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ostentation et goûta la paix d'une bonne conscience. Il a été donné à peu d'hommes de pouvoir dire comme lui: «Chaque jour, je m'éveille en revoyant la lumière avec une joie ineffable. » Le goût de la solitude, où il ramassait les forces de son esprit dans une méditation féconde, ne le rendait pas insensible aux agréments du commerce des hommes. « Il était, dit Dalembert, d'une douceur et d'une gaieté toujours égales; sa conversation légère, agréable et instructive, était coupée comme son style, pleine de sel et de saillies; point d'amertume, point de satire; personne ne racontait mieux et sans apprêts. Ses fréquentes distractions ne le rendaient que plus aimable; il en sortait toujours par quelque trait inattendu. Il était sensible à la gloire, mais il ne voulait y parvenir qu'en la méritant; jamais il n'a cherché à augmenter la sienne par aucune manœuvre. Digne de toutes les distinctions et de toutes les récompenses, il ne demandait rien et ne s'étonnait pas d'être oublié; quoiqu'il vécût parmi les grands par convenance et par goût, leur société n'était pas nécessaire à son bonheur. Il fuyait, dès qu'il le pouvait, dans sa terre, pour y retrouver sa philosophie, ses livres et son repos1. » Un mot encore à l'honneur de Montesquieu. C'est lui qui a marqué l'ordre des devoirs imposés à l'homme pour la conduite de la vie dans ces paroles mémorables: « Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma

2 Dalembert, Éloges des académiciens.

famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe et au genre humain, je le regarderais comme un crime1. »

A côté de Montesquieu il faut donner place à Turgot. Ce n'est pas qu'on puisse le mettre au rang des grands écrivains, il s'est contenté d'écrire sainement et judicieusement, mais c'est un penseur profond, un cœur généreux, une âme loyale et vigoureusement trempée. Il a été pour son siècle et pour la France un autre L'Hospital. Comme le chancelier de Charles IX, il a voulu introduire la probité dans l'administration et la justice dans la politique, et il a prouvé par un second exemple, qui sera sans doute aussi stérile que le premier, que les gouvernements et les nations malades ne supportent pas la première amertume de ces breuvages qui leur rendraient la santé. L'histoire montre surabondamment qu'il n'est pas donné aux sages qui savent prévoir, et qui veulent conjurer les crises violentes, de se faire écouter. C'est ainsi qu'après avoir repoussé les réformes on subit les guerres civiles et les révolutions. Appelé au conseil par un Maurepas, comme L'Hospital l'avait été par le cardinal de Lorraine, comme lui encore Turgot eut pour premier adversaire son introducteur, et, pour achever la ressemblance, secondé d'abord par le roi, il ne tarda pas d'en être abandonné. Un jeune publiciste, déjà mûr par le talent et par la pensée, M. Henri Baudrillart, va nous dire quelles furent les causes vé

1 Euvres de Montesquieu, Pensées diverses, t. I, p. 456.

ritables des mécomptes de ce ministre, qui a voulu résolument le bien public et qui n'a pas eu d'autre ambition: « Pour soutenir Turgot contre les attaques du clergé qui l'accusait d'être un impie, de la noblesse qui l'accusait d'être un spoliateur, du parlement qui l'accusait d'être un despote, des fermiers généraux qui le jugeaient leur ennemi, parce qu'il voulait mettre de l'ordre dans les finances, des petits marchands qui ne pouvaient souffrir que leurs ouvriers pussent, grâce au travail, devenir leurs égaux, contre tous ces corps, enfin, qui se haïssaient mutuellement, mais qui haïssaient en commun le réformateur, il eût fallu l'appui constant, énergique de la royauté, et Turgot eut affaire à Louis XVI. >> Turgot n'a donc laissé que le souvenir d'une généreuse entreprise. L'insuccès n'obscurcil pas la gloire de la tentative, s'il est vrai que la clairvoyance de celui qui donne un conseil ne doit pas en bonne justice être responsable de l'aveuglement de ceux qui ont refusé de le suivre. Il reste à Turgot l'honneur d'avoir indiqué quels devaient être les avantages de la liberté de l'industrie, du commerce, de la pensée; de l'égalité des charges; de la participation des peuples aux affaires publiques; et pour tout dire en un mot, d'avoir mis dans son programme tout ce qu'on a été obligé d'écrire dans la transaction, après la guerre. Il a fait plus encore en dégageant de ses obscurités l'idée de progrès qui paraît devoir être la lumière nouvelle, qui est déjà l'espérance des nobles âmes dans le long et laborieux pèlerinage de l'humanité vers le but inconnu que lui a marqué la Providence.

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Pompignan. Gresset

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- Gilbert.

-

Disciples et admirateurs de Voltaire. Marmontel. La Harpe.

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Saint

Il est temps d'arriver à l'homme supérieur dont la gloire litigieuse, mais impérissable, remplit le dixhuitième siècle. Voltaire a séduit ses contemporains; il les a enivrés en exprimant sous une forme vive et brillante les idées et les sentiments qui fermentaient dans les âmes d'où s'étaient retirées les antiques croyances. Il ne fit pas, comme on l'en a accusé, l'incrédulité ou plutôt le scepticisme de son temps. il s'en empara, il l'autorisa, pour faire prévaloir au profit de l'humanité et de la civilisation le seul dogme auquel il fût attaché sincèrement, la tolérance. Là se trouve l'unité de sa vie, le ferment de toutes ses passions, le mobile de toutes les luttes qu'il a ou engagées ou soutenues: c'est aussi ce qui protége sa mémoire contre l'animosité de ses détracteurs. Voltaire a voulu réellement pacifier le monde qu'il a tant agité, il a aimé les hommes qu'il a si cruellement raillés, il a prétendu conduire au bien-être et à la vérité ceux-là même auxquels il a pour sa part et trop souvent contribué à enlever et leurs plus douces consolations

et leurs plus chères espérances. Voltaire était plutôt malicieux que méchant, plutôt indiscipliné que factieux, plutôt relâché que corrompu; parmi tous les caprices de son esprit, les témérités de sa raison, les inégalités de son humeur, il avait de généreuses passions il aimait la gloire, il fut sensible à l'amitié, l'injustice le révoltait, et pour redresser les torts de la violence et du fanatisme, on l'a vu braver et irriter courageusement la colère des violents et des fanatiques.

Soyons juste envers Voltaire : s'il a dans sa vie une de ces taches qui ne s'effacent point, et des torts qu'on ne doit ni oublier ni pallier, il a aussi des titres incontestables qui ne permettent pas qu'on l'abandonne sans réserve aux représailles de ceux qu'il a vaincus. Comme son siècle, il a eu dans la guerre contre le passé ses ruses déloyales, ses emportements, ses ingratitudes. Il a été au delà du but; mais l'ardeur qu'il ne sait pas toujours maîtriser ne l'entraîne pas à tous les excès: il s'arrête avec respect devant la noble figure de saint Louis, malgré sa haine pour le moyen âge; il glorifie Henri IV, il honore Louis XIV au delà même de ses mérites; il reste fidèle à la religion littéraire du siècle précédent; il défend la civilisation contre les chimères d'innocence et de pureté barbares écloses du cerveau de Jean-Jacques; il renvoie avec dédain et colère le brevet d'athéisme que lui décernent les d'Holbach et les Lamettrie, et il ne se laisse pas déconcerter par les railleries des Grimm et des Diderot qui lui reprochent comme une faiblesse de tenir encore à son Dieu « ré

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