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précis les qualités d'un écrivain supérieur, lorsqu'on sait que la parole de Louis XIV avait le même caractère de noblesse et de naturel. Sur ce point nous avons un témoignage qu'on ne récusera pas : c'est celui de madame de Caylus, qui ne fut pas toujours en faveur à la cour, qui « avait de quoi être méchante, >> comme elle l'a prouvé dans ses piquants Souvenirs, et qui, de plus, est parfaitement compétente sur la beauté du langage. Voici comment elle juge Louis XIV: « Le roi parlait parfaitement bien. II pensait juste, s'exprimait noblement, et ses réponses les moins préparées renfermaient en peu de mots tout ce qu'il y avait de mieux à dire selon les temps, les choses et les personnes; jamais pressé de parler, il examinait, il pénétrait les caractères et les pensées; mais comme il était sage et qu'il savait combien les paroles des rois sont pesées, il renfermait souvent en lui-même ce que sa pénétration lui avait fait découvrir. S'il était question de parler d'affaires importantes, on voyait les plus habiles et les plus éclairés étonnés de ses connaissances, persuadés qu'il en savait plus qu'eux et charmés de la manière dont il s'exprimait. C'est bien là l'effet que produisent sur le lecteur les écrits de Louis XIV, de sorte que madame de Caylus dépose, sans y songer, en faveur de leur authenticité.

Louis XIV n'avait ni un esprit vulgaire, ni une âme commune. Le principe de ses erreurs et de ses fautes a été l'éblouissement inévitable d'un homme qui, placé au-dessus de tout, devient le centre de tout. Il nous a décrit lui-même dans son beau langage les

enchantements et par conséquent les périls de ce poste suprême « Tous les yeux, dit-il, sont attachés sur lui seul, et c'est à lui seul que s'adressent tous les yeux; lui seul reçoit tous les respects; lui seul est l'objet de toutes les espérances. On ne poursuit, on n'attend, on ne fait rien que par lui seul; on regarde ses bonnes grâces comme la source de tous les biens; on ne croit s'élever qu'à mesure qu'on s'approche de sa personne ou de son estime. » Comment à cette hauteur et parmi tant d'hommages se défendre du vertige et de l'enivrement? La fortune de Louis XIV eut de cruels retours; mais puisque nous aurons à dire quels furent ses torts et ses fautes, nous devons, pour être justes, reconnaître, avec un bon juge de la grandeur morale, que son âme fut à l'épreuve des revers: « Je ne sache rien, dit Montesquieu, de si magnanime que la résolution que prit un monarque qui a régné de nos jours de s'ensevelir plutôt sous les débris du trône que d'accepter des propositions qu'un roi ne doit pas entendre. Il avait l'âme trop fière pour descendre plus bas que ses malheurs ne l'avaient mis; et il savait bien que le courage peut raffermir une couronne, et que l'infamie ne le fait jamais 1.

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1 Grandeur et décadence des Romains, ch. v, p. 53, édit. Ducrocq, 1 vol. in-8°, 1852,

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Lorsque Louis XIV mourut, la France avait passe depuis longtemps de l'enivrement à l'ennui, la plus insupportable des maladies pour les peuples comme pour les individus. Aussi la fin de ce long regne futelle saluée comme une délivrance, et le peuple, toujours extrême dans la manifestation de ses sentiments, témoigna une joie insultante, prodigue en outrages, sur le cercueil du prince qu'il avait encouragé lui-même à abuser de son pouvoir, d'abord par l'ivresse de son dévouement, et plus tard par une soumission d'esclave. La cour imita le peuple, le parlement suivit la cour, et toute cette grandeur dont on avait fini par ne plus sentir que le poids s'é

tait évanouie, lorsque devant la tombe à peine fermée du monarque Massillon fit entendre cette parole de vérité : « Dieu seul est grand, mes frères1. » Mais Louis XIV, sur la foi de son siècle, s'était divinisé; il n'avait vu, il n'avait adoré que lui-même, et le dénoûment faisait voir par un nouvel exemple combien sont impies, chimériques et funestes ces apothéoses humaines. Au terme de sa trop longue carrière, ce roi absolu avait affaibli tout ce qu'il avait prétendu fortifier. Son autorité sans limites, en perdant son prestige, avait fomenté et comme autorisé l'esprit d'indépendance; son ambition de conquêtes, ce besoin de s'agrandir et de frapper de grands coups, amenèrent de tels revers, que l'indépendance et l'unité même de la nation furent mises en péril; sa dévotion étroite, formaliste, impérieuse, avait tourné contre la religion la fierté indocile de ces âmes qui ne se croient pas nées pour céder à la violence et qui s'indignent contre l'hypocrisie; la morale qu'il s'était faite à son usage en affichant royalement l'adultère, dont il osait légitimer les fruits, avait, non sans scandale, relâché les liens de la famille; enfin les caprices hautains de son orgueil et de son intolérance avaient travaillé, sous la compression, au développement des principes hostiles qui allaient se déchaîner. Les hommes qui auraient tenté et qui étaient peut-être dignes de conjurer cette éruption n'ayant pas été mis à l'épreuve, on se demande vai

1 Oraison funèbre de Louis le Grand. Cette phrase est le début même du discours.

nement ce qu'auraient été l'autorité royale et l'influence religieuse, si Fénelon et le duc de Bourgogne eussent été appelés à recueillir l'héritage de Louis XIV et de Chamillart, si la piété sincère, le dévouement à la chose publique, le désir de réformer les mœurs et l'administration avaient été, au commencement du dix-huitième siècle, les ressorts du gouvernement. Pour ce règne en espérance, cruellement détourné par la mort, il n'y a de place que dans les conjectures et les regrets. L'histoire et la réalité nous donnent la régence de Philippe d'Orléans, le ministère du cardinal Dubois, et le règne de Louis XV. C'est assez dire que, dans l'avilissement et l'incurie du pouvoir, la licence des mœurs et la hardiesse des idées vont se donner carrière, que la ruine des institutions anciennes et l'ébranlement des croyances ne peuvent être prévenues, et qu'une révolution est inévitable.

Notre tâche est de suivre rapidement dans cette mêlée le mouvement des esprits, et de crayonner au passage les principales figures qui doivent arrêter le regard; nous avons heureusement d'excellents guides, puisque M. Villemain a tracé de cette époque un tableau complet si ferme de dessin, si riche de couleurs, et que M. de Barante et M. Jay en ont donné des esquisses fidèles et durables'. Avant d'arri

1 Tableau de la Littérature française au dix-huitième siècle, par M. Villemain, 4 vol. in-8°. De la Littérature française pendant le dix-huitième siècle, par M. de Barante, 1 vol. in-8o. Discours sur la Littérature au dix-huitième siècle, par M. Jay, couronné par l'Académie. Voir aussi sur cette mémorable époque les études du pasteur Vinet, de Lausanne,

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