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Cleomedon, mes desirs sont contens,
Je trouve beau le désert où j'habite,

Et connoy bien qu'il faut céder au tems,
Fuïr l'éclat, et devenir ermite;

Je suis heureux de vieillir sans employ,
De me cacher, de vivre tout à moy,
D'avoir dompté la crainte et l'esperance;

Et si le ciel qui me traite si bien
Avoit pitié de vous, et de la France,
Vostre bonheur seroit égal au mien1.

On voit déjà que Maynard n'est pas un rimeur vulgaire. Il n'a pas toujours échoué dans l'ode et il a souvent réussi dans l'épigramme; malheureusement sur les traces de Martial, de Marot et de Saint-Gelais, il a trouvé trop souvent l'assaisonnement de ces petits poëmes dans la licence, et c'est peut-être à ce mauvais emploi de son esprit, plus qu'à l'injustice de la cour, qu'il doit les mécomptes dont il se plaint. Ces pièces, qui lui ont donné accès au Parnasse satirique, où il a place à côté de Regnier, Motin, Théophile, et de tant d'autres beaux esprits libertins, devaient lui fermer l'entrée aux honneurs. Le siècle et les grands n'ont pas toujours tort contre les poëtes. Si Maynard n'avait jamais compromis sa muse, on pourrait prendre son parti contre les rigueurs qui l'ont frappé. En effet, quels reproches aurions-nous à lui faire si sa pensée avait toujours été grave et noble comme dans ces vers dignes de Malherbe :

1 OEuvres de Maynard, p. 31.

Le temps amenera la fin de toutes choses,
Et ce beau ciel, ce lambris azuré,

Ce theatre où l'aurore espanche tant de roses,
Sera bruslé des feux dont il est esclairé.

L'air ne formera plus ni gresles, ni tonnerres;
Et l'univers qui dans son large tour

Voit courir tant de mers, et fleurir tant de terres,
Sans sçavoir où tomber, tombera quelque jour1.

Citons encore pour la noblesse et la vigueur la fin d'un sonnet qu'on n'a pas remarqué et qui pourrait bien être le chef-d'œuvre du genre. Maynard y <«< noircit du nom de tyrans » César et Pompée, puisque le beau-père et le gendre voulaient l'un et l'autre l'asservissement de Rome :

Si Jules fust tombé, l'autre, après sa victoire,
Par un nouveau triomphe eust abaissé ta gloire,
Et forcé tes consuls d'accompagner son char.
Je les blasme tous deux d'avoir tiré l'espée,
Bien que le ciel ayt pris le parti de Cesar,

Et que Caton soit mort dans celuy de Pompée".

Voilà certes un beau commentaire du vers de Lucain :

Victrix causa diis placuit sed victa Catoni 3.

Dans le genre badin, nous ne lui savons pas mauvais gré d'épigrammes telles que celle-ci contre ce

1 OEuvres de Maynard, p. 299.

Ibid., p. 262.

Pharsale, ch. 1, v. 128.

maître si rude aux valets qui osaient lui demander

leurs gages:

Maistre ingrat, débiteur sans foy,

Qui défends qu'on parle chez toy

De payement et de salaire,
Ne te laisse jamais flechir :

Le revenu de ta colere

Est capable de t'enrichir 1.

Nous lui passons encore d'avoir dit d'une coquette :

Le visage qui l'embellit

Demeure dessous la toilette
Et n'entre jamais dans son lit;

et de la cour :

C'est où l'on est payé de vent;
C'est où l'on rebute les sages;
Et c'est où l'on trouve souvent
Plus de masques que de visages 2.

Rien ne défend à l'homme d'esprit d'aiguiser finement ses traits piquants contre les ridicules nous lui défendons seulement de blesser la pudeur et d'offenser les oreilles chastes.

C'est pour avoir manqué à ce devoir d'honneur qu'un homme de talent et de courage, Théophile Viaud, eut à disputer à la justice de son pays une vie qu'il aurait pu employer à sa gloire. Le goût des plaisirs sensuels assaisonnés des licences de l'es

Euvres de Maynard, p. 60.
Abid., p. 255.

prit avait placé Théophile à la tête d'une ligue de jeunes seigneurs dont les mœurs et les propos alarmaient les directeurs de la conscience royale. La cour se partageait entre ces épicuriens, qui se permettaient beaucoup, et les censeurs, qui voulaient les ranger à l'ordre le roi Louis XIII, encore adolescent, pouvait céder aux entraînements de l'âge et donner gain de cause aux brillants disciples et protecteurs du poëte, les Liancourt, les Montmorency. Il y avait rivalité d'influence, et c'est ce qui explique l'ardeur des poursuites dont Théophile fut l'objet, et qui amenèrent au moins son effigie en place de Grève, pour y être brûlée. On avait, en effet, à son intention,

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Bandé les ressorts

De la noire et forte machine
Dont le souple et le vaste corps

Estend ses bras jusqu'à la Chine1.

Théophile avait contre lui le père Voisin pour l'intrigue, le père Garasse pour l'injure; et comme il a été perfidement enlacé, et injurié à outrance, on se prend à le plaindre, on est même tenté de l'absoudre. Sans doute Théophile a été surtout coupable du prestige de son esprit et du crédit qu'il lui donnait à la cour; mais, malgré l'habileté de sa défense, qui renversa le bûcher où il devait monter, qui lui rendit même la liberté, il n'a pour nous qu'une innocence légale. Ses persécuteurs sont odieux, parce qu'ils ont passé toutes les bornes et dans leurs imputations et

1 Les Œuvres de Théophile, divisées en trois parties. Paris, 1636. 5e partie, Requête au Roy, p. 171.

dans le châtiment qu'ils réclamaient; et toutefois il est clair que ce n'est pas à titre purement gratuit qu'il a été mis en cause.

Nous n'avons pas à entrer dans les détails de ce procès, qui montre au moins à quel point Théophile paraissait dangereux, et combien il importait à ses adversaires de se débarrasser de sa présence. Etait-il le coryphée des incrédules qui s'étaient étrangement multipliés à la suite des guerres de religion? Il s'en est défendu à grands renforts d'arguments; il a même abjuré publiquement le protestantisme; il a traduit le Phédon en témoignage de croyance à l'immortalité de l'âme; il est encore vrai qu'il n'a pas personnellement publié le Parnasse satirique, mis à sa charge; mais ces démarches et cette abstention ne seraient-elles pas des ruses de guerre ? Quoi qu'il en soit, la nécessité de se défendre donna l'essor au talent de Théophile, qui écrivit du fond de sa prison, comme apologie, divers mémoires où il se montre habile dialecticien et prosateur excellent. Il enseigne aux avocats de son temps comment il faut discuter; et, dans une cause personnelle et pleine de difficultés, il devance Beaumarchais par la netteté du langage, par la force des arguments, par le mélange adroit des raisons sérieuses et de la piquante raillerie. En sortant de prison, il lance à Balzac, qui devait au moins se taire quand il y allait de la vie et de l'honneur d'un ancien ami, une lettre cruelle, d'un style nerveux et dont les traits acérés blessent jusqu'au sang; jamais l'amitié trahie et indignée ne s'est vengée avec plus d'amertume et d'éloquence. Ces divers

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