nos vers une harmonie régulière, une dignité soutenue, et d'en avoir modifié le rhythme et la prosodie: mais Malherbe a fait plus, en revêtant de ce langage plein et sonore des idées élevées et quelquefois des sentiments touchants. Nos enfants savent par cœur les stances à Duperrier, qu'on n'a pas surpassées même de nos jours, où la poésie mélancolique a débordé. Ces stances ont été composées en Provence, vers le temps où Malherbe adressait à Caritée des consolations, moins émouvantes sans doute, mais également poétiques. L'ode sur l'attentat commis en la personne du roi, le 19 décembre 1605, d'un autre ton, d'une inspiration plus élevée et presque pindarique, n'est pas seulement populaire pour avoir éveillé la muse qui sommeillait au cœur de notre La Fontaine. On y remarque, entre autres, la strophe suivante, que Racine n'avait pas oubliée : O soleil! ô grand luminaire ! D'une eternelle obscurité 1? Où trouver plus d'énergie que dans cette invective contre le maréchal d'Ancre : 1 Poésies de Malherbe, liv. II, p. 76. C'est assez que cinq ans ton audace effrontée, La fortune t'appelle au rang de ses victimes, Il est vrai qu'ici Malherbe imite Claudien, mais il imite en maître. Voici maintenant une strophe tout ensemble noble et piquante, dont le tour et la pensée n'appartiennent qu'à lui : dirigée contre les mignons de Henri III, elle fait sentir, par un exemple frappant, la secrète analogie déjà remarquée entre la strophe ailée et l'épigramme empennée : Les peuples pipés de leur mine, Pour conquerir la Palestine L'ode à Marie de Médicis sur les heureux succès de sa régence est peut-être la pièce la plus achevée de Malherbe il faudrait la transcrire tout entière; contentons-nous de cette admirable opposition entre les maux de la guerre et les avantages de la paix : Poésies de Malherbe, 1. III, p. 225 La Discorde aux crins de couleuvres, Ne finit ses tragiques œuvres C'est en la paix que toutes choses Comme au printemps naissent les roses, En la paix naissent les plaisirs ; Elle met les pompes aux villes, Donne aux champs les moissons fertiles, Appuyant les pouvoirs supremes, Fait demeurer les diademes Fermes sur la teste des rois1. Nous voyons dans ces traits, avec le génie de Malherbe, sa pensée d'homme et de citoyen. Le souvenir des guerres civiles lui pèse : cette image ne s'efface pas de sa mémoire ; il craint de revoir ce qu'il a déjà trop vu d'une fois. C'est ce qui lui fait dire : Un malheur inconnu glisse parmi les hommes, 1 Poésies de François Malherbe, liv. III, p. 168 et 169 2 Ibid., liv. II, p. 68. Pour prévenir ce qu'il redoute, il compte sur la force, et il l'invoque, car c'est l'unique moyen de goûter les douceurs du repos : Tu nous rendras alors nos douces destinées; La moisson de nos champs lassera les faucilles Quelle poésie! André Chénier affirme que nous n'avons pas de plus beaux vers dans notre langue. Ce n'est pas tout: Malherbe a devancé et surpassé Jean-Baptiste Rousseau par quelques strophes imitées du psaume CXLV la poésie du roi-prophète, desséchée par Marot, amollie par Desportes, que Godeau devait délayer et Racan noyer dans leurs languissantes paraphrases, va paraître ici avec l'éclat de ses images et dans toute la profondeur du sentiment religieux : N'esperons plus, mon ame, aux promesses du monde En vain, pour satisfaire à nos lasches envies, 1 Poésies de Malherbe, liv. II, p. 71. Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont ce que nous sommes, Veritablement hommes, Et meurent comme nous. Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussiere Que cette majesté si pompeuse et si fiere Dont l'esclat orgueilleux eblouit l'univers Et dans ces grands tombeaux, où leurs ames hautaines Ils sont mangés des vers. Là, se perdent ces noms de maistres de la terre, Tous ceux que la fortune Fesoit leurs serviteurs 1. Ces idées du néant de nos grandeurs et de la vanité de nos plaisirs se retrouvent encore dans des vers de Malherbe, qui, cette fois, s'inspire d'Horace et, dans cette lutte nouvelle, sait toujours être original : L'Orne comme autrefois nous reverroit encore, Et couchés sur les fleurs, comme estoiles semées, Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes ! C'est un point arresté que tout ce que nous sommes, Issus de peres rois et de peres bergers, |