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morceaux, écrits avant la mort de Malherbe et au temps même des débuts de Balzac, assignent à Théophile un rang élevé parmi nos prosateurs.

Comme poëte, Théophile s'est trop pressé de produire pour n'avoir pas avorté. Sa tragédie de Pyrame et Thisbé serait complétement oubliée, si Boileau n'en eût tiré malicieusement l'apostrophe de l'héroïne au poignard de Pyrame :

Ah! voicy le poignard qui du sang de son maistre

S'est souillé laschement! Il en rougit, le traistre 1!

A laquelle il convient d'ajouter celle-ci pour prouver que la première n'est pas unique :

Conseillers inhumains, peres sans amitié,
Voyez comme ce mur est fendu de pitié2.

On ne pouvait pas faire plus mal à propos de plus mauvaises pointes. Cette tragédie, à tirades et à monologues, faite sur le modèle de celles qu'improvisait alors Alexandre Hardy, continuateur de Jodelle et de Garnier, est mauvaise de tout point, et fournirait bien d'autres exemples de mauvais goût; l'hyperbole espagnole et le concetti de l'Italie qui s'y détachent sur un fond trivial ne la gardent pas d'être insipide. Théophile subissait à regret la contrainte que lui imposait une œuvre de longue haleine :

Autrefois quand mes vers ont animé la scène,

L'ordre où j'étois contrainct m'a fait bien de la peine;

1Œuvres de Théophile, 2o partie; Pyrame et Thisbé, acte V, sc. II, p. 164.

2 Ibid., act. II, sc. 1, p. 126.

Ce travail importun m'a longtemps martyré

Mais enfin, grâce aux dieux, je m'en suis retiré 1.

Il disait encore :

La reigle me desplaist, j'escris confusement
Jamais un bon esprit ne fait rien qu'aisement 2.

Nous avons l'aveu du coupable et le secret de sa fécondité trop souvent stérile. Ces poëtes qui méprisent l'art et qui dédaignent le travail dissipent souvent en œuvres éphémères de riches facultés. Théophile n'a pas essayé, à la suite de Ronsard, de contrefaire l'antiquité : en cela, on ne saurait le blâmer; mais il a eu tort de ne pas se laisser guider par Malherbe, puisqu'il reconnaissait que ce réformateur de la poésie << nous avait appris le français, » et qu'il lisait dans ses vers « l'immortalité de sa vie ». Il disait encore:

J'aime sa renommée et non pas sa leçon3;

et il ne comprit pas qu'il aurait fallu écouter la leçon pour avoir part à la renommée. Théophile s'est gâté par nonchalance et par indépendance. On le regrette, parce que la nature, qu'il ne seconda pas, l'avait doué merveilleusement. Il est facile de le reconnaître au tour aisé de ses poésies légères, à la clarté de son langage, au relief et à la netteté de quelques expressions. Ce qui manque, c'est le choix, c'est la connaissance du « pouvoir d'un mot mis en sa place

1 Euvres de Théophile, 1re partie, p. 241

8 Ibid.

Ibid., p. 258.

enseigné par Malherbe. Et cependant cette muse négligée qui refuse de se réduire « aux règles du devoir » a souvent encore d'heureuses rencontres. Ne reconnaît-on pas le poëte dans cette peinture des rochers qui bordent l'Océan?

Ici des rochers blanchissants,
Du choc des vagues gemissants,
Herissent leurs masses cornues
Contre la colere des airs,

Et presentent leurs testes nues
A la menace des esclairs 1.

Et Malherbe lui-même n'aurait-il pas avoué ces deux strophes qui commencent une ode adressée à Louis XIII?

Celui qui lance le tonnerre,
Qui gouverne les elements,
Et meut avec des tremblements

La grande masse de la terre :

Dieu qui vous mit le sceptre en main,
Qui vous le peut oster demain,

Lui qui vous preste sa lumiere

Et qui, malgré vos fleurs de lys,
Un jour fera de la poussiere
De vos membres ensevelis;

Ce grand Dieu qui fit les abymes
Dans le centre de l'univers,
Et qui les tient toujours ouverts
A la punition des crimes,
Veut aussi que les innocents

A l'ombre de ses bras puissants

Théophile, 1re partie, p. 196.

Trouvent un assuré refuge;

Et ne sera point irrité

Que vous tarissiez le deluge

Des maux où vous m'avez jeté 1.

Voilà, pour un poëte accusé d'athéisme, des sentiments bien relevés! On croit, au début, entendre gronder la voix imposante d'un Bossuet. Et de plus, pour un rimeur qui n'aime pas à se contraindre, ces vers ne paraissent-ils pas d'une facture bien savante? Mais Théophile était en prison, il était opprimé, et dès lors son âme s'élève avec confiance vers la source de toute justice, et, de plus, les loisirs ne lui manquant pas pour penser sa parole et pour parler sa pensée, il a médité, et la méditation fait de l'im provisateur un poëte véritable. C'est la leçon que nous voulions dégager de cette rapide étude sur Théophile, dont la brillante et trop souvent déplorable facilité a séduit parmi ses contemporains des esprits de même trempe. Ainsi Scudery, qui l'appelle avec emphase le grand divin Théophile, a cédé, comme lui, à la fougue d'un talent naturel que la méditation pouvait féconder, que la règle aurait discipliné, et qui, faute de nourriture et de méthode, s'est dissipé follement. Théophile balança par ses succès éphémères en poésie la gloire de Malherbe : comme prosateur, il aurait pu accomplir avec plus de mesure l'œuvre de Balzac; mais sa vie mal conduite et son talent mal employé n'ont laissé dans l'histoire des mœurs et des lettres qu'un souvenir

Théophile, 1re partie, p. 141.

equivoque. Malherbe, dont il a dédaigne les leçons, l'efface complétement; et Balzac, dont il a raillé le talent et décrié le caractère, fut pour son siècle un personnage considérable et un écrivain supérieur.

Théophile par les déréglements de sa vie, les témérités de sa pensée et les caprices de son esprit, représente assez bien la période d'agitation et de licence où il vécut et qui sépare la mort de Henri IV de l'avènement de Richelieu. La régence de Marie de Médicis et les premières années de la majorité de Louis XIII furent fécondes en troubles et en scandales. Le respect de l'autorité, la discipline que Henri IV et Malherbe avaient pu maintenir, chacun dans son domaine, firent place au relâchement et à la turbulence. Les régences sont toujours de périlleuses épreuves. Cette fois encore l'influence des étrangers fut fatale aux lettres, aux mœurs, à l'administration. Pour revenir à l'ordre dans les lettres comme dans l'État, aux grands desseins qui affermissent les empires, aux grandes œuvres qui honorent l'esprit humain, il faudra qu'un homme de génie renoue la chaîne interrompue. A des ministres tels que les premiers favoris de Louis XIII suffisent des poëtes tels que Théophile; à côté de Richelieu nous verrons le grand Corneille.

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