Imágenes de páginas
PDF
EPUB

petit mal est defendu, quand il en devroit naistre un grand bien; que si le monde ne se peut conserver que par un peché, elle est d'avis qu'on le laisse perdre; que ce n'est pas à nous à troubler l'ordre de la Providence et à nous mesler des affaires superieures ; que Dieu a mis entre nos mains ses commandemens et non pas la conduite de l'univers; et qu'il faut nous fassions nostre devoir et que nous lui laissions faire sa charge1. »

que

Nous voyons, par ces exemples, qu'on pourrait multiplier, que Balzac ne s'est pas borné à des sujets frivoles ; qu'il a eu le goût et l'ambition des grandes pensées, et que, si son âme avait eu autant d'élévation que son esprit avait de ressources et son imagination d'éclat, il aurait gardé un rang élevé parmi les maîtres. C'est le cœur qui pèche dans Balzac, et cependant il en avait reconnu la puissance lorsqu'il disait en parlant de la vraie piété2 : « Mais parce que la qualité dont je parle serait comme morte et de nul usage si elle ne partoit de la plus haute region de l'ame, où se forme le discours et l'intelligence, et qu'il faut qu'elle reside egalement en la seconde partie où naissent les affections et les desirs, il la sait faire descendre de la teste dans le cœur, afin que ce qui estoit lumiere devienne feu, et qu'une connaissance si noble et si relevée, qui doit estre fertile en grandes operations et sortir au dehors par des effets admirables, ne finisse point en elle-mesme et ne s'arreste pas

1 Euvres de Balzac, t. II, le Prince, ch. vII, p. 27. • Ibid., ch. 1x, p. 30.

aux plaisirs oisifs de la simple meditation » Dans ce passage, Balzac porte témoignage contre. luimême : ce qui était lumière dans son intelligence n'y est pas devenu feu, car rien chez lui n'est descendu de la tête au cœur et ne s'est échauffé à ce foyer où les grandes idées deviennent des sentiments en sẹ pénétrant de cette chaleur vitale qui est un principe d'éternelle jeunesse pour les ouvrages de l'esprit. C'est pour cela qu'il n'a pas atteint la véritable éloquence dont il donnait néanmoins une si juste idée er cette définition: «< Elle ne s'amuse point à cueillir des fleurs et à les lier ensemble; mais les fleurs naissent sous ses pas aussi bien que sous les pas des deesses. En visant ailleurs; en faisant autres choses; en passant pays, elle les produit; sa mine est d'une Amazone plustost que d'une coquette; et la negligence mesme a du merite sur elle, et ne fait point de tort à sa dignité'. » Après tout, Balzac a rendu à la langue d'incontestables services. Avec lui, comme on l'a dit, la France a fait sa rhétorique, et elle l'a faite brillante et utile. Ce mot d'un contemporain : « Tous ceux qui ont bien écrit en prose depuis, et qui écriront bien à l'avenir en notre langue, lui en auront l'obligation, » demeure vrai, en ce sens qu'il n'y a pas de bon style sans euphonie. Il fallait ajouter qu'il nous apprend aussi le danger d'écrire toujours bien de la même manière. L'uniformité de ses procédés est le vice de sa méthode; il est toujours auteur, et ne donne ja,

1 Euvres diverses du sieur de Balzac, i vol. in-12, 1664. De la grande Éloquence, à M. Costar, Discours sixième, p. 114.

mais à son lecteur cette ravissante surprise, dont parle Pascal, que cause le naturel dans un écrit 1. La marche symétrique de sa phrase est toujours prévue, comme les figures de son langage, l'antithèse, la métaphore, l'hyperbole.

Balzac est le lien et comme le médiateur entre deux assemblées célèbres qui ont beaucoup influé sur la littérature au commencement du dix-septième siècle, l'hôtel de Rambouillet et l'Académie française. A la vérité, il les a peu fréquentées; mais, en habile homme, il ne s'en tenait éloigné que pour y être plus respecté, en vertu du principe : major e longinquo reverentia. Du fond de son château de Balzac, sur la Charente, il était l'oracle du salon d'Arthénice et de la savante compagnie fondée par Richelieu pour régenter la république des lettres. Les épîtres et les dissertations arrivaient du sanctuaire isolé et lointain pour entretenir la ferveur du cercle choisi de madame de Rambouillet, dont les habitués, comme autrefois les oiseaux de Psaphon, répétaient sur tous les tons le nom et les louanges du dieu. De rares visites réchauffaient à propos l'enthousiasme. Balzac était un grand maître de tactique, en fait de renommée. L'Académie le dispensait de la résidence, obligatoire pour les autres membres; mais son autorité, toujours présente, dirigeait les délibérations et réglait les jugements de re sénat conservateur: de plus, il prit ses précautions au delà de la mort en fondant le prix d'éloquence.

Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme. » Pensées le Pascal, éd. Havet, p. 115.

L'hôtel de Rambouillet doit avoir le pas sur l'Académie. Ce fut la première institution littéraire régulièrement organisée et le berceau de la société polie La marquise de Rambouillet ouvrit sa chambre bleue, qui devint bientôt le rendez-vous préféré des beaux esprits et des femmes les plus distinguées; elle l'ouvrit pour l'exemple, parce que les mœurs de la cour de Henri IV offensaient la pureté de son âme, et que le ton goguenard et fanfaron des familiers de ce lieu et du maître lui-même, que Malherbe entreprit vainement de dégasconner, blessaient la délicatesse de son esprit. Ce cercle d'élite fut donc, dans l'origine, un centre d'opposition élégante et modérée destinée à combattre indirectement les barbarismes et les orgies de la cour par la pureté du langage et des mœurs. On briguait l'honneur d'y être admis, car l'admission était un double brevet de culture intellectuelle et de décence morale. Le sceptique Bayle, qui ne prodigue pas ses compliments, appelle l'hôtel de Rambouillet « un véritable palais d'honneur. » Fléchier, de son côté, n'a pas épargné les antithèses pour louer ce salon « où se rendaient tant de personnes de qualité et de mérite qui composaient une cour choisie, nombreuse sans confusion, modeste sans contrainte, savante sans orgueil, polie sans affectation. » Ce sont là des vérités d'oraison funèbre où les restrictions sont souvent remplacées par des compléments on peut accorder qu'il n'y ait pas eu de confusion, malgré le nombre ; mais ni contrainte, ni orgueil, ni affectation, c'est un peu trop dire, même dans un panégyrique. Il vaut mieux s'en tenir au

[ocr errors]

jugement d'un contemporain qui constate, sans commentaire, l'importance de cette réunion : « C'était, dit-il, le rendez-vous de tout ce qui était le plus distingué en condition et en mérite, un tribunal avec lequel il fallait compter, et dont la décision avait un grand poids dans le monde sur la conduite et sur la réputation des personnes de la cour et du grand monde. »>

Malgré ses excellentes intentions morales et littéraires, le cercle de la marquise de Rambouillet, de l'incomparable Arthénice, comme on disait alors, ne pouvait échapper à la destinée des réunions de choix, qui deviennent forcément des coteries et qui se font toujours des idées et un langage à part. Le besoin de se distinguer, qui est le principe de leur établissement et la condition de leur durée, produit fatalement l'orgueil et l'affectation: elles ont des initiés pour qui les étrangers sont des profanes, et leur devise sera toujours :

Nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis 1.

Le nom de Précieuses, si longtemps honorable pour celles qui le portaient, n'est-il pas un défi et une injure qui devait, avec le temps, amener une revanche, La raillerie s'attache bientôt à ces beaux noms, d'abord si doux à porter, auxquels l'admiration donne cours et qu'elle se flatte d'avoir consacrés. Combien de noms jetés par injure se sont changés en titre d'honneur, et combien de mots pompeux devenus

1 Molière, les Femmes savantes. acte III, sc. I

« AnteriorContinuar »