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en histoire, les représailles de l'âge suivant; de l'autre, le principe de la tolérance se produisant par contre-coup, et sous forme de protestation, en face de la révocation de l'édit de Nantes. Telles sont les deux idées qui dominent tout le scepticisme de Bayle: l'une est le moyen, l'autre la fin 1. » Ainsi, l'arsenal étant prêt et le combat déjà engagé, les philosophes du dix-huitième siècle eurent moins à détruire les anciennes doctrines qu'à en proposer de nouvelles.

1 Étude sur Bayle, 1 vol. in-8°, 1855, p. 1 de la préface. Cet ouvrage de M. Lenient est un des plus distingués dans la série de savantes monographies que la jeune université apporte, depuis plusieurs années, en Sorbonne pour y être publiquement discutées et consacrées par le suffrage des meilleurs juges. Ce sont de précieux chapitres de notre histoire littéraire. On mê saura gré d'indiquer le titre et la date de quelques-unes de ces thèses Les Prédicateurs de la Ligue, Ch. Labitte, 1841, Essai sur les variations de style français, Arnould Fremy, 1843; La Bruyère, Caboche, 1844; Etudes sur l'Astrée, Bonafous, 1846; Essai sur La Mothe Levayer, L. Étienne, 1849; Essai sur la légende d'Alexandre, Talbot, 1850; Vaugelas, Moncourt, 1851; Saint-Martin, Caro, 1852; La Fontaine, A.-H. Taine, 1855; Ronsard, Gandar, 1854; Henri IV considéré comme écrivain, Yung, 1855; La querelle des anciens et des modernes, H. Rigault, 1856; Guillaume du Vair, Cougny, 1857, Montaigne, Moët, 1859; Les Ennemis de Racine, Deltour, 1859; L'abbé de Saint-Pierre, E. Goumy, 1859; Études sur Chaucer, considéré comme imitateur des trouvères, Sandras, 1859; François Villon, Campaux, 1859; Mémoires le Louis XIV, Ch. Dreyss, 1859; Pellisson, Marcou, 1859.

Utopistes.

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CHAPITRE II

L'abbé de Saint-Pierre. · Économie politique.

des Romains.

et Mably.

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Le besoin d'innover et le désir d'améliorer qui tourmentèrent le dix-huitième siècle n'est nulle part plus sensible que dans les innombrables écrits d'un homme singulier dont on ne prononce pas le nom sans sourire et qu'on ne peut se défendre d'aimer : c'est l'abbé de Saint-Pierre, le plus bienveillant des hommes et le plus fécond en projets honnêtes et impraticables. Sa vie fut un long apostolat de paix et de justice. Son âme, tout ensemble d'une ardeur infatigable et d'une inaltérable sérénité, avait l'ambition de réformer le monde à son image. Il voulait que la paix qui régnait en lui devînt la loi de l'humanité. Il s'était pacifié lui-même par un complet désintéressement et par une résignation absolue à la justice, et son illusion fut de croire que ce privilége individuel de sa nature pût devenir un jour le tempérament général de l'espèce. Le trait commun à tous les réformateurs, j'entends ceux qui se disent en possession d'une panacée, c'est de supposer que le malade qu'ils veulent mettre en santé est déjà guéri. A ce prix, ils répondent de la cure. L'abbé de Saint-Pierre veut éta

blir la paix universelle pour faire régner la justice, et il ne voit pas qu'avant de songer à la paix universelle il faudrait avoir établi la justice. Le principe qu'il pose serait la conséquence du moyen qui lui manque. En effet, la diète générale de princes qu'il convoque pour régler à l'amiable les différends qui doivent s'élever ne saurait fonctionner que si ces princes n'ont pas d'autre intérêt que celui de la justice. C'est renverser les termes du problème, et cependant, malgré ce vice de méthode, on peut dire que les recherches de ce genre faites de bonne foi ne sont pas stériles. Ce désir sincère de régénérer l'ensemble opère, chemin faisant, des améliorations partielles; le mirage qui pousse en avant ces éclaireurs de l'humanité nous porte peu à peu sur un terrain meilleur et l'espoir toujours déçu et toujours vivace d'un repos qui, sans doute, n'est pas dans la destinée de l'homme ici-bas, l'achemine au moins, à travers de pénibles épreuves, à des conquêtes durables. Il y a certainement quelque chose de divin dans le malaise et l'ambition de ces âmes honnêtes et courageuses toujours à la recherche du mieux, et qui, en présence des maux dont gémit l'humanité, ne pensent pas qu'il convienne de s'unir à ceux qui, selon l'expression de Pascal, justifient la force, au lieu de tendre à fortifier la justice.

Le cynique favori du régent, le cardinal Dubois, disait, en parlant des projets du bon abbé de SaintPierre, que c'étaient les rêves d'un homme de bien, et pour sa part il ne risquait pas d'en avoir de semblables: moins encore aurait-il été tenté de les réa

liser. Mais ce n'est pas un médiocre honneur que d'avoir ainsi rêvé sous un tel ministre. Au reste, le zèle de l'abbé de Saint-Pierre, qui s'étendait à tout, a souvent rencontré juste dans les détails, et parmi les maux qu'il a signalés quelques-uns ont été ou guéris ou palliés par des moyens analogues à ceux qu'il indiquait. Ainsi il proposait d'établir pour l'assiette de l'impôt une proportion, et même une certaine progression, qui n'ont pas été négligées depuis qu'on a tenté de distribuer les charges publiques avec équité; il indiquait des ressources pour rembourser les acquéreurs d'offices et donnait le conseil de ne plus en vendre; il voulait diminuer le nombre et la durée des procès, employer l'armée, si onéreuse quand elle est oisive, à la culture des terres; sans rancune contre l'Académie, qui l'avait évincé pour le punir de quelques vérités sévères sur Louis XIV, il l'engageait à honorer dans ses concours la mémoire des grands hommes de la France; il appelait des assemblées politiques et des conseils administratifs à éclairer et à contrôler le pouvoir dirigeant; il demandait encore une éducation non-seulement publique, mais patriotique que ne demandait-il pas? On a fait quelque chose dans le sens de ses idées, et toutefois on attend encore le bonheur général et la paix universelle 1. C'est ainsi que les souffleurs du moyen âge n'ont pas

1 Nous avons sur l'abbé de Saint-Pierre une étude complète, très-savante et très-spirituelle, par M. Goumy, 1 vol. in-8o, 1859. N'oublions pas l'éloge de ce naïf et vertueux philanthrope par Dalembert, qui a réuni dans les notes de son discours de curieux documents.

trouvé la pierre philosophale, objet de leurs recherches, et qu'ils ont livré de précieux secrets à la chimie, et que les lunettes des astrologues, braquées vers le ciel pour y lire ce qui n'y est pas écrit, ont rapporté, au profit des astronomes, d'utiles renseignements.

Pendant que l'abbé de Saint-Pierre, qui avait enfin gagné à sa réputation de rêveur la liberté de tout dire, entretenait le goût et l'espérance des réformes politiques, un savant médecin, Quesnay, étudiait l'origine de la richesse et concevait l'idée d'une science nouvelle, la plus redoutable des sciences jusqu'à ce qu'elle en soit devenue la plus utile, l'économie politique. A peine ébauchée, pleine encore d'obscurités et de contradictions, elle a passionné des hommes de bien et de génie tels que Turgot, qui ne prévoyait pas que cette recherche, entreprise en vue du bienêtre général, pouvait devenir une occasion de terribles représailles. Le regard perçant du très-spirituel et très-sensuel abbé napolitain Galiani a vu le premier toute la portée de cette étude nouvelle. A ses yeux, les philosophes étaient de petits saints au prix des économistes : « Quesnay, disait-il, c'est l'Antechrist. » Cet abbé en parlait à son aise, il ne croyait ni à Dieu, ni au fils de Dieu, il ne croyait qu'au plaisir et à l'esprit, et il ne voulait pas qu'on dérangeât le moins du monde un arrangement des choses où il trouvait de bons repas et d'agréables salons C'était un conservateur gai que les réformateurs sérieux importunaient. Les physiocrates, dont Quesnay était le chef, voulaient que la nature arrivât, en déployant toute sa puissance. à nourrir tous ses en

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