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« peindre le mérite de Buonaparte : beaucoup de << science, autant d'intelligence, et trop de bravoure, «< voilà une foible esquisse des vertus de ce rare offi<< cier. C'est à toi, ministre, de les consacrer à la gloire << de la République. »

On admirera chez le vieux chef cette modestie et ce volontaire effacement, et l'on regrettera l'impériale ingratitude avec laquelle Napoléon, dans le Mémorial, s'est donné tout le mérite du siège, en prétendant que Jean n'aurait reçu qu'un commandement de façade, tandis que lui, «< investi d'une mission ad hoc par le gouvernement », aurait tout fait. Non seulement nous venons de voir que Bonaparte n'avait reçu aucune investiture et simplement la suppléance d'un blessé, mais encore tous les documents officiels établissent son rôle subalterne.

Voici le témoignage des représentants en mission, Saliceti et Ricord :

« Au nom du Peuple Français, les Représentants « du Peuple envoyés par la Convention Nationale «près l'armée dirigée contre Toulon, déclarent que «<le citoyen Duteil cadet, général divisionnaire d'ar<< tillerie, a bien servi au siège de Toulon et a mérité << l'estime et l'attachement des vrais républicains. >> Et voici par contre le brevet décerné par eux à Bonaparte :

« Les Représentants du Peuple au siège de Tou«<lon, satisfaits du zèle et de l'intelligence dont le «< citoyen Buonaparte, chef de bataillon au 2o régi<< ment d'artillerie, a donné des preuves en contribuant

<< à la reddition de cette ville rebelle, l'ont récom<< pensé en le nommant général de brigade. »

Voici enfin le certificat délivré à Jean du Teil par le général en chef Dugommier, attestant que :

«< ... Ce général n'a cessé, pendant le temps qu'il «< a demeuré à l'armée, de donner des preuves de «< civisme; qu'il a parfaitement rempli ses fonctions dans « son commandement en chef d'artillerie, qu'il a démon<< tré dans toutes ses dispositions beaucoup d'intelli<< gence et de talents militaires..., et que ses services « distingués au siège de Toulon méritent la reconnaissance « nationale. »

Ainsi, Jean du Teil commandait en chef, très effectivement, l'artillerie du siège ; et Bonaparte, servant sous ses ordres, l'a bien secondé pour prendre la place. Telle est la vérité : elle ne diminue en rien le génie de Napoléon. Rendons à César ce que est à César, et disons même à sa décharge que c'est quelque vingt ans plus tard qu'il portait ce jugement oublieux contre son ancien chef. Il n'était plus alors le petit officier d'artillerie, il était l'Empereur, et il n'entendait pas qu'il manquât un seul fleuron à la couronne de ses victoires. Ces petites vanités d'amour-propre sont trop coutumières pour qu'il faille en tenir rigueur, surtout aux grands hommes qui n'échappent point aux petitesses humaines. D'ailleurs, à Sainte-Hélène, il se montra plus équitable envers le baron Jean-Pierre, en léguant cent mille francs à ses fils et petits-fils, << comme souvenir de reconnaissance pour les soins «< que ce brave général a pris de nous, lorsque nous

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<< nous étions lieutenant et capitaine sous ses ordres ». Il est vrai qu'avec lui il n'avait pas eu à partager ses premières gloires.

Pour comprendre l'ouvrage du Chevalier du Teil, il est nécessaire de connaître les nouveautés alors introduites dans notre artillerie. A l'ancienne guerre de sièges, le milieu du XVIIIe siècle avait vu succéder la guerre de mouvements, laquelle exigeait un matériel plus mobile. L'avance venait d'en être prise par la Prusse et l'Autriche qui, pour alléger leurs pièces, en avaient respectivement réduit la longueur à quatorze et seize calibres, avec cent et cent vingt livres de poids par livre de balle. Quand, en France, il s'agit d'accomplir les mêmes changements, ce fut une lutte passionnée entre la vieille et la nouvelle école, la première représentée par M. de Vallière, la seconde par M. de Gribeauval. Elles eurent leurs champions jusqu'à l'Académie des Sciences: Buffon du côté des anciens, Bezout du côté des modernes. Ceux-ci, après 35 ans, ne parvinrent à triompher que sous le comte de Saint-Germain qui, appelé au ministère par le conseil de Turgot en raison de son esprit hardi et novateur, mit Gribeauval à la tête de la direction de l'artillerie.

Le chevalier Jean du Teil s'était montré, avec Tronson du Coudray, un des plus ardents promoteurs des réformes, et c'est pour les soutenir qu'il écrivit son mémoire présenté à la Société des Arts et des Sciences de Metz, examiné par une commission spė

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ciale, jugé digne de l'impression, et publié sous son privilège. Le livre à peine paru fit grand bruit. SaintAuban, l'ancien inspecteur général évincé par Gribeauval, se répandit aussitôt en critiques acerbes dans le Journal des Savants contre l'auteur et l'Académie messine. Et l'on conçoit son âpreté, car c'était une véritable révolution dans la tactique. On en jugera par l'exposé si clair et si logique du chevalier du

Teil.

Faire du canon non plus une arme indépendante et isolée, mais susceptible de suivre partout l'infanterie, d'être au besoin traînée à bras, de se mettre rapidement en place opportune, et d'exécuter des feux même en battant en retraite, voilà le programme dès les premiers mots :

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« S'il est vrai, comme on n'en sauroit douter, que «<le destin des places dépende presque toujours de << celui des combats, qu'elles ne soient que des accessoires, que le système de la guerre enfin soit changé << et qu'il consiste à avoir des armées bien constituées, << mobiles et manouvrières, il faut de toute nécessité << que l'artillerie participe à ces grands changemens. » Il faut donc désormais qu'elle puisse « franchir les « ruisseaux, les fossés, les ravins, avec la même faci« lité qu'une petite troupe de cavalerie, et canonner << en marchant aussi vite que l'Infanterie qui se retire « au pas redoublé », car il doit y avoir une étroite liaison entre toutes les troupes ; et l'artillerie, « devant << combattre avec elles, il l'a fallu mettre en état de « les suivre et de ne les abandonner jamais. »>>

Il semble en lisant ces pages où l'auteur « se dis<< pense d'entrer dans des détails qui tiennent au « méchanisme de l'Artillerie et sont absolument du << ressort des officiers du Corps Royal » pour s'adresser seulement aux officiers de ligne et leur montrer l'étroite coopération des deux armes, il semble que certaines eussent pu s'écrire hier, au lendemain de la grande guerre. Elles établissent, comme le remarque justement le général Mangin, les principes de la concentration des efforts, et la préparation des attaques où, quand le canon a déterminé le moment précis de l'action, « la victoire ne dépend plus que de la « valeur des troupes ». Elles font prévoir la tactique napoléonienne qui est restée, en définitive, avec des masses décuplées, celle de toutes les armées modernes.

Aussi, doit-on remercier Mme la baronne Joseph du Teil de les avoir fait réimprimer comme une utile contribution à l'histoire de notre artillerie. Déjà le baron Joseph du Teil son époux, artilleur comme ses ancêtres, mort en 1918 pour la France après avoir repris pour elle un service dont son âge le dégageait, avait magistralement exposé les choses que nous venons de résumer dans un livre plein de faits : Une Famille militaire au XVIIIe siècle; et la dernière partie avait même fait l'objet d'un volume à part : Napoléon et les Généraux du Teil. Mais ces deux ouvrages sont également introuvables, et nous ne saurions y renvoyer. Madame J. du Teil, en associant des mémoires inséparables, a voulu que le livre du

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