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reçu avec une diftinction dont il n'y avoit point d'exemple, jufques - là que le Pape le faifoit manger à fa table, & vivoit avec lui d'un air aifé & familier, comme fi ce Seigneur eut esté quasi son égal; grande mortification pour un Pape fi fier, mais la néceffité l'obligeoit d'en user ainsi.

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A l'arrivée de Chaumont, Bentivole, toutà-coup, perdit tellement courage, qu'au lieu de tenir dans Bologne, ou en deux autres Places qui pouvoient faire résistance, il ne fongea qu'à capituler, parti ce femble peu honorable pour un homme de guerre, qui avoit paffé jufques-là pour auffi bon Soldat, que fage Capitaine. La tefte lui tourna fi fort, que quoi qu'il duft efpérer des avantages confidérables, en livrant une Ville de l'importance de Bologne, il ne demanda autre chose que de pouvoir en fortir vie & bagues fauves. Jules, outré en tout, ne vouloit point y confentir; fa colere venoit de ce que Bentivole avoit fait, quelque-tems devant, mourir affez brufquement le Pere d'un des Officiers de cet implacable Pontife. Chaumont plus humain, & moins impétueux, appréhendant que Bentivole, s'il venoit à fe repentir, ne prift la réfolution de se défendre vigou reufement, accepta fes offres avec joye, ravi. de pouvoir, à fi bon marché, eftre maistre,

fans

corte.

fans rien hazarder, d'une Ville fi confidérable. Le Traité figné, Bentivole, & un de fes Fils, fe rendirent au Camp de Chaumont, qui les envoya à Milan avec une bonne efChaumont pour cela ne fut pas maistre de Bologne, fi peu, que quand les Fouriers fe prefentérent pour entrer, la Populace, faifant des huées, fe jetta fur eux avec fureur,' en tua deux, en bleffa trois, & poursuivit les autres jufques vers le Camp des François. Chaumont, auffi irrité que furpris de cette réfiftance, à quoi il ne s'attendoit pas, fit dref fer quatre batteries, réfolu de donner aflaut fi-toft qu'il y auroit breche. Le Peuple, qui n'a rien à perdre, s'éfraya peu de fes menaces, & vouloit qu'on fe défendift; mais les Ecclefiaftiques, les Nobles, & les Citadins,' craignant d'eftre ruïnez, fi leur Ville malheureusement venoit à estre faccagée, députérent auffi-toft au Pape, pour lui reprefenter que Bologne ne pouvant manquer d'eftre mife à feu & à fang, fi elle eftoit prise d'affaut,' il eftoit de l'intéreft de Sa Sainteté, autant que de fa bonté, de prévenir un fi grand mal. Jules, fur ces nouvelles, manda promptement à Chaumont, de faire ceffer les batteries. Quelque répugnance qu'y euft Chaumont, il falut obéir, parce que les ordres eftoient pré

ce que

le Pape

cis de faire, fans examiner, lui ordonneroit. Bologne aiant ouvert fes porres, Jules y fit son entrée en Triomphateur; il eftoit d'autant plus charmé de cet heureux fuccès, qu'il ne lui en coufta que les frais de fon armement, & dix-huit mille ducats qu'il fit diftribuer aux Troupes Françoises. Chaumont n'accepta, pour récompenfe de fes fervices, que des prefens de dévo

tion.

Plus cette acquifition augmenta le crédit du Pape, plus elle diminua la réputation du Roi. Les petits Princes d'Italie, & les Républiques voiant qu'il facrifioit ceux - mefmes qui avoient payé, en argent, comme Bentivole, ou par des fervices importans, l'honneur de fa protection, n'eurent plus de confiance en lui. L'eftime eft le plus grand de tous les biens pour un Prince principalement ; quand une fois il vient à la perdre, il n'eft tort ni injure que fon peuple ou fes voifins ne foient disposez à lui faire, dès que l'occafion s'en prefente. Jules, loin de fçavoir gré au Roi & au Cardinal de lui avoir facilité la prise de Bologne, les en méprifa davantage, jusques-là que publiquement il faifoit d'eux des railleries. Il les haïffoit, & quelque bien qu'il en euft reçû, il n'y a rien qu'il n'euft mis en œuvre pour perdre le Cardinal dans l'efprit

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du

GE'NES SE REVOLTE

du Roi, & pour faire perdre à ce Monarque ce qu'il tenoit en Italie.

Ĉet impérieux Pontife commença à faire SUR LA FN fentir les méchantes intentions, par les meDN 1506, nées qu'il fit à Génes pour allumer la haine NIE EN 1907. qui y régnoit depuis long-tems entre les No

DE ET

EN EST PU

bles & le Peuple, perfuadé qu'infailliblement de-là naiftroient des émotions, lesquelles, comme il arriva, tourneroient bien-toft en révolte. Quand cette superbe Ville s'estoit foumise aux François, ç'avoit esté à condition qu'elle fe gouverneroit, felon fes Loix, & fes Couftumes, commie elle faifoit auparavant, & cette fujetion n'y avoit prefque point produit de changement confidérable, hors la prefence d'un Gouverneur, dont le foin principal eftoit d'entretenir la Paix, autant qu'il eftoit poffible, entre les Nobles & le Peuple.

Il y avoit à Génes trois fortes d'Habitans, les Nobles, les Citadins, ou bons Bourgeois, qu'on apelloit le Peuple Gras, & les gens de meftier, vivant d'un Art mécanique, qu'on apelloit le Peuple Maigre. La Nobleffe eftoit compofée de vingt-huit Familles, à la tefte desquelles eftoient, les Fifques, les Doria, les Spinola, les Grimaldi, Familles les plus anciennes & les plus illuftres du Païs. Vingt-quatre autres Familles, quoi qu'originairement Familles Plebeïennes, eftoient devenuës, avec le tems,

fi

puissan

puiffantes, fi confidérables par leurs richeffes immenfes, par le mérite des grands hommes qui eftoient fortis de ces Familles, & par la part que ces grands hommes avoient eu au Gouvernement, qu'elles ne cédoient en rien aux premieres; tels eftoient les Adornes, les Fregofes, les Impériali, les Negroni, les fustiniani.

Le Peuple eftoit fier & mutin, la Noblefle eftoit infolente; & depuis que les Nobles & le Peuple, dans les diverfes révolutions, qui eftoient arrivées à Génes pendant les trois derniers fiécles, s'eftoient fupplantez plufieurs fois dans le Gouvernement de la République, il y avoit toûjours eu entre eux une fi grande antipatie, qu'il fut aifé aux Boutefeux, que le Pape avoit envoyez dans cette grande Ville, d'y exciter une fédition. Les Nobles méprifoient le Peuple; & comme il n'y avoit qu'eux qui euffent droit de porter des armes, fouvent ils le maltraitoient. Le Peuple avoit beau se plaindre, on ne lui faifoit point justice; ou bien, fi on la lui faifoit, le chastiment eftoit fi foible, quelquefois mefme il venoit fi tard, que le Peuple, loin de s'apaifer, n'en estoit que plus irrité. Les violences continuant, à la fin le Peuple s'attroupa; & aiant pris les armes, il pilla les Hoftels des Nobles, & poursuivit ces Tiranneaux jusques dans leurs maifons de campagne,

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