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à-dire trois grands événements qui vraisemblablement ne devoient pas arriver: la mort du roi de Suède, celle du duc de Friedland, et la perte de la bataille de Norlinghen'. »

Voiture a encore su parler du duc d'Olivarès en termes dignes de celui qu'il appréciait, et jusque dans des vers dont le ton est familier, il atteint encore la noblesse en parlant des illusions de la gloire humaine, à propos du nom et des victoires du prince de Condé :

Ces deux syllabes glorieuses

Qui font ensemble votre nom
Seront de tout votre renom
Les héritières glorieuses:

Ces trois faits d'armes triomphants,
Ces trois victoires immortelles,
Les plus grandes et les plus belles
Qu'on trouve en la suite des ans;
Tant d'exploits et tant de combats,
Tant de murs renversés à bas,
Dont parlera toute la terre,
Seront pour elles seulement
Et pour les figures de pierre
Qui feront votre monuments.

Dans ce passage, Voiture fait un emprunt à Montaigne, qui avait dit : « ces trois victoires sœurs, Salamine, Platée, Mycale, les plus belles que le soleil ait vues de ses yeux, » et comme une avance à Bossuet

1 Euvres de Voiture, t. I, lett xc, p. 274.

2 Ibid., t. II, p. 271..

3 Ibid., Épître à monseigneur le prince sur son retour d'Allemagne, t. II, p. 595.

qui dira plus tard dans l'oraison funèbre du même héros : « des figures qui semblent pleurer autour d'un tombeau, et des fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste. » La même épître a fourni à Voltaire un trait souvent cité. C'est en effet d'après ces deux vers de Voiture:

Et qu'un peu de plomb sait casser

La plus belle tête du monde1,

qu'il a écrit ce distique :

Et qu'un plomb dans un tube entassé par des sots
Peut casser d'un seul coup la tête d'un héros 2.

A côté de Voiture, il convient de donner au moins un souvenir à Malleville, dont la Belle Matineuse, opposée à celle de notre poëte, partagea en deux camps égaux l'hôtel de Rambouillet, comme firent plus tard Uranie et Job. C'étaient les grandes guerres de la société polie. Voiture eut encore un rival dans ce cercle de beaux esprits, ce fut le nain de Julie, Godeau, qui devait renoncer à la galauterie, même épurée, pour les dignités de l'Eglise. Godeau fut un poëte de mérite et un excellent prosateur. Il est poëte en parlant de cette aride Provence,

Où les guérets fendus sollicitent en vain,

Pour éteindre leur soif, un ciel toujours d'airain.

<< Godeau, dit M. Demogeot, a de l'imagination, de

1 Euvres de Voiture, t. II, p. 394.

2 Voltaire, édit. Beuchot. Épitre au roi de Prusse, t. XIII, p. 149.

l'harmonie; il a surtout de l'âme. S'il savait choisir et concentrer, s'il connaissait le mérite de la précision, ses vers seraient encore aujourd'hui une lecture agréable 1. >>

Au reste, le vrai rival de Voiture, c'est Sarrasin. qui n'a pas moins de portée sous les mêmes dehors de badinage. Sarrasin fut moins goûté que Voiture à l'hôtel de Rambouillet, parce qu'il avait pris au petit archevêché, dans l'intimité du coadjuteur, et auprès du prince de Conti, qui n'avait pas encore tourné à la dévotion et dont il fut le secrétaire, l'habitude de ne pas modérer sa langue. Il blessait par la liberté, quelquefois même par la licence de ses propos, les oreilles pudiques. Mais ce bel esprit fécond en plaisanteries, et qui a dû payer comme les autres son tribut au goût équivoque des salons qu'il fréquentait, n'en a pas moins écrit avec fermeté de belles pages d'histoire dans le Siége de Dunkerque et la Conspiration de Walstein qu'il n'a pas achevée. Sarrasin prit parti dans plusieurs querelles littéraires dont l'importance est un trait des mœurs de cette époque de transition où les petites choses devenaient facilement des affaires considérables. Dans celle des deux sonnets, l'Uranie de Voiture et le Job de Benserade, il se rangea parmi les uranistes par une glose où il amène avec une adresse infinie, à la fin de quatorze stances satiriques et dans leur ordre. les quatorze vers de la pièce qu'il critique; il fut pour Ménage dans la croisade que celui-ci suscita

1 Tableau de la Littérature française au dix-septième siècle, avant Corneille et Descartes, 1 vol. in-8°, 1859. P. 275.

contre Montmaur le Grec ou le Parasite. Outre le Testament de Goulu, raillerie piquante, il écrivit à ce propos le Bellum parasiticum, espèce de Ménip pée, en prose latine entremêlée de citations de vers ingénieusement détournés de leur sens primitif. Dans Dulot vaincu, ébauche héroï-comique, il fit avec esprit et bon goût justice de la manie des boutsrimés, que Dulot avait mis à la mode. Même il a réussi dans l'ode en célébrant la bataille de Lens. Depuis Malherbe et Racan, sans excepter l'accident de Chapelain qui fit, Boileau ne sait comment, une assez belle ode en l'honneur de Richelieu, le genre lyrique n'avait rien produit d'aussi remarquable pour le mouvement et l'harmonie. Son sonnet à Charleval est une cruelle et bien spirituelle malice contre les femmes. Après la mort de Voiture, grand deuil littéraire que mena l'Académie, Sarrasin mêla aux sérieux hommages de la docte assemblée une oraison funèbre mieux appropriée aux mérites du héros ce fut le récit de ses funérailles, où le panégyrique est tempéré par un agréable persiflage. Le malin Normand égratigne son rival en le caressant, mais il le juge sainement lorsqu'il caractérise ainsi cet esprit solide et charmant : « On fit plusieurs jugements de ce génie dans les lieux par où il passa: les uns le prenaient pour un génie enjoué, les autres pour un génie particulier, quelques-uns pour un grand génie. Il ne sembla commun à pas un, et pas un ne le trouva mauvais '. >>

Après Sarrasin, il faut au moins nommer Mathieu de Mon

L'Académie s'honorait elle-même dans les regrets qu'elle témoignait à la mort d'un homme qui avait fait de l'esprit une dignité sociale. Cette réunion formée par le goût des lettres dans la maison hospitalière de Conrart, et devenue par la politique de Richeheu une institution d'État, avait pour but de garantir l'unité et la pureté du langage par l'autorité dont elle était investie, et d'entretenir l'émulation des écrivains par l'insigne honneur qui s'attachait aux noms que consacraient ses suffrages, honneur tel que les plus hautes dignités de la magistrature et de l'adminis

treuil qui, pour avoir été d'Église, n'en fut pas moins galant. Il a laissé de fort jolis madrigaux; il a fait aussi quelques épigrammes. Citons-en une qui nous fera voir au moins à qu appartient un vers qu'on répète souvent sans en connaître l'auteur:

Cloris à vingt ans estoit belle,

Et veut encor passer pour telle,

Bien qu'elle en ait quarante-neuf;

Il faut la contenter la pauvre demoiselle,

Le Pont Neuf dans mille ans s'appellera Pont-Neuf.

Charleval, auquel Sarrasin a dédié ce terrible sonnet, qui fait remonter jusqu'au berceau du monde la coquetterie des femmes, est encore un charmant esprit. Il a des stances qui annoncent celles de Voltaire : c'est lui qui a dit :

Amour, tous les autres plaisirs

Ne valent pas tes peines.

Mais il a su s'arrêter à temps, et il a compris que l'amour ne convenait pas à toutes les saisons de la vie :

J'ai consommé le temps des voluptez,
Et je rendrois mes amours indiscrettes,
Si je croyois que de jeunes beautez
Prissent plaisir à de vieilles fleurettes.

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