Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Comme le goût des belles lettresn'avoit pas encore paffé dans l'Efpagne,& qu'on n'y enfeignoit alors qu'une Philofophie auffi peu utile que confufe, & une Theologie fe. che & barbare, qui n'étoient admirées que de ceux qui ne les entendoient pas Ximenez aprés avoir avalé la pouffiere du Colege, & en ayoir foufert durant quinze ans tous les dégoûts, n'en fortit ni fort fatisfait de lui-même, ni fort content du tems qu'il avoit emploié à aprendre des chofes qu'il lui faloit oublier, pour ainfi dire, s'il vouloit fe rendre propre aux fonctions de la vie civile. C'est pourquoi, comme il avoit naturellement le goût fort bon il changea de fui-même la metode & l'objet de fes études. Il s'apliqua à celle de la Jurifprudence civile & Ecclefiaftique, & à celle des langues Orientales: 11 y joignit enfuite la lecture des Poëtes & des Orateurs, & il y réüffit fi bien, que pas un ne le furpaffoit dans toutes ces

,

fciences, ni ne l'égaloit dans fa maniere d'écrire & de s'exprimeg également delicate & élegante.

Mais Ximenez, pour s'être rendu l'un des plus habiles hommes de toute l'Espagne, n'en étoit pas plus à fon aife Il ne trouvoit aucune reffource ni dans fa famille, dont la pauvreté étoit augmentée par le grand nombre d'enfans qui étoient nais aprés lui; ni dans la liberalité des Grands. Comme ils ne s'ocupoient alors qu'à faire la guerre aux Ennemis de l'Etat, & le plus fouvent entr'eux, ils ne pouvoient avoir qu'une tres-grande indiference pour les Sciences, & tres-peu de confideration pour ceux qui en faifoient profeffion.

Cette vie obfcure & refferrée ne s'accommodoit nullement ni avec. Pambition naturelle de Ximenez, qui n'étoit pas mediocre, ni avec les, preflentimens fecrets qu'il eur toute fa vie de la grandeur à laquel le il étoit deftiné, Il fentit deflors du degoût pour fa patrie, & refo

lut d'aler chercher ailleurs un établiffement qu'il defefperoit de trou, ver dans la Caftille: c'étoit pourtant le lieu où il devoit faire une fortune des plus prodigieufes que jamais un particulier ait faite...

Mais Ximenez étoit bien em, baraffé fur les moiens d'executer: le deffein qu'il avoit conçu. Il n'avoit ni l'équipage ni l'argent necellaire pour fournir au frais d'un lang voïage: Sa maison fe trouvoit dans une impuiffance abfoluë de lui fournir l'un & l'autre : il avoit le cœur grand, & naturellement énemi des baffeffes qui font les fuites ordinaires de la pauvreté : & il étoit d'ailleurs trop honnête homme pour voïager en Chevalier de l'induftrie; quoi que ce fût un mêtier fort ordinaire à ceux de fa nation.

[ocr errors]

Le feul remede qu'il trouva à cet inconvenient, fut de publier qu'il enfeigneroit le Droit à tous ceux qui voudroient le venir entendre. Sa reputation lui atira bien

tôt un grand nombre d'auditeurs, & en affez peu de tems ii fit la fomme dont il avoit befoin pour faire le voïage de Rome.

Cetto capitale du Chriftianisme pafloit alors, comme elle fait encore aujourd'hui, pour le lieu du monde où ceux qui avoient einbraffé l'état Ecclefiaftique pouvoient en moins de tems faire la plus grande fortune,, & Ximenez de fon côté ne manquoit d'aucune des qualitez qui pouvoient le met

tre en credit.

Son voiage fut d'abord affez heureux. Il traverfa une grande partie de l'Efpagne & tout le Languedoc fans aucun mauvais rencontre. Mais à peine étoit-il entré dans la Provence qu'il fe vit ataqué par des voleurs qui le devaliferent, & lui laifferent à peine l'habit qu'il portoit. Ce contre tems, qui penfa le déconcerter n'eut pas pourtant toutes les facheufes fuites. qu'il fembloit d'abord lui devoir caufer. Il rencontra à Aix, où la

[ocr errors]

neceffité à laquelle il étoit reduic F'avoit obligé de s'arrêter, un Gentilhomme Caftillan qui s'en aloit à Rome comme lui. Ce Gentilhomme le voïant trifte lui en demanda le fujet. Ximenez lui avoüa ingénûment qu'il ne s'étoit trouvé de fa vie dans un état fi facheux,qu'aïant été volé, il fe trouvoit fans argent, dans un païs étrangers dont il ignoroit la langue & où il n'avoit aucune refource que pour comble de malheur il étoit trop avancé pour retourner fur fes pas, & trop éloigné de Rome pour pouvoir continuer fon voiage.

Pendant que Ximenez racontoit l'accident qui lui étoit arrivé, il remarqua que le Gentilhomme le regardoit avec cette atention dont on regarde d'ordinaire ceux que l'on croit avoir autrefois connu. Ximenez de fon côté s'imagina la même chofe. Ils ne fe trompoient pas, car aprés s'être fait quelques queftions, ils fe reconnurent pour avoir étudié ensemble à Salamanque.

« AnteriorContinuar »