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tration, de l'Église même, y trouvaient un nouveau relief. Aussi vit-on le grand Corneille, après une longue attente, chercher dans les figures les plus hardies de la langue mystique des termes pour égaler ses remerciments à sa reconnaissance. Chargée du dépôt de la langue, l'Académie entreprit, dès ses débuts, la tâche d'en composer le trésor. Tous ses membres se mirent à l'œuvre, dont la direction fut confiée au savoir et à la probité de Vaugelas. Après saint François de Sales, son compatriote Vaugelas resserrait les liens littéraires qui unissaient déjà la Savoie à la France. Cet esprit judicieux et délicat, qui porta le respect du langage français jusqu'à la piété sans que jamais ses scrupules l'aient incliné à la superstition,

Ce charmant poëte passait de son temps pour le modèle de l'honnête homme. C'est à ce titre, sans doute, qu'il a fait contre un médisant cette excellente épigramme :

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Si l'on pouvait tout dire, on devrait donner place parmi les beaux esprits de cette époque à Saint-Pavin, à Hesnault, à Desbarreaux, à Patrix, au menuisier de Nevers, Adam Billaut, à d'autres encore dont on a retenu quelques vers. Il faudrait aussi ne pas oublier madame de la Suze et madame de Villedieu, qui ont été fort goûtées au dix-septième siècle, et qui ne méritent pas même aujourd'hui d'être dédaignées. Ce dénombrement, bien imparfait, de ce que nous laissons de côté sur un seul point indique ce que serait une histoire complète de notre littérature.

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provoqua par ses remarques des décisions longtemps respectées. Il comprit que, pour ne point paraître tyrannique, le tribunal académique devait reconnattre la souveraineté de l'usage; qu'il ne pouvait ni battre monnaie, ni rejeter arbitrairement de la circulation les mots qui avaient reçu l'empreinte du génie national. Ni Vaugelas ni l'Académie n'autorisent les entreprises de la grammaire sur les droits de la pensée : ils tendent avec une prudence, étroite peut-être, mais avec une fermeté louable, à prévenir, dans le domaine du langage, la guerre civile et l'invasion étrangère.

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Cette assemblée, illustre dès son origine, eut l'avantage de rencontrer pour écrire l'histoire de ses premiers travaux un homme qu'elle jugea dès lors digne ae lui être associé. Pellisson est un de nos meil.eurs prosateurs, et de tous ses ouvrages l'Histoire de l'Académie est celui où il a mis le plus de simplicité et d'élégance. Son récit est naturel et attachant.

1 L'Académie française a couronné récemment une étude complète et fort remarquable sur son premier historien. Elle est de M. F.-L. Marcou, ancien élève de l'École normale. 1 vol. in-8°, Didier et Durand, 1859.

2 M. Ch.-L. Livet a publié en 1858 (2 vol. in-8°, Didier) une nouvelle édition de l'Histoire de l'Académie et la suite de cette histoire par l'abbé d'Olivet. Une savante introduction, des éclaircissements bien choisis et des notes judicieuses ajoutent beaucoup de prix à cette importante publication. — L'Histoire politique de l'Académie française, par M. P. Mesnard, 1 vol. in-18, Charpentier, 1858, écrite avec beaucoup d'indépendance et de talent, est un document nouveau et très-intéressant sur la matière

On ne se lasse pas de le relire. Pellisson s'était formé à l'école des anciens, et son goût avait gagné à cette culture de pouvoir conserver sa pureté parmi les jeux d'esprit, frivoles et prétentieux, auxquels l'avait mêlé sa passion pour mademoiselle de Scudery. L'influence de Cicéron l'assurait contre la contagion, et lui conservait, par l'exemple de ses lettres, le mérite de parler des choses et des hommes avec convenance, comme plus tard les discours de l'orateur latin lui communiquèrent pour ses mémoires en faveur de Fouquet le rare privilége de mettre de la précision dans l'abondance. Voltaire ne s'y est pas mépris et il rattachait l'effet à la cause lorsqu'il disait : « Si quelque chose approche de l'orateur romain, ce sont les trois mémoires que Pellisson composa pour Fouquet. Ils sont dans le même genre que plusieurs oraisons de Cicéron, un mélange d'affaires judiciaires et d'affaires d'État, traité solidement avec un art qui paraît peu, et orné d'une éloquence touchante1. » Nous n'avons pas à protester contre ces éloges, mais Voltaire, qui élève si haut l'éloquence de Pellisson, a tort de parler dédaigneusement de son Histoire de l'Académie. La matière, il est vrai, lui paraissait complétement dénuée d'intérêt; mais ne devait-il pas, lui dont la prose est si coulante et si naturelle, se montrer sensible à la simplicité et à la pureté du langage de l'historien ?

Pellisson fait preuve de bon goût en louant l'Aca

1 Voltaire, Siècle de Louis XIV, ch. xxx¤, p. 314, t. XX de l'édit. Beuchot.

démie française de s'être contentée de ce nom et de n'avoir pas, à l'imitation des Italiens, cherché quelque titre ou fastueux ou singulier : « Au choix de ce rom qui n'a rien de superbe, ni d'étrange, elle a témoigné peut-être moins de galanterie, mais peut-être aussi plus de jugement et de solidité que les académies d'au delà les monts, qui se sont piquées d'en prendre ou de mystérieux, ou d'ambitieux, ou de bizarres, tels qu'on les prendrait en un carrousel ou en une mascarade, comme si ces exercices d'esprit étaient plutôt des débauches et des jeux que des occupations sérieuses 1. » L'Académie pensait, comme son historien, que les lettres sont choses sérieuses. Elle prit au sérieux les travaux qui lui revenaient de plein droit, et en grande considération un autre travail qu'elle n'attendait pas, et qui lui fut imposé par la volonté toute-puissante de Richelieu. On voit que nous parlons de l'Examen du Cid, qui fut pour l'Académie naissante une périlleuse épreuve. Pellisson en prend occasion de repousser des préventions du dehors qui commençaient à s'accréditer : <«< Ceux qui se sont figuré, dit-il, que l'Académie n'était qu'une troupe d'esprits bourrus qui ne faisaient autre chose que de combattre sur les syllabes, introduire des mots nouveaux, en proscrire d'autres, pour tout dire, gâter et affaiblir la langue française en voulant la réformer et la polir, ceux-là, dis-je, pour se désabuser n'ont qu'à lire cette pièce;

1 Histoire de l'Académie, par Pellisson, t. I, p. 19, édit. de M. Livet.

ils y verront un style mâle et vigoureux, dont l'élégance n'a rien de gêné, ni de contraint; des termes choisis, mais sans scrupule et sans enflure; le car et plusieurs autres de ces mots qu'on accusait l'Académie de vouloir bannir, souvent employés. Ils verront même que, bien loin d'en introduire de nouveaux, elle en a gardé quelques-uns qui semblaient vieillir, et dont peut-être plusieurs personnes eussent fait difficulté de se servir 1. » On voit que Pellisson est un habile défenseur, et on sait qu'il aura de moins bonnes causes à plaider.

Cette défense était une réponse à la Requête des dictionnaires, plaisanterie de Ménage qui, après tout, était homme d'esprit, quoiqu'à la vérité il eût moins d'esprit que de pédanterie. Ces vieux dictionnaires, qui prennent la parole pour eux-mêmes et pour les mots anciens qu'on croit menacés, ne manquent ni de bon sens ni de malice. Il faut entendre leurs rai

sons :

Nous osons dire hautement
Que tous les vieux dictionnaires
Sont absolument nécessaires :
Par eux s'entendent les auteurs,
Par eux se font les traducteurs;
Ils servent à tous de lumières
Dans les plus obscures matières;
Ils sont les docteurs des docteurs,
Les précepteurs des précepteurs,
Les maîtres des maîtres de classes,
Et tels qu'on a cru savantasses
A la faveur de leurs bons mots,
Sans eux n'étoient rien que des sots.

1 Histoire de l'Académie, t. 1, p. 99.

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