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»gagé de tout embarras & de tout fouci, à élever » ma tête, comme un homme libre, au-deffus de » tous les obstacles, & à ne plus regarder que le » ciel comme ami de Dieu, fans que rien de tout » ce qui arrivera foit capable de m'ébranler ». ( Là (Là méme, page 272.) ὅτι ἐμοὶ = δυναμένων.

E

CHAPITRE XV I.

Objets dignes de notre eftime.

I.

Ce qui rend l'homme estimable, n'est pas d'être pouffé des vents, comme les plantes; ni de respirer, comme les animaux privés ou fauvages; ni d'avoir une imagination propre à recevoir l'impreffion des objets, ni d'être fecoué par fes appétits, commé une marionnete l'eft par les cordons qu'on tire ou qu'on lâche; ni d'être un animal de compagnie, ni de favoir prendre de la nourriture; car fe nourrir & rejetter ce qu'il y a de fuperflu dans les alimens, ce font des fonctions de même genre.

Qu'est

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Qu'est-ce donc qui honore véritablement l'homme? Eft-ce d'être accueilli avec des battemens de mains? Non; ni par conféquent de l'être avec des acclamations & des louanges, puifque les acclamations & les louanges de la multitude ne font que du bruit. Laiffons donc là toute cette méprifable gloire.

Que refte-t-il qui diftingue & releve en effet un homme? C'eft, à mon avis, de favoir diriger & contenir tous les mouvemens de fon ame, au point de ne faire que des actions propres à la conftitution d'un être raisonnable; imitant en cela les gens d'art & de métier, qui n'ont point d'autre objet que de faire toutes les préparations convenables à l'ouvrage pour lequel ils les font. Tel eft l'objet du jardinier, du vigneron, de celui qui dompte des chevaux ou qui dreffe des chiens. A-t-onun autre but dans l'éducation & les inftructions qu'on nous donne ?

Voilà donc ce qui rend l'homme véritablement digne d'eftime; & fi tu parvenois P

une fois à cette perfection, tout autre ob jet te deviendroit indifférent.

Quand cefferas-tu de faire cas de tant d'autres chofes? Tu ne feras donc jamais libre, ni content de toi, ni exempt de trouble; car tu auras néceffairement de l'envie, de la jaloufie, des foupçons contre ceux qui pourroient t'enlever ces biens imaginaires; tu tendras même des piéges à ceux qui poffedent ce que tu eftimes tant. Or, il eft impoffible qu'avec de tels defirs on ne foit pas dans le trouble, & qu'on ne murmure pas contre les dieux; au lieu que l'homme qui honore & refpecte uniquement fon ame, eft toujours content de lui-même, agréable aux autres hommes & d'accord avec les dieux; c'est-à-dire qu'il les remercie de tout ce qu'ils lui envoient & qu'ils lui avoient destiné. (VI. 16.) τίμιον = διατελάχασιν.

I I.

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Garde-toi de jamais eftimer, comme un bien qu'il te feroit utile de pofféder, ce qui t'obligeroit un jour à manquer de foi, à

violer la pudeur, à haïr quelqu'un, à le foupçonner, à le maudire, à le tromper, enfin à defirer des chofes qui ont besoin de voiles & de murailles pour être cachées. Celui qui donne le premier rang d'eftime à son ame, à ce génie divin qui l'éclaire & au facré culte des vertus qui lui conviennent, ne fait pas comme les héros de tragédie; il ne pouffe point de gémiffemens fur fon fort. Il n'évitera ni la folitude, ni le grand monde, & fur-tout il paffera fa vie fans, rien ambitionner ni craindre, fe mettant peu en peine fi fon ame fera pendant un court ou un long espace de tems enveloppée d'un corps. Il feroit auffi prêt à mourir dans le moment, s'il le falloit, qu'il eft prêt à remplir toute autre fonction décente & honnête. Il ne craint que d'omettre pendant le cours de fa vie quelqu'une des fonctions propres à un être intelligent & fociable. (ΙΙ. 7. ) μὴ γενέσθαι.

I I I.

Penfe très-fouvent combien il eft mort

d'hommes de toute efpece, de toutes pro feffions, de tous pays, de toutes nations. Parcours les premiers tems jufqu'à ceux de Philiftion (contemporain de Socrate), de Phoebus, d'Origanion. Confidere ensuite les autres claffes d'hommes.

C'eft donc là qu'il faut nous rendre tous: où fe font déja rendus tant de grands orateurs, tant de graves philofophes, Héraclite, Pythagore, Socrate; tant de héros de l'antiquité; après eux, tant de capitaines, & de rois, & avec ceux-ci les aftronomes Eudoxe & Hypparque, le géometre Archimede, & tant d'autres génies célebres feur pénétration, leurs grandes pensées, leur amour pour le travail, ou bien par leurs fubtilités & leur orgueil; où sont encore ceux qui ont parlé avec dédain de cette vie mortelle & de fi courte durée, tels que Menippe, & bien d'autres.

par

Songe que tous ces gens-là font morts depuis long-tems. Qu'y a-t-il de fâcheux pour eux & pour tant d'autres dont les noms font oubliés ? Il n'y a donc ici bas

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