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prit l'autre d'un air malin, à qui le dites-vous; je vous ay vû naître. Il a long-temps à la verité. Je me fouviens d'avoir vu vôtre pere. Lorsqu'il mourut, il n'étoit pas jeune; & il y a prés de quarante ans qu'il eft mort. Oh mon pere, mon pere, interrompit avec précipitation la fille irritée de la. franchife de la femme, entre nous quand mon pere époufa ma mere, étoit déja fi vieux qu'il ne pouvoit plus faire d'enfans.

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Je remarque dans une même maifon, poursuivit Afmodée, deux hommes qui ne font pas trop raifonnables. L'un eft un avanturier qui va tous les jours aux audiences des grands Seigneurs. Il eft affez fou pour croire qu'un quart d'heure aprés qu'il leur a parlé, ils fe fouviennent encore de ce qu'il leur a dit.

L'autre eft un Peintre étranger qui fait des Portraits de femmes. Il eft habile. Il peint bien. Il deffine correctement & attrape la reffemblance. Mais il ne flatte point, & il s'imagine qu'il aura la preffe. Inter ftultos referatur, Comment donc, dit l'Ecolier! Vous parlez latin à merveilles. Cela doit

il vous étonner, répondit le Diable ? parle en perfection toute forte de langues fans excepter même celle d'Athenes, que je parle mille fois mieux que certaines gens qui fe picquent aujourd'huy de la bien parler. & toutefois je n'en fuis ni plus fot ni plus vain.

Voyez dans ce grand Hôtel à main gauche, une Dame malade entourée de plufieurs femmes qui la veillent. C'eft la veuve d'un Treforier. C'eft une femme enteftée de nobleffe. Elle a fait aujourd'huy fon Teftament. Elle a des biens immenfes. Elle les don ne tousa des perfonnes de la premiere qualité. Ce n'eft pas qu'elle en foit connue. C'eft feulement à caufe de leurs grands noms. On lui a demandé fi elle ne vouloit rien laifler à un certain homme qui lui a rendu des fervices confiderables. Hélas, non, at'elle répondu ; & j'en fuis fachée. Je ne fuis pas affez ingrate pour refufer d'avoiier que je lui ay obligation; mais il eft roturier; fon nom deshonoreroit mon testament.

Seigneur Afmodée, interrompit Dom Cleofas, apprenez-moy de gra

te hice Vieillard que je vois occupé à lire dans un cabinet ne feroit point par hazard un homme à meriter d'être ici Il le meriteroit fans doute, répondit le Demon. Ce perfonnage eft un vieux Licencié qui lit une épreuve d'un Livre qu'il a fous la preffe. C'est apparemment quelque Livre de Morale ou de Theologie, dit l'Ecolier ? Non, repartit le Diable, ce font des Poefies gaillardes qu'il a compofées. Au lieu de les brûler, ou du moins de les laiffer périr avec lui, il les fait imprimer de fon vivant, de peur qu'aprés fa mort fes heritiers ne foient tentez de les mettre au jour, & que par refpect pour fon caractere, ils n'en ôtent tout le fel & l'agrément.

Je découvre dans le voilinage de ce Licencié un des meilleurs Auteurs que vous ayez. C'eft un excellent ef prit. Ses Ouvrages font pleins de fel Attique. Ils font parfemez de penfées fines & brillantes. Il y a des tours neufs; des expreffions hardies & toujours heureufes. Paffons à fon voifin. C'eft un homme... Eh n'allez pas fi vîte, interrompit avec précipitation Dom Cleofas. Vous ne dites que du

bien de cet Auteur, & vous me le montrez avec des foux. Ah, il est vray, reprit le Diable, j'oubliois fon défaut. Quand il lit fes pieces, il s'arrête à tous les endroits qui luy paroiffent mériter des applaudiffemeirs, pour lailler à fes Auditeurs le temps de lui en donner, & pour en favou→ rer lui même toute la douleur.

Regardez dans cet Hôtel à main droite ces trois perfonnes qui prennent enfemble du chocolat. L'un eft un Comte qui fe picque d'armer les belles Lettres. L'autre eft fon cousin le Licencié; & le troifiéme eft un bel efprit attaché à eux. Ils ne fe quittent prefque point. Ils vont tous trois par tout en vifite. Le Comte n'a foin que de fe louer. Son frere le loüe & feloue auffi lui-même. Mais le bel efprit eft chargé de trois foins, de les louer tous deux & de mêler fes louanges avec les leurs.

J'allois paffer une petite femme que je démêle dans une petite maifon. Elle eft fort entêtée de fon petit mérite. Elle fait une lifte de fes Amans, fur laquellle elle met generalement tous les hommes qui lui par

lent. Je vois à deux pas de là un riche Bachelier qui a une folie fort finguliere. S'il vit frugalement, cè n'eft ni par mortification, ni par fobrieté. C'est pour amafler du bien, Qu'en veut-il faire des aumônes ? non. Il en achete des tableaux, de riches meubles, des bijoux. Ce n'eft pas pour en jouir pendant fa vie : mais uniquement pour en parer fon inven

taire.

Ce que vous me dites eft outré. interrompit Dom Cleofas. Y a t'il un homme au monde de ce caracterelà? Oui, vous dis-je, reprit le Demon, il a cette manie. Il fe fait un plaifir de penfer que l'on admirera fon inventaire. A-til acheté, par exemple, un beau bureau, il le fait empacqueter promptement & ferrer dans un garde-meuble, afin qu'il paroiffe tout neuf aux yeux des frippiers qui viendront le marchander aprés la

mort.

II demeure chez ce Bachelier un Auteur qui réuffit dans un genre d'écrire fort ferieux. Il n'eft propre qu'à ce qu'il fait. Cependant il fe croit propre à tout; & il ne veut point fai

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