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étrangers, le vicomte de Turenne et lui-même. Mais tout conteur, pour être mieux écouté, doit dire : « J'étais là, telle chose m'advint. » Retz n'y manque pas, et son récit est si naturel et si attachant que nous en serions encore à l'en croire sur parole, sans le contrôle inattendu qui lui donne, après tant d'années, un démenti authentique 1. Tous ces divers mérites d'écrivain original, de penseur profond, de peintre au ferme dessin, au coloris vif et net, font des Mémoires du cardinal de Retz, un des modèles du genre, bien supérieur aux confidences de La Rochefoucauld, de la duchesse de Nemours, de Mademoiselle, fille de Gaston, et de madame de Motteville, quoique ces ingénieux chroniqueurs de la Fronde soient encore de rares esprits, dignes de ne pas être oubliés, puisqu'on n'a pas cessé d'interroger leur témoignage et que leurs écrits sur cette curieuse époque de notre histoire se font toujours lire avec intérêt.

1 On lit, en effet, dans les Historiettes de Tallemant des Réaux (Historiette de Voiture, t. IV, p. 52, édition de 1840): « Madame de Lesdiguières conta leur frayeur au coadjuteur, depuis cardinal de Retz: « Dans huit jours, lui dit-il, j'en «< saurai la vérité. » Le coadjuteur, comme il l'avait promis, découvrit la vérité, et pour se payer de sa peine, il s'est donné le principal rôle dans une aventure où il n'avait pas eu la moindre part.

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CHAPITRE III

Importance de son rôle.

Satires. Art poé

Poëtes dont il n'a pas goûté le mérite. Brébeuf.

Quinault.

tragédies.

les genres.

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Force et souplesse de son génie propre à tous

Louis XIV avait inspiré le génie de Molière et discrètement encouragé ses hardiesses; il avait laissé faire La Fontaine, qui ne demandait pas autre chose et qui aimait mieux penser à l'écart et « parler de loin que de se taire ; » il protégea ouvertement deux utres poëtes de génie, Boileau et Racine: il les admit à sa cour; il leur confia le soin de sa renommée en les chargeant d'écrire l'histoire de son règne; il parut même les aimer, et cette tendresse du grand roi avait tant de prix à leurs yeux que l'un d'eux mourut de la pensée de l'avoir perdue. Illusion touchante et cruelle, méprise d'une âme délicate et fière qui sentit trop tard, à l'épreuve d'un mot blessant, ce que recouvrait d'orgueil et de sécheresse la familiarité royale! Lorsque ce rêve détruit avança la mort de Racine, bien d'autres étaient déjà désabusés : des milliers de Français payaient de l'exil leur constance dans une foi qui n'était pas conforme à celle du prince, et le reste de la France écrasée d'impôts, décimée sur les champs de bataille, pouvait enfin comprendre

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que son chef ne cherchait plus dans l'intérêt de tous la gloire et les conquêtes. Mais n'anticipons point sur ces tristes découvertes.

Boileau et Racine, qui étaient entrés dans la vie presque en même temps que le roi, se sentirent tous deux poëtes au moment même où celui-ci, délivré d'une longue tutelle par la mort de Mazarin, saisissait d'une main ferme le gouvernement du royaume; tous deux furent échauffés de l'ardeur qui transporta toutes les âmes à l'avénement réel de Louis XIV. Racine oublia les sévères conseils qu'il avait reçus de Port-Royal et se tourna vers le théâtre; Boileau secoua la poussière du greffe paternel, et n'ayant emporté de ses études diverses que « la haine des sots livres » et l'animosité contre ceux qui les font, il s'arma contre eux « du fouet de la satire. » Toutefois, pendant cette guerre contre les mauvais auteurs, il s'associait par instants à l'enthousiasme public par des éloges qui venant d'un satirique n'en chatouillaient que plus agréablement l'amour-propre. Louis XIV voulut bientôt connaître ce jeune homme si vif dans ses critiques contre les autres, si adroit, si délicat et si sincère dans les éloges qu'il lui adressait. Boileau plut au roi, car sa rudesse n'avait rien de farouche, sa franchise rien de blessant, et d'ailleurs, en faisant la police dans la république des lettres, il avait travaillé pour sa part à l'ordre général. Colbert, de son côté, malgré son faible pour Chapelain, qui avait eu, grâce à lui, la feuille des bénéfices littéraires, aima le courage et le bon sens du jeune poëte, que son âge avait préservé des avances de Fouquet; de sorte

qu'en attendant la faveur, qui ne tarda guère à venir le trouver, Boileau put sans entraves donner cours à son humeur satirique. Patru l'y conviait, et, disonsle, il avait été devancé par deux hommes d'esprit, Linière et Furetière, que leur conduite a déconsidérés, mais qui n'en avaient pas moins ouvert le feu 1.

La campagne que Boileau a si bien menee contre les rimeurs de son temps n'était pas une boutade de colère, un simple caprice de l'esprit : c'était une entreprise utile et courageuse; elle était nécessaire pour réprimer de tristes écarts. Nous n'avons pas oublié qu'à ce moment Chapelain était encore le roi des auteurs, et que l'invasion espagnole et italienne, contenue quelque temps par Malherbe, avait de nouveau repris son cours. Le mauvais goût trouvait partout faveur dans la chaire chrétienne, où Mascaron, jeune encore, lui payait un large tribut; au théâtre, où Scarron balançait Molière, et Scudery, Corneille; dans la poésie badine, où le burlesque introduisait la caricature; dans les romans, qui se jouaient de la passion et de l'histoire; dans l'épopée, que ridiculisaient les grands avortements des Chapelain, des Scudery, des Coras et des Saint-Sorlin. Il fallait déblayer le terrain au profit des hommes de génie et des véritables beaux esprits dont l'heure était venue; il fallait préparer le siècle à priser dignement Molière,

1 Cette remarque est de M. Marcou : « Les Linière, les Furetière, enfants perdus de la bonne cause, préparèrent, par leurs escarmouches, le grand combat que conduisit Boileau. » Élude sur Pellisson, p. 146.

Racine, Bossuet, madame de La Fayette. Ce fut le rôle de Boileau; au nom du goût, il se fit le justicier et comme le grand prévôt de la littérature. Ce généreux dessein lui gagna tout d'abord l'amitié de Racine, dont il fut le guide utile et sévère; de La Fontaine, qu'il défendit contre les partisans d'un autre imitateur de l'Arioste; de Molière, qui vit en lui un puissant auxiliaire pour le redressement des travers sociaux.

Boileau, dans la satire, n'a pas la véhémente indignation de Juvenal; il n'a ni tout le sel ni toute la grâce d'Horace; il n'a pas la vigueur ni l'aimable ponchalance de Regnier : mais en retour il ne pousse pas l'hyperbole aussi loin que Juvénal, et, en peignant le vice, il ne laisse pas soupçonner qu'il soit atteint lui-même et gangrené par la corruption contre laquelle il s'indigne; il ne tend pas comme Horace à faire prévaloir les doctrines d'un épicurisme commode, plus dangereux encore par l'élégance qui le décore; il n'a pas comme Regnier cette sorte de cynisme candide qui, à la vérité, ne démoralise pas, mais qui effarouche la délicatesse de l'âme. En un mot, pour la pureté morale, il est supérieur à ses devanciers; comme poëte, une seule satire exceptée, il doit peut-être leur céder le pas.

Il est inutile et il serait fastidieux de juger ici isolément chacune des satires de Boileau. Ses premiers essais dans ce genre sont d'un disciple des anciens qui peut devenir maître à son tour, mais qui ne l'est pas encore. Déjà cependant abondent les vers heureux, ces vers qui frappent d'abord et qu'on n'ou

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