Imágenes de páginas
PDF
EPUB

mes couchez dans ces trois mauvais lits que vous voyez. L'un eft un Cabaretier accufé d'avoir empoifonné un Etranger qui creva l'autre jour à table dans fon cabaret. On prétend que la qualité du vin l'a fait mourir, mais le Cabaretier foutient que c'eft la quan tité; & il fera crû en Juftice, car l'Etranger eft Allemand.

Le fecond eft un Bourgeois emprifonné pour avoir fervi de caution à un Licentié qui a emprunté deux cens pistoles pour marier brufquement fa Tervante. Et le troifiéme eft un Maître à danfer qui a fait faire un mauvais pas à une de fes Ecolieres.

Ces deux hommes qui jouent aux cartes dans la petite chambre voifine font deux enfans de famille arrétez pour des avantures galantes. Le plus jeune a été découvert déguisé en fille dans un Convent de Religieufes; & l'autre a été furpris la nuit derniere par la Juftice, comme il montoit par un balcon à l'appartement d'une femme qu'il connoît & dont le mari eft abfent. Il ne tient qu'à lui de fe tirer d'affaire en déclarant fon commerce amoureux; mais il aime mieux paffe L

pour un voleur & s'expofer à perdre la vie, que de commettre l'honneur de a Dame.

Voilà un galand bien difcret, dit Dom Cleofas. Il faut l'avouer, nôtre Nation l'emporte fur les autres en fait de galanterie. Je vais parier qu'un François, par exemple, ne feroit pas capable comme nous de fe laiffer pendre par difcretion. Non, je vous affure, dit le Diable, un François monteroit plutôt exprès à un balcon pour deshonorer une femme..1009

[ocr errors]

Jettez la vue, pourfuivit Afmodée, directement au deffous de ces deux prifonniers, & confiderez l'homme qui eft dans le cachot. On l'arréta hier & l'Inquifition le reclame, En voici Phif toire.

Un vieux Soldat parvenu par fon courage ou plutôt par fa patience à l'employ de Sergent dans fa compagnie, vint faire des recrues en cette Ville. Il alla demander un logement dans un cabaret. On lui dit qu'il y avoit des chambres vuides mais que l'on ne pouvoit lui en donner aucune, parce qu'il revenoit toutes les nuits dans la maifon un Ef

prit qui maltraitoit fort les Etrangers qui avoient la témerité d'y vouloir coucher. Cette nouvelle ne rebuta point le Sergent: Que l'on me mette, dit-il, dans la chambre qu'on voudra donnez-moy de la lumiere du vin, une pipe & du tabac, & à l'égard de l'Efprit, foyez fans inquié

tude.

On le mena dans une chambre où tout ce qu'il defiroit lui fut apporté. Il fe mit à boire & à fumer & il étoit déja plus de minuit, que l'Efprit n'avoit point encore troublé le profond filence qui regnoit dans la maifon. Mais entre une heure & deux, le Sergent entendit tout à coup un bruit horrible comme de ferrailes, & vit bien-tôt entrer dans fa chambre un phantôme vétu de drap noir & tout entortillé de chaînes de fer. Il ne fut point cotteapparition. Il tira fon épée, s'avança vers l'Elprit, & lui en déchargea du plat fur la tête un affez rude

coup.

>

eye de

L'Efprit peu accoutumé à trouver des hôtes fi hardis, fit un cri, & remarquant que le Soldat fe préparoit

L

recommencer il fe profterna trèshumblement devant lui en difant : Seigneur Sergent pour Dieu, ne m'en donnez pas davantage. Ayez pitié d'un pauvre diable qui fe jette à vos pieds. Je vous en conjure par S. Jacques qui étoit comme vous un grand Spadaffin.

[ocr errors]

Si tu veux conferver ta vie, répondit le Soldat, il faut que tu me difes qui tu es & que tu me parles fans déguisement. Je fuis le maî tre Garçon de ce cabaret, repliqua 'Efprit. J'aime la fille du logis & je ne lui déplais pas; mais comme le pere & la mere ont en vue une alliance plus relevée que la mienne, pour les obliger à me prendre pour gendre, nous fommes convenus la fille & moy que je ferois toutes les nuits le perfonnage que je fais. Je m'enveloppe le corps d'un long manteau noir, & je me pends au cou une chaine de tournebroche, avec Jaquelle je cours toute la maison, puis la cave jufqu'au grenier, en faifant tout le bruit que vous avez entendu. Quand je fuis à la porte de. J'appartement du Maître & de la Mai

de

treffe, je m'arrête & m'écrie: Nefpe rez point que je vous laisse en repos, qué vous n'ayez marié Juanna avec Guillau me vêtre maître Garçon. Après avoir prononcé ces paroles d'une voix que jaffecte groffe & caffée, je continue mon carillon, & j'entre enfuite par une feneftre dans le cabinet où Juanna couche feule pour lui rendre compte de ce que j'ay fait.

Seigneur Sergent, continua Guil laume, je ne vous déguife rien, comme vous voyez. Je fçay qu'après cet aveu vous pouvez me perdre en apprenant à mon Maître ce qui fe paffe; mais fi vous voulez me fervir au lieu de me détruire, je vous jure que ma reconnoiffance...... El quel fervice puis-je te rendre, interrompit le Soldat ? Vous n'avez, repartit Guillaume, qu'à dire demains que vous avez vû l'efprit ; qu'il vous a fait fi grand-peur.... Comment, ventrebleu, grand-peur, interrompit le Soldat! vous voulez que le Sergent Antonio Quebrantador avoue qu'il a eu peur ? Vous direz ce qu'il vous plaira, répondit le jeune homme il ne m'importe, pourvû que vous

« AnteriorContinuar »