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n'ofe. Il se regarde comme un monftre digne de la haine publique, il s'imagine qu'on a déja prononcé fon Arreft, & qu'il n'arrivera point, fans être maffacré. Ses flateurs n'oublient rien pour le guérir de fa crainte, ils lui perfuadent qu'il peut retourner en affurance, & qu'il trouvera l'affection des peuples redoublée par la mort même de fa mere. En effet, Neron revient à Rome, où il entre comme en triomphe. Le Sénat & le Peuple fe répandent en louanges, en félicitations, en remercimens, il eft furpris de la lâcheté de fes fujets qui le reçoivent avec les tranfports de la joye la plus vive, & qui approuvent a Smetone fon inhumanité, a tandis que fa propre con-, fcience lui en fait les plus cruels reproches, & ne lui permet pas d'être tranquille.

ibid

A fon retour de la Gréce, où il s'étoit fi fort: décrié par fes infamies & 2 par toutes fortes de. bid.ibid. baffeffes,b ne fit-il pas dans Naples, dans Ancap. 25. tium, dans Albe, mais fur tout dans Rome, l'entrée la plus triomphante qu'on y eût jamais vûë ? La ville étoit toute pleine de fleurs, de couronnes de flambeaux, & de parfums pour témoi gner l'allegreffe publique de fon retour. Ce n'é-. toient qu'applaudiffemens, que cris, que joye, que battemens de mains, qu'acclamations pleines de flatteries: à Neron Apollon, à Neron Her: cule, à l'Incomparable Vainqueur.

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Tout cela ne fervoit qu'à rendre Neron plus Dion barbare & plus débauché, a Il crut que tous les Wb. 61. crimes & tous les vices lui étoient permis, & qu'après avoir été loué de fon parricide. il ne pouvait dans la fuite rien. faire de fi cruel & de fi abominable qui ne fût applaudi.. Ainfi non content de faire périr mille innocens, il voulut gouter toutes les douceurs qu'on le peut.. imaginer dans les plus infâmes voluptez, Barmi fes favoris, c'étoit à qui inventeroit chaque jour de nouveaux plaifirs, & lui procureroit de plus

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tiré des

Oeuvres

mont.

grandes débauches pour lui rendre la vie plus délicieufe, & le dérober à fa raison. On en peut juger par le fuperbe feftin que lui fit Tigellinus, a ce lâche favori auffi cruel & auffi corrom- a Dion pu que fon maître. "Il femble que ç'ait été lib. 62. le dernier effort de la fomptuofité & de la dé, «b Ceci es licateffe, & que la fenfualité n'ait pu aller " plus loin. On choifit l'étang d'Agrippa pour mélées de ce feftin extraordinaire. On le fit fur une bar- " M. de S. que fuperbe, laquelle tirée par quantité d'au- « Evretres fembloit le mouvoir infenfiblement. " Toutes ces barques paroiffoient enrichies d'or " & d'ivoire : les rameurs étoient autant dé beaux " garçons, ou, pour mieux dire, autant d'A- « mours. L'Ocean avoit fourni le poillon de ce repas; & les Provinces de l'Empire, la diver- " fité des viandes. En un mot, l'abondance y étoit égale à la délicateffe. Je ne parle point des maisons infâmes élevées fur les bords de " l'étang, & qui furent remplies de Romaines de " grande condition. Je ne parle point des Cour- a tifanes qu'on y vit dans tous leurs attraits. La " nuit même fervit au plaifir de cette débau- «h che fes ténébres furent combattues par une infinité de lumieres ; & fon filence agréablement troublé par l'harmonie de plufieurs con

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certs.

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Cependant au milieu de tous fes plaifirs Neron n'étoit point fatisfait, il y portoit le fouvenir de fes crimes, & les remords de fa conscience. Son cœur étoit toujours ferré & flétri, & toujours agité de defirs nouveaux. Sa plus grande reffource étoit de s'entretenir dans une yvreffe continuelle, ne craignant rien tant que d'avoir un intervalle de raison tranquille.

Enfin l'Univers, après avoir gémi près de qua- cSuetone torze ans fous la tirannie de ce Prince, fe laffe in Neron de le fupporter, c L'Armée des Gaules fous la Dion, libe conduite de Vindex, & celle d'Espagne fous les. 62.

cap. 40.

ordres de Galba fe révoltent; elles ne peuvent plus fouffrir une domination fi cruelle & fi hona Suetone teufe. Ces nouvelles a mettent Neron au défefles fuites lui en feront fu

37.c.2.

47.

ibid. poir, il prévoit que Pline,lib. neftes ; on le voit auffi rampant qu'il étoit fier Dion, lib. & hautain; dans la crainte que l'autorité abso63. lue ne lui échappe, il femble que la tête lui b Suetone tourne. Il forme mille réfolutions, & n'en éxéibid. cap. cute aucune. Tantôt il veut s'empoifonner, tantôt il veut aller trouver Galba, se jetter à ses pieds comme un fuppliant, & attendrir les foldats par fes larmes; tantôt il eft prêt de monter fur la Tribune aux Harangues en habit de deuil, pour éxciter la compaffion du peuple, & demander pardon du paffé. Mais Rome ayant eid.ibid. pris le parti des rébelles, il fe trouve tout d'un coup abandonné. Il cherche fes Gardes, & ne les trouve plus. Obligé de prendre la fuite, à peine quelques-uns de fes plus fidéles Affranchis daignent-ils le fuivre. Il prie qu'on lui ôte le jour, & perfonne ne lui veut rendre ce dernier office Hé quoi, s'écrie-t-il, je n'ay done ni ami, ni ennemi ! Dans fon désespoir, il court vers le Tibre comme pour s'y précipiter; fitor id.ibid. qu'il eft arrivé fur le bord, d'il revient fur fes ap. 48. pas. Nuds pieds, en chemise, couvert d'un vieux

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manteau tout usé, & la tête envelopée d'un moucheoir, il monte à cheval, fuivi feulement de quatre perfonnes, entre lefquelles étoit Sporus, & fe hâte d'arriver dans la maifon de Phaon l'un de fes Affranchis. Après quelques lieues de chemin, il eft contraint de mettre pied à terre, de marcher fur les ronces & fur les épines, & de boire de l'eau bourbeufe pour fe défalterer. Las, fatigué, preflé par la faim & par la foif, & dans l'état le plus déplorable qu'on puiffe fe répréfenSuetone ter, il arrive chez Phaon, où il trouve pour touibid. cap. te nourriture quelques morceaux de mauvais pain, & de l'eau tiede, e Ceux qui font auprès

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de lui l'éxhortent à fe donner à la mort, pour prévenir les maux & les affronts qui le ménaçoient; il feint d'approuver leurs confeils, il prend la mesure de fon corps, & ordonne la cérémonie de fes obféques. A chaque parole qu'il prononce, il verfe un torrent de larmes, & furtout lorsqu'il s'écrioit, faut-il qu'un fi bon joueur d'inftrumens périffe! Se voyant prêt de tomber entre les mains du Sénat qui le faifoit chercher pour le punir par le fupplice le plus cruel & le plus infamant, il prend deux poignards dont il s'étoit muni, & après en avoir effayé la pointe, il les remet au même lieu où il les avoit pris, & demande que quelqu'un veüille bien fe tuer, afin de l'enhardir par fon éxemple. Tantôt il fe reproche fa lâcheté, tantôt il appelle à fon fecours la cruelle mort, qui eft fourde à fes prieres, & qu'il n'a pas le courage de fe donner. Enfin il reprend un poignard qu'il porte à sa gorge d'une main tremblante, & n'ayant pas affez de coeur pour fe l'enfoncer lui-même, un de fes Affranchis lui conduit le bras, & l'aide à fe délivrer d'une malheureufe vie, qu'il ne pouvoit fe réfoudre à quitter. Ainfi meure l'infâme & cruel Neron après avoir facrifié à fa fureur & à fon divertiffement tant de victimes innocentes il ést forcé de répandre fon propre fang, ne trouvant point d'autre bourreau plus digne de lui que lui même. Sa mort n'eft regretée de perfonne, elle fait au contraire a la joye publique ; & fa a Suetone mémoire eft en éxécration par toute la terre.

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ibid. cap.

Mais je ne m'apperçois pas que j'entre dans 17. un trop long détail, & qu'en fuivant mon idée, au lieu d'une Differtation courte & fimple, je ferois infenfiblement un Volume entier. Je vais donc, pour ne point abufer de la patience du Lecteur, m'écarter du deffein que je m'étois propofé, & expofer en peu de mots quelle fut depuis la mort de Neron la fituation de l'Empire jufqu'à fa divifion.

Après la mort de Neron, le Sénat déja accou tumé à l'autorité des Empereurs, fans fe mettre en peine de rétablir la Liberté, fe contenta de difpofer de l'Empire, & choifit Galba pour le gouverner, Les Cohortes Prétoriennes voulurent en difpofer elles-mêmes: comme elles dételtoient l'avarice de Galba, elles ne lui permirent pas de regner longtems; elles l'affaffinerent au bout de fept mois, & proclamerent Empereur Othon, celui-là même qui avoit été le plus cher confident de Neron, & qui s'étoit infinué dans fes bonnes graces par la conformité de les mœurs avec celles de ce Prince: il ne regna que trois mois. Les Légions des Provinces ne purent ceder aux Prétoriens le droit qu'ils s'étoient attribué; elles voulurent fe l'approprier, & difpofer auffi de l'Empire. Mais la divifion fe mit entr'elles, les unes nommant un Empereur, & les autres un autre. Ce ne furent par la fuite que malfacres & guerres civiles. S'il fe trouva d'éxcellens Princes qui fçurent concilier les efprits, & remettre l'Empire dans fa véritable fituation, comme firent Titus, Trajan, Adrien, Antonin, & quelques autres; outre qu'ils furent en petit. nombre c'eft qu'ils laiffoient fouvent des fucceffeurs qui ne leur reffembloient en rien. D'ailleurs il n'y avoit plus de fucceffion affeurée pour l'Empire; le Sénat étant devenu lâche & fans. fotce, le Peuple fans autorité, les Provinces fous: le joug des Légions, & Rome fous celui des Prétoriens, les foldats s'attribuoient le pouvoir injufte & violent d'ôter ou d'établir à leur gré les Empereurs. Comme l'interêt, la faction, ou le caprice, faifoient la régle de leur choix, rarement ils avoient égard au mérite ou à la naiffance ; ils donnoient l'Empire au plus offrant & le maffacroient prefqu'auffitôt qu'ils l'avoient: proclamé, afin de tirer plûtôt de l'argent de quelqu'autre à qui ils ne faifoient pas meilleur,

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