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СНАР.

arriver à une bonne fin, d'employer des moyens tels que le menfonge & la calomnie? Et peutXXXII. on excufer l'affectation de mettre fa couppe dans le fac de fon frére, avec deffein de l'accufer de l'avoir dérobée, & de faire croire qu'il vouloit en punition le retenir pour efclave?

Queft. fur la
Gen. Liv. 1,

queft. 145.

Il feroit affurément fâcheux que Jofeph qui nous a paru jufqu'ici un modéle de vertu, pût être juftement accufé de menfonge & de calomnie. Car il s'enfuivroit de là, ou que le menfonge & les fauffes imputations feroient permifes, ou que la vertu de ce grand homme pas aufli pure & auffi parfaite que nous l'avons crû. Mais rien ne nous oblige de penfer ni l'un ni l'autre, parce qu'en effet il n'y a ici, non plus que dans la premiére entrevûe, ni calomnie, ni menfonge.

n'étoit

Les menfonges, dit S. Auguftin fur l'endroit même dont il s'agit, font des fauffetez avancées férieufement; & lorsqu'on dit en riant; & par maniére de jeu, des chofes qui ne font pas vraies, de telles paroles ne font pas regardées comme des menfonges. Voilà le principe de celui de tous les Péres de l'Eglife qui a combattu le menfonge avec le plus de force.

Ce principe eft fondé fur l'idée même du menfonge, qui enferme effentiellement de la mauvaife foi. Mentir, c'eft parler contre fa pénfée dans le deffein de tromper celui à qui l'on parle. Or il n'y a point de mauvaise foi dans ce qui fe dit en riant. Celui qui parle ainfi, ne veut tromper perfonne. Il montre la vérité dans le moment même, foit par fes geftes; foit par le ton de fa voix ; ou tout au moins il a deffein de la montrer, après l'avoir tenu quelque temps cachée. De tels jeux ont donc pour objet & pour fin la vérité, & par

conféquent ne font pas des menfonges.

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CHAP.

Or il eft évident que toute la conduite de Jofeph envers fes frères, depuis la premiére XXX II. fois qu'ils furent admis à fon audience, jufqu'au moment qu'il fe fit connoître à eux étoit une espéce de jeu, comme l'appelle faint Auguftin, mais un jeu conduit par des vûes très-fages, & pour une fin très-férieufe. Il leur parle comme à des étrangers, quoiqu'il les connoiffe: il les maltraite, quoiqu'il les aime : il les accufe, quoique perfuadé de leur innocence: il prend plaifir à les jetter dans l'incer titude & la perpléxité, par un mélange étudié de févérité & de douceur, de bienfairs & de mauvais traitements, qu'ils ne peuvent expliquer enfin par la couppe trouvée dans le fac de Benjamin, & par la réfolution où il paroît être de le punir, il leur caufe le plus grand embarras, & le plus cuifant chagrin qu'on puiffe imaginer. Mais le dénouement étoit proche: un mot, je fuis Jofeph, alloit tout éclaircir; & ce jeu, après avoir produit fucceffivement dans leurs cœurs les fentiments les plus vifs de crainte, de furprise, de confolation, d'efpérance, d'affliction, devoit finir la découpar verte inefpérée d'un frère auquel ils ne pènfoient plus, & par les témoignages de la plus tendre amitié, qu'ils alloient recevoir de lui.

Lors donc qu'il les tenoit dans cet état affligeant, qu'il a fait durer auffi long-temps qu'il a voulu, il ne prétendoit pas, dit S. Auguftin, les rendre malheureux, puifqu'il leur préparoit une Quest. 148. fi grande joie dans l'iffue de toute cette affaire: mais tout ce qu'il faifoit en retardant cette joie, avoit pour but de la rendre plus complette. Tout ce qui s'eft paffé entre lui & fes fréres avant fa manifeftation, ne faifoit avec cette manifesta

CHAP. XXXII.

Joan, f. 21

nal fupérieur. Image de la fouveraine autorité de celui qui dit: Le Pére ne juge perfonne : mais il a donné tout pouvoir de juger au Fils, afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Pére.

Le difcours de Juda, d'où font prifes les paroles qu'on vient d'expliquer, eft jugé par les plus grands maîtres un modéle de l'éloquence Gen. to. 5. la plus perfuafive & la plus touchante : & l'hiftoire entiére de Jofeph leur paroît pleine d'un art inimitable. Ces hommes habiles & judicieux ont raison. Mais il feroit dangereux de n'eftimer l'Ecriture qu'à proportion de ce qu'elle nous paroît éloquente, & qu'on y trouve les plus parfaits modéles de la maniére de toucher les hommes, & de les terminer. On s'expoferoit par là au péril de refpecter moins des endrors où elle eft plus fimple, & en apparence plus négligée, quoique dans ces endroits-là méme elle foit aufli divine que dans les autres, & qu'elle y cache fouvent de plus grandes profondeurs.

On s'expoferoit encore à un autre danger, en admirant trop les beautez de l'Ecriture par rapport à l'éloquence, qui feroit de négliger les chofes, & de n'être attentif qu'à la maniére dont elles font dites. Le deffein de Dieu, en nous parlant, n'est pas de plaire à notre imagination, ou de nous apprendre à remuer celle des autres mais de nous purifier, de nous convertir, & de nous rappeller à notre cœur. La vérité eft le fond des faintes Ecritures; & la charité en eft la fin. Quiconque en les lifant s'arrête à y chercher autre chofe que la ay vérité & la charité, n'y trouve qu'un vain amufement, qui le laiffe pauvre, aveugle, & miférable; lorfqu'il fe croit riche, éclairé, & heureux par l'étude & l'intelligence des beautez de ce livre divin.

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CHAPITRE XXXIII.

Jofeph fe fait connoître à fes frères, les raffure & les confole. Il les renvoie avec des prefents, & les charge d'amener fon pére en Egypte. Surprise & joie de Jacob à cette nouvelle. Gen. 45.

J

OSEPH ne pouvoit plus fe retenir; & comme il étoit environné de plufieurs perfonnes, il commanda qu'on fît fortir tout le monde. Alors les larmes lui tombant des yeux, il jetta un grand cri, & dit à fes fréres: Je fuis Jofeph mon pére vit-il encore? Aucun d'eux ne lui répondoit, tant ils étoient faifis d'étonnement. 11 leur parla donc avec douceur, & leur dit; Approchez-vous de moi. Lorfqu'ils fe furent approchez, il dit: Je luis Joseph votre frére, que vous avez vendu pour être emmené en Egypte. Ne vous chagrinez point, & n'entrez point en indignation contre vous mêmes, de ce que vous m'avez traité ainfi : car Dieu m'a envoyé avant vous dans ce paysci, pour vous conferver la vie. Ce n'eft donc pas vous qui m'avez envoyé ici; c'est Dieu; & c'est lui qui m'a rendu comme le père de Pharaon, le maître

CHAP.

:

tion & ce qui l'a fuivie, qu'un feul & même événement c'étoient deux portions d'un mêXXX II. me tout, dont les frères n'apperçûrent pas d'abord la liaison, mais qui avoient toujours été unies dans les vûes de Jofeph. Il faut donc, pour en juger felon la vérité, ne les voir que dans cette union; & alors il n'y aura plus de menfonge.

J'avoue néanmoins que le procédé de Jofeph, quoiqu'exempt de toute mauvaise foi, ne conviendroit guére à la gravité d'un homme auffi fage que lui; & que le récit qu'en fait l'Ecriture, ne paroîtroit pas digne de l'Esprit faint qui en eft l'auteur, s'il n'y falloit voir Queft. 145. que ce que la lettre nous présente. Il est vrai, dit S. Auguftin, qu'on lit toutes ces chofes avec d'autant plus de plaifir, que la furprise de ceux que Jofeph traite de la forte, eft plus grande. Cependant, fi ce jeu de la part d'un homme auffi grave, & auffi rempli de fageffe, ne fignifioit quelque chofe de grand; il ne s'en feroit pas fervi; tout ce détail ne feroit pas non plus rapporté par les divines Ecritures, dont l'autorité eft fi refpectable & fi sainte, & qui eft ft fort occupée à prédire les choses à venir. Il y a donc, felon ce faint Docteur, des tréfors cachez fous cette furface; & c'eft ce que nous tâcherons bientôt de découvrir. Il fuffit d'avoir montré ici que dans la maniére dont Jofeph s'eft conduit envers fes frères, il n'y a rien de contraire aux loix de la fincérité.

....

[Fuda prenant la parole, lui dit; Que répondrons-nous à mon Seigneur ? Dieu s'eft fouvenu des péchez de vos ferviteurs ; c'est-à-dire, Dieu nous punit, non pour le larcin- dont les hommes nous accufent, & dont nous fommes innocents; mais pour d'autres péchez que lui

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