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il fut engagé dans cette mystérieuse lutte: & l'Ange l'aflure qu'après la victoire qu'il vient de remporter contre Dieu même, il n'y a point CXXIV, de puiflance humaine qui doive l'intimider. Il aura donc certainement l'avantage fur Efau : mais fon affoiblissement l'avertit que ce ne fera qu'en paroiffant vaincu, en s'humiliant, & en mettant, felon l'expreffion d'un prophéte, fa, Lament. bouche dans la poussiére. Jer. 3.29

II. Ce premier fens de la lutte de Jacob quoique vrai & falide, ne ontente pas pleinement; & une action fi vifiblement mystérieule nous dit qu'il faut, pour la bien entendre, y voir autre chofe que Jacob & Efaii.

Souvenons-nous donc que dans les trois différentes occafions où nous avons vû ensemble les deux frères, ils ont figuré, l'un les Elus, & l'autre les Réprouvez. En fuivant ce plan, il eft aifé de voir que le Saint-Efprit a peint dans les différentes circonstances de cette hiftoire, la haine des Réprouvez contre les Elûs, les armes avec lefquelles ceux-ci doivent fe deffendre, & la protection qu'ils doivent attendre de Dicu.

Les méchants font ennemis des bons, & la guerre entre eux eft continuelle: on l'a déja remarqué. Mais la maniére de combattre des uns & des autres cft fort différente. Les uns font pleins d'aigreur, de jaloufie, & de haine, comme Efau : les autres, comme Jacob, ne respi rent que la charité & la douceur. Efaii employe les menaces, &, s'il peut, la violence: Jacob ne penfe point à fe deffendre; & il aime mieux céder, & fe dérober par la fuite aux efforts de l'injuftice, que de devenir lui-même injuste, en ceffant d'être patient. Il n'y a rien qu'il ne foit prêt à faire & à fouffrir, pour avoir la paix avec fon frère. Hy facrifiera avec joie une par

CH.XXIV.

tie de fes biens, trop content de pouvoir con ferver à ce prix la vraie fageffe qu'il a prife pour fon époufe, avec les vertus & les bonnes œuvres qui en font les fruits. L'impie met fa confiance dans fa force, dans fes richeffes, dans fon crédit, pour opprimer le jufte. Celui-ci n'a point d'autre afyle que Dieu, ni d'autres armes que la prière. Dans les plus preflants dangers, & dans les plus violentes tentations, c'eft à Dieu qu'il s'a treffe pour être ou délivré, ou soutenu par fa main toute-puiflante. Il fe trouve 2. Cor. 7. 5. quelquefois, comme S. Paul, affailli par toutes fortes de mauxs combats au dehors; frayeurs au

dedans: & l'épreuve eft tellement au-deffus de 2. Cor. 1. 8. fes forces, qu'il en eft accablé, comme cet Apôtre, jufqu'à trouver même la vie ennuyeuse. Mais plus il fent fa foibleffe, lorfqu'il la compare avec la grandeur du péril; plus il tâche de puifer dans Dieu la force néceffaire pour ne pas fuccomber. Il gémit; il prie; il conjure avec inftance: il repréfente à fon Dicu à fon pére fes craintes, fes inquiétudes, fon délaissement, & les efforts que font les hommes pour lui ravir les dons de fa libéralité: il le fait fouvenir de fes promeffes, & de fes anciennes miféricordes; & il follicite la continuation des miféri cordes & l'accompliffement des promeffes. Dieu qui veut exercer fa foi, réfifte, & femble fe roidir contre fes preffantes follicitations. Il lui dit au fond du cœur, comme pour l'affoiblir, & l'obliger de quitter prife, que rien ne lui eft dû, & qu'il eft indigne d'être écouté. Il en convient, & s'humilie, mais fans perdre courage, & fans ceffer de faire inftance : & dans cette efpéce de combat qu'il a à foutenir contre fon Créateur, il devient fort à proportion qu'il s'abbaiffe à fes pieds. Iltire fa force de fa foi

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bleffe même fincérement reconnue & oblige enfin Dieu de s'avouer vaincu, & de le benir. CH.XXIV. Que peut craindre après cela de la part des hommes, celui qui a remporté la victoire contre Dieu même ? & quelle puiffance peut abbattre un jufte, que la bénédiction de Dieu rend invincible?!

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III. Si nous faifons réflexion que Jacob eft l'image, non feulement des Elûs mais encore de Jefus-Chrift leur chef; nous découvrirons dans la lutte de ce Patriarche contre Dieu, i myfiére tout autrement profond que celui qu'on vient de montrer puifque nous y verrons le myftére adorable de Jefus Chrift priant & s'immolant pour fes épouses, fes enfants, fes troupeaux, les ferviteurs; c'est-à-dire, en un mot, pour fon Eglife.

Jefus-Chrift après avoir paffé le torrent, étant Regleg. feul & à l'écart dans le jardin des Oliviers, lutte dans le fecret & fans témoins contre la rigueur de la juftice divine. Là, profondément abbaiffé devant fon Pére, il trouve en lui une févérité en apparence inexorable; une fainteté qui forme une féparation immenfe entre lui & l'ombre même du péché. Les inftances les plus pref fantes ne peuvent détourner le calice. La vérité de Dieu & de fes menaces, exige que le pécheur foit puni, & le Jufte même par excellence, s'il eft fa caution.

Mais ce Jufte accepte avec un amour infini tout ce que la fainteté & la juftice de fon Pére exige de lui. Il s'offre aux plus indignes ignominies, aux plus cruelles douleurs, & à la mort la plus honteufe. Il eft frappé de Dieu; & terraffé par fa main appefantie fur lui; & c'eft en tombant par terre, & paroiffant vaincu qu'il devient victorieux de fon adverfaire. Sa

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mort défarme la juftice divine: le Pére avoué CH.XXIV. qu'il eft vaincu par l'humilité & la charité de fon Fils. A la pointe de l'aurore il lui donnera, en le ressuscitant, la bénédiction qu'il a demandée fur la croix avec des priéres & des fuppliHeb. s. 7. cations accompagnées de grands cris & de larmes. Mais cette bénédiction ne fera pas pour lui feul. Il l'a demandée pour tous ceux que Dieu lui a donnez; & elle eft le fruit de sa vitoire. Le Pére célefte, qui eft la fource de toute bénédiction, & de toute miféricorde, benira le chef & les membres, le premier-né & fes fréres, le pafteur & le troupeau, l'époux & l'époufe, le pére de famille & fes enfants.

Regle 7.

Ainfi Jefus-Chrift a rempli d'une maniére admirable la fignification des deux noms, Jacob & Ifracl, par la double victoire qu'il a remportée contre le Démon & contre Dieu.

A l'égard du démon, Jefus-Chrift a été Fa cob, c'est-à-dire, Supplantateur. Il a vaincu ce redoutable ennemi, & le monde dont il eft le roi, par l'artifice & la rule. Il lui a caché ce qu'il étoit, en s'enveloppant fous les voiles de fon infirmité apparente. Il l'a renversé en s'abbaiffant jufqu'à la terre & en paroiffant lui céder la victoire, & s'abbattre à fes pieds.

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Mais à l'égard de fon Pére, il agiffoit à visage découvert; & il étoit Ifrael, c'est-à-dire fort contre Dieu : & c'étoit même parce qu'il en étoit bien connu, qu'il étoit fi puiffant, & qu'il prévaloit contre Dieu. Car le moyen de ne pas tout accorder à un Fils égal en toutes chofes, qui s'anéantit devant fon Pére, en prenant la forme de ferviteur, & en s'humiliant par une obéiffance volontaire jufqu'à la mort de la croix? Il étoit jufte & glorieux à Dieu de céder à une telle violence, & d'abandonner les

droits & fes intérêts à un Fils fi digne de l'ado. rer, & fi zélé pour fa gloire.

CH.XXV.

Rien n'eft plus vrai, ni plus exact dans Jefus-Chrift, que ces paroles de l'Ange, Si vous Régle 7. avez été fort contre Dieu, combien plus le ferezvous contre les hommes ? Parce qu'il a été puiffant contre Dicu, & qu'il a furmonté fa colére en s'humiliant infiniment devant lui, il est devenu le maître de tous fes ennemis, qui lui ferviront de marchepied, & qui trembleront devant lui au jour de fa manifeftation & de fa gloire.

[1 fe profterna jufqu'à fept fois &c.] Jacob avoit été établi le Seigneur d'Efau ; & il parle & agit comme fon ferviteur. Mais c'étoit par fes humiliations mêmes qu'il devenoit le Seigneur de fon frère, ou du moins qu'il s'en afsuroit le privilége; parce qu'il étoit vrai dès-lorsque moyen de devenir le premier de tous,

le

étoit de confentir d'être le dernier de tous en

Gen. to. 4.

cette vie. C'est le partage des Elûs repréfentez Mat. 20. 26. par Jacob. Jefus-Chrift leur chef leur en a donné l'exemple, puifqu'il n'a voulu parvenir à sa gloire que par les humiliations d'un ferviteur.

Il eft très-remarquable que Jacob dans toutes les offres, les foumiffions, & les prières qu'il fait à Efau, ne dit rien de foible fur la bénédiction paternelle, qui étoit le fujet de leur différend. C'est un bien qu'il regarde comme inaliénable; & il eft prêt à tout perdre, plûtôt que d'y renoncer. Mais il lui dit bien clairement par fa conduire, qu'il ne prétend point faire valoir fes priviléges dans la vie préfente, & que fa grandeur, comme celle de JefusChrift, n'eft pas de ce monde. Il appelle Efau fon Seigneur il ne l'aborde qu'avec des refpects en apparence exceffifs : il lui parle avec Tome I.

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