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les bras croifez; je juge qu'il a lá tefte embaraffée. Vous n'en jugez point mal, répondit le Demon. Ceft un Auteur Drammatique, Comme il entend la Langue Françoife, il s'eft donné la peine de traduire le Mifan trope, l'une des meilleures Comedies de Moliere, fameux Auteur François. Il l'a fait reprefenter aujourd'huy fus le Theatre de Madrid, & elle a été tres mal receu. Les Efpagnols l'ont trouvée plate & ennuyeufe. C'eft cette Piece qui fait dans le Caffé le fujet de la difpute dont vous avez enten

du le bruit.

Eh pourquoy, reprit Dom Cleofas cette Comedie a-t'elle eu en Efpagne ce malheureux fort ? C'eft repartit le Diable, que les Efpagnols n'aiment que les pieces d'intrigues; de même que les François ne veulent que des Comedies de caracteres. Sur ce piedlà, repliqua l'Ecolier, fi l'on traduifoit auffi en France nos plus belles pieces, elles n'y réuffiroient pas, Sans doute, dit Afmodée. Il n'y a pas long-temps qu'un Auteur de ce pais-là en a fait la trifte experience. Comme les Efpagnols font capables d'une extrême at

tention, ils font bien-aifes qu'on les jette dans un embarras agreable. Ils fuivent fans peine l'action la plus compofée. Les François au contraire n'aiment point qu'on les occupe. Leur efprit fe plaît à fe détacher. Et ils prennent plaifir à voir tourner leur prochain en ridicule, parce que cela flatte leur humeur fatyrique. Enfin le goût des Nations eft different.

Mais quelle forte de Comedie eft la meilleure, repliqua Dom Cleofas d'une piece d'intrigues ou d'une piece de caracteres Ceft une chofe fort problematique, repartit le Diable. Il n'en faut pas croire là-deffus les Efpagnols ny les François. Puifqu'ils font parties en cette affaire, ils n'en fçauroient être juges. Je ne la dois pas juger non plus moy; parce qu'étant le démon de la luxure, je protege également tous les Theatres.

J'apperçois, continua-t'il, dans le voifinage de cet Auteur un Banquier chez qui tantôt il s'eft paffé une fcene digne de vous être racontée. Il n'y a pas deux mois qu'il eft revenu du Perou avec de grandes richeffes. Il s'eft fait Banquier en cette Ville. Son Pere

eft Savetier d'un petit Village à douze lieues d'icy, où il vit fort content de fon étát avec une femme de fon âge, c'est à dire de foixante ans.

Il y avoit un temps confiderable qu'il étoit forti de chez eux pour aller aux Indes chercher une merveilleure fortune que celle qu'ils lui pouvoient faire. Plus de vingt années s'étoient écoulées depuis qu'ils ne l'avoient vu. Ils parloient fouvent de lui. Ils prioient tous les jours le Ciel de ne le point abandonner, & ils ne manquoient pas tous les Dimanches de le faire recommander au Prône par le Curé qui étoit de leurs amis. Le Banquier de fon côté ne les avoit point oubliez; & d'abord qu'il eut fixé fon établiffement, il réfolut de s'informer par luy-même de la fituation où ils pouvoient être. Pour cet effet, aprés avoir dit à fes domeftiques de ne fe pas mettre en peine de lui, il partit il y a quinze jours à cheval fans être accompagné de perfonne, & fe rendit au Village.

Il étoit dix heures du foir, & le bon Savetier dormoit auprés de fa femme fort tranquillement, lorfqu'il

vint frapper à la porte. Ils fe reveil-. ferent & demanderent qui frappoit. Ouvrez, leur dit le Banquier; c'eft vôtre fils Francillo. A d'autres répondit le bon-homme. Paffez vôtre chemin, voleurs, il n'y a rien à farre ici pour vous. Francillo eft préfentement aux Indes, s'il n'eft pas mort. Vôtre fils n'eft plus aux Indes, repliqua le Banquier. Il eft revenu du Perou. C'eft lui qui vous parle. Ne lui refufez pas l'entrée de vôtre maifon. Levons-nous Jacques, dit alors la femme. Je croy, Dieu me pardonne, que c'eft Francillo. Il me femble que je le reconnois à fa voix.

Ils fe leverent auffi-tôt tous deux. Le Pere alluma une chandelle, & la mere aprés s'être habillée à la hâte, alla ouvrir la porte. Elle envisage Francillo, & ne pouvant douter que ce ne foit fon fils, elle fe jette à fon cou & le ferre étroitement entre fes bras. Maître Jacques agité des mêmes mouvemens que fa femme, embraffe à fon tour Francillo ; & ces trois perfonnes charmées de fe voir réunies aprés une fi longue abfence, -ne peuvent fe raffaffier du plaifir de

s'en

s'en donner des marques, Aprés des tranfports fi doux, le Banquier débrida fon cheval, & le mit dans une étable où gîtoit une vache mere nourrice de la maifon. Enfuite

il rendit compte à fes parens de fon voyage & de tous les biens qu'il avoit apportez du Perou. Ce détail fut um peu long, & auroit pû ennuyer des auditeurs defintereffez ; mais un fils qui s'épanche & raconte fes avantures ne fçauroit laffer l'attention d'un pere & d'une mere. Is l'écoutoient avec avidité, & les moindres chofes qu'il difoit faifoient fur eux une vive impreffion de douleur ou de joye.

Dés qu'il eut achevé fa relation il leur dit qu'il venoit leur offrir une partie de fes biens, & il pria fon pere de ne plus travailler. Non, mon fils, luy dit maître Jacques. J'aime mon métier. Je ne le quitteray point. Quoy donc, repliqua le Banquier, n'eft-il pas temps que vous vous repofiez? Je ne vous propofe pas de venir demeurer à Madrid avec moy. Je fçay bien que le féjour de la Ville n'auroit point de charmes pour vous. Je ne veux pas

N

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