais fafle le goût, de forte que les comparant les uns aux autres, on fe forme une diftinction du beau, d'avec ce qui ne l'eft pas, qu'on y remarque les manieres differentes des Architectes,comme les Peintres & les Sculpteurs diftinguent les ouvrages de ceux de leur profeffion; par exemple entre les Italiens Modernes, Bramante qui eft un des premiers a eu une maniere féche, parce que l'Architecture de fon temps ne commençoit qu'à fe renouveller, & tenoit encore de l'ignorance des derniers fiecles; au lieu que celle de Michel-Ange eft fiere & hardie par rapport à fon deffein; comme auffi entre nos François, celle de Philbert de Lorme, de Jean Bulan & de du Cerceau, eft plus mefquine que celle de Meffieurs le Mercier, Manfart & le Muet qui les ont fuivis, & ainfi des autres.

Or comme il n'y a point de païs qui renferme entierement un Art qui a tant d'étenduë, & que les nations differentes bastiffent à proportion des diverfes temperatures de l'air, le froid & le chaud obligeant à une grande distinction tant pour la forme des Edifices que pour les matieres dont on les conftruit, il faut terminer fes études par les voyages & faire des recherches curieufes qui puiffent fervir pour toûjours, afin de profiter de ces penibles en

treprises

treprises & de ne pas revenir comme on eft party. L'Italie fournit aflez de fujets à la curiofité, & au defir d'apprendre, fans aller en d'autres païs où l'Architecture n'eft pas dans la mefme perfection. C'est en cette partie de l'Europe où l'on voit les plus fuperbes monumens de la magnificence des Anciens, & particulierement à Rome qui renferme encore ce qu'il y a de plus precicux, & d'où l'on a tiré les meil leurs principes de cet Art, eftant difficile de croire que les Grecs qui ont inventé les Ordres les ayent portez à un pareil degré de perfection que les Romains, tant pour la correction, que pour la grande maniere qu'ils avoient dans leur Architecture comme dans toutes les autres chofes.

Il faut tenir dans l'examen des ouvrages Antiques& desModernes un ordre qui rende utilela peine qu'on prend à les regarder. Il les faut d'abord confiderer dans leur tout-enfemble,& remarquer fi les parties font conformes à l'ufage pour lequel on a fait le Baftiment, fielles ont relation à la Maffe de d'Edifice, & enfin fi l'harmonie & la bienfeance s'y rencontrent. Aprés il faut entrer dans le détail des parties & voir files ordres font reguliers, & que les moindres moulures & les moindres ornemens n'échappent pas fans avoir reçeu quelque coup d'œil. Il eft bon d'en mesurer quelques uns, & principalement les grandes proportions fans employer beaucoup de temps à les mettre au net; ce travail ayant efté fait avec exactitude fur les Edifices Antiques, plus que fur les Modernes par d'autres Architectes à qui l'on

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aune grande obligation de s'eftre donné cette peine; & enfuite lorfque l'imagination eft remplie de ces belles idées, on peut inventer quelque chofe pour éprouver les forces & pour voir fi l'on a fait quelque progrez. Enfin aprés que la Nature à commencé & que l'Art a conduit, l'Exercice acheve; & c'est dans la pratique que les autres parties deviennent utiles, puifque ni l'erudition,ni les difcours, ni les voya ges,ni même enfin les deffeins, quelques beaux qu'ils foient, ne fervent que de peu de chofe, fi on ne les fçait pas mettre en œuvre : c'eft cette pratique qui fait le veritable Architecte,& qui luy fait remarquer la grande difference qu'il y a entre les deffeins &louvrage: c'eft ce qui le rend maiftre de tous les autres ouvriers lorsqu'il a la connoiffance de leurs meftiers, estant neceffaire qu'il fçache juger non feulement de la Sculpture, de la Charpenterie, de la Menuiferie, & de la Serrurerie; mais auffi des prix de toutes ces chofes pour les proportionner à la depenfe qu'il a deffein de faire.Elle fait que les ouvriers ont une déference aveugle pour fes fentimens, lorfqu'ils font perfuadés qu'il fçait joindre la pratique à la theorie,&enfin avec elle on baftit & on arriveà la fin que l'on s'eft propofée. Il eft vray que les difficultés qu'il faut furmonter pour se rendre habile homme en cet Art rebutent ceux qui commencent, & leur fait fouvent abandonner la theorie pour fe jetter dans la pratique,puifqu'il eft impoffible d'y exceller fans les Mathematiques & principalement fans la Geometrie, l'Arithmetique & la Perfpective,& fans

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