OBSERVATIONS CRITIQUES Sur les Régles de la Verfification Françoife, qui font à la fin de la Méthode de Port-Royal. CHAPITRE PREMIER. ARTICLE PREMIER. De la ftructure des Vers François. Os Vers ne confiftent << qu'en deux chofes, dit D. « Lancelot, en la ftructure, & en la rime : la ftructure ne con fifte qu'en un certain nombre de « fillabes, & non pas en piès com- « pofez de fillabes longues & bré. « ves, comme les Vers des Grecs « & des Latins. 56 A OBSERVATIONS. > Il ne dit point ce que c'eft que Structure. Or Structure n'est rien autre chofe ici, que la conftruction l'ordre, & l'arrangement des mots propres à la compofition de chaque Vers. Nous difons des mots propres ; car, comme a dit feu M. Dépréaux dans fon Art Poétique: En vain vous me frappez d'un fon melodieux, J) Ni d'un Vers empoulé l'orgueilleux Solécisme. Il devoit auffi expliquer ce que c'eft qu'une fillabe, ce que c'eft qu'un pié par rapport à notre Verfification. La fillabe n'eft autre chofe qu'un fon complet, qui eft quelquefois mais compofé d'une feule lettre, pour l'ordinaire de plufieurs. Exemple, Allié. Ces deux prémieres lettres, Al, forment une fillabe, les deux fuivantes, li, forment une autre fillabe, & la derniere qui eft ě, & qui termine le mot, fait auffi toute feule encore une fillabe, parcequ'elle forme toute feule un fon complet, Al·li-é: 2. Le pié eft compofé de deux fillabes; ainfi dans le mot allié, qui eft de trois fillabes, il y aura un pié & demi. Au refte, cet article eft bon & d'u. fage. On peut le lire, & en profiter. je fuis affez de l'avis de l'Auteur, fur ce qu'il dit, que la ftructure de nos Vers, ne confifte qu'en un certain nombre de fillabes, & non pas en pies compofez de fillabes longues & bréves, comme les Vers des Grecs & des Romains Mais il ajoûte, que ceux qui ont voulu faire des Vers François, avec des piés qu'ils ont appelle des Vers inefurez, ont fait voir qu'ils n'avoient pas affez compris ce que porte le génie de notre langue chaque langue ayant fes differentes beautez, ce qui eft agréable en l'une, eft fouvent très-défagréable en l'autre. Ainsi, dit-il, quoique les Vers Saphiques foient très-beaux en Latin, je ne fçai pas quelle grace on peut trouver en ceux que M. Defportes a voulu faire de mème méfure, OBSERVATION. 1 Il eft aifé de voir que D. Lancelot, qui d'ailleurs étoit un très- habile homme, n'étoit cependant en effet que médiocrement Poéte François, & qu'il n'a jamais fenti la beauté que peuvent avoir en notre Langue ces fortes de Vers, qui pour étre méfurez fur les Latins, n'ont pas néanmoins, comme les Vers Latins, des piés compofez de fillabes longues & bréves, ainfi qu'il fe l'eft apparemment imaginé, mais bien des piés compofez chacun de deux fillabes, comme les autres Vers François. Pour appuyer fon fentiment, il apporte un exemple de Vers Saphiques, qui eft de Defportes, que voi ci: Sile Tout-puiffant n'établit la maison, Vous veillez fans fruit la Cité défendant, On ne pouvoit guéres à la verité choifir une plus affreuse strophe : mais cela ne prouve pas qu'on ne puiffe faire de fort bons Vers Saphiques en François. Car il faut remarquer que les rimes feminines que l'on croife avec les mafculines, ne font pas de l'effence du Vers, & qu'on en peut faire de très-bons dont tou tes les rimes ne foient que mafculi. nes. Par exemple, M. Corneille a crû pouvoir hazarder ce Quatrain, & il a plû à tout le monde in Qu'on parle bien ou mal du fameux Cardinal," Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal; Mais pour revenir aux Vers Saphiques en François, en voici un exemple, dont les rimes feminines font croifées avec les masculines, & ils font eftimez. Ces Vers font de la compofition de feu M. Louis Henry Brienne de Lomenie, qu'on peut |