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fantes Monarchies étoient toutes étonnées de " fe trouver dans la dépendance, & l'on ne pouvoit affez admirer qu'une feule ville âgée de quel- " ques fiécles fit la loi aux Etats les plus anciens & " les plus floriffans.

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Ce qu'il y a de fingulier, continue le même " Auteur, c'eft que ce fut à l'ombre & fous les aufpices de la liberté que les Romains mirent " dans l'esclavage une grande partie de l'Univers. Ils haïffoient mortellement la Royauté, le feul “ nom de Roi leur faifoit horreur, & ne pouvant fouffrir que toute une nombreuse societé le fou. " mît au caprice & au pouvoir arbitraire d'un feul homme, ils regardoient le fceptre avec le " dernier mépris. Cependant ces Panegyriftes éternels de la liberté étoient eux-mêmes les " oppreffeurs du droit naturel, & les tirans du " genre humain. Du même bras dont ils renver- " foient les Trônes, brifoient les Couronnes, anéantifoient l'autorité Monarchique, de ce " même bras on les voyoit établir par-tout un Defpotifme d'autant plus injufte, que les maî- " tres & les fujets étoient également affervis. De " forte que fous le voile de la juftice & de l'é- “ quité, les Romains contentoient leur ambition " infatiable, & en haine de la fervitude ils met- " toient le Monde aux fers. Un fuccès fi prodigieux ne manqua pas d'enfler l'orgueil de la “ République, & de lui infpirer cette fierté qu'elle conferva jufqu'à fon affujetissement. Ses Mi- " niftres faifoient trembler un Monarque jufqu'au milieu de fa Cour. Ils y parloient d'un ton haut, menaçant, terrible. La fortune redouta- « ble de l'Etat s'éxprimoit par leur bouche, & " le tour grave, concis fentencieux dont ils " s'énonçoient, faifoit fentir la toute-puiffance " de la Nation. Les Rois qui avoient eu le mal- « heur de fuccomber & de fubir le joug, ne gouvernoient plus que fous le bon plaifir de la Ré- "

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publique; elle leur avoit enlevé ce privilége f cher & fi précieux à tous les Princes, de n'être ,,refponfables qu'au Ciel de leur conduite & de leurs actions; obligés quelquefois d'aller comparoître en accufés devant le Sénat & trop heureux quand on les renvoyoit abfous. Cette hauteur fe répandit du corps fur les membres, & paffa du général au particulier. Un Bourgeois de Rome ne fe feroit déffourcillé pour un Prince ce Citoyen eftimoit plus fes droits municipaux que le timon d'un Gouvernement, &

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l'on a dit avec affez de raison Rome étoit que ,, une Ecole où les Monarques venoient apprendre, » que fans Couronne. & fans fujets on peut être fun perieur à la Royauté.

Mais cette puiffante République, lors même qu'elle commandoit à mille Nations, étoit elle bien maîtreffe d'elle-même ? Que fa profperité lui fut fatale, & qu'il lui coûta de fang pour maintenir fa précieuse liberté !

Depuis la ruine de Carthage, de Corinthe Conjura- & de Numance, Rome quoique toujours jalouse tion de de conferver fa gloire & fa puiffance au dehors, Catilina n'étoit plus la même parmi fes Citoyens. Ceux shap. 18. qui s'étoient auparavant montrés invincibles dans 19.20. les plus grandes difficultez, que les périls & les 23.24. fatigues n'avoient pu rebuter, qui dans plufieurs Florus rencontres avoient bravé la mort, ceux-là mêlivr 3 me fuccomberent fous le repos & fous l'opulenshap. 12. ce, & ce funefte changement fit que la République trouva fa perte dans fon bonheur, & fa ruine dans fon élévation. Le defir des richesses, qui devint dans la fuite la paffion dominanțe, s'éleva d'abord; l'ambition pour les honneurs & pour les dignitez parut enfuite, & l'une & l'autre furent la fource de tous les malheurs. L'avarice bannit la bonne foi, la juftice, la probité, & toutes les autres vertus, & à leur place elle introduifit l'orgueil, la cruauté, le mépris des

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Dieux & la vénalité de toutes chofes, L'ambition apprit l'art de trahir & de diffimuler, & d'employer adroitement le bien ou le mal pour venir à fes fins. Ces vices s'enracinoient peu à peu, quelquefois on les puniffoit; mais lorsque, comme une pefte, ils fe furent répandus par-tout, la ville changea de face, & le gouvernement de doux & de jufte qu'il étoit, devint cruel & intolerable.

Du commencement, l'ambition plutôt que l'avarice, occupoit les efprits, & quelques mauvais effets qu'elle ait produits, elle ne fut pas néanmoins le plus grand mal de la République, La Nobleffe & le Peuple s'efforçoient à l'envi d'illuftrer chacun fa Jurifdiction, c'étoit à qui marqueroit plus d'ardeur pour la gloire, pour les emplois & pour l'autorité ; & cette émulation faifoit quelque forte de bien à l'Etat. Il est vrai que i quelques uns y arriverent par des voyes droites & juftes, plufieurs auffi au défaut du mérite employerent l'artifice & la fourberie pour y par

venir.

Mais après que Sylla fe fut rendu le maître, l'ambition, l'avarice, le luxe, les violences & les rapines parurent avec ce qu'ils ont de plus affreux, l'intégrité s'évanouit, la juftice abandonnée de fes plus zélez partifans fe retira, la bonne foi & la probité disparurent, il fembloit que toutes les vertus des Romains fuffent confommées, il y avoit même une forte de honte à paroître vertueux. L'envie de s'enrichir devint le mobile de toutes les actions. L'un veut envahir des maisons, l'autre des domaines ;. les Vainqueurs ne gardent ni régle ni mesure, ils éxercent toutes fortes de cruautez envers les Citoyens. Sylla avoit lui-même donné lieu à tous ces défordres. Il avoit quitté l'ancienne févérité de la difcipline; & pour le faire aimer de l'Armée qu'il venoit de commander en Afie, il lui avoit per

mis toute forte de licence. Les lieux de délices où les foldats s'étoient trouvés tranquiles avoient adouci la férocité de leur efprit, leur courage s'étoit énervé. Enchantés des douceurs qu'ils y goûterent, ils s'étoient livrés à tout ce qui avoit pû les flater. Ce fut là qu'ils s'accoûtumerent à l'ivrognerie, à la bonne chere, au commerce des femmes. Ils y regarderent avec admiration les tableaux, les ftatues, les vafes cizelés; l'admiration leur fit naître l'envie de les avoir. Ils les déroboient fecretement, ou ils les enlevoient de force, & à la vue de tout le monde ; ils dépoüilloient les Temples de ce qu'ils avoient de plus précieux, & n'épargnoient pas plus le facré que le prophane. Ces fortes de foldats fe voyant les plus forts n'eurent aucun égard pour les vaincus. Il ne falloit pas s'attendre que des efprits fi corrompus ufaffent avec modération de la victoire, puifque les plus fages ont bien de la peine à fe contenir dans la profperité.

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Ainfi lorfque les richeffes commencerent à être eftimées, & que par leur moyen on arrivoit à la gloire, au commandement, à la puiffance, chacun perdit fes vieux fentimens, où l'habitude de la pauvreté n'avoit pas moins de part que la vertu. On regarda la pauvreté comme une infamie, l'innocence paffa pour un crime, le génie d'interêt prit la place de celui de l'honneur, l'amour des plaifirs fucceda à cette valeur indomptable, le faste fit difparoître la fimplicité. Ce n'étoit plus ces braves Romains qui mettoient toute leur gloire à affronter les périls & la mort, & qui cherchoient à s'immortalifer par de belles actions, c'étoit des hommes lâches & efféminés qui s'amufoient à fencherir, les uns les autres, fur la dépenfe & fur la fomptuofité; c'étoit à qui auroit une table plus richement fervie, des mets plus éxquis, des équipages plus fuperbes, un domeftique plus nombreux; à qui rafineroit mieux

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fur les plaisirs, & en inventeroit de plus nouveaux. Les hommes fe proftituoient comme les femmes & cette efpece de volupté les flatoit d'autant plus, qu'elle étoit criminelle, & contre l'ordre de la nature. Ce n'étoit plus à qui foutiendroit mieux les fatigues, mais à qui préviendroit plûtôt fes béfoins. On fe livroit au fommeil avant que la nature le demandât; la molleffe faifoit courir au-devant de la faim, du froid, & de la laffitude. On portoit à l'envi les habits les plus magnifiques, on recherchoit les meubles les plus précieux, & la magnificence des maifons l'emportoit fur celle des Temples. Dans ce défordre général, chacun agiffoit diversement felon la diverfité de fa condition. Ceux qui avoient quelque diftinction, vouloient acquerir de l'autorité les ames baffes fe contentoient d'amaffer du bien par toutes fortes de voyes. Les riches donnoient avec profufion pour éxecuter leurs deffeins, ceux que la fortune favorifoit le moins, cherchoient à se. défaire d'une pauvreté devenue incommode. Ils fe donnoient au plus offrant, & vendoient leurs fuffrages. Le mérite n'étoit d'aucun fecours pour monter aux charges & aux emplois, ce n'étoit plus qu'intrigues, que factions, que partialitez dans le Sénat, comme parmi le peuple. Enfin cette fuperbe ville que toutes les vertus fembloient auparavant avoir choifie pour leur retraite, n'étoit plus que le féjour du vice & du crime.

Il n'eft perfonne qui ne s'apperçoive que cette orgüeilleufe République va tomber. Ne pouvant plus conferver l'union, ne falloit-il pas qu'elle pérît ? Elle étoit au comble de fon élévation, & dans la elle n'en pouvoit plus foûtenir le poids.

a Salufte

conjuraDéja l'on confpire fa ruine. a Un Citoyen di- tion de ftingué par la naiffance, & que fon luxe & fes Catilina. diffolutions avoient rendu également pauvre & livre 4. criminel, pour se dérober à la justice, & pour chap. Is

Florus

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