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NOTES.

La philofophie des ftoïciens roule fur deux fondemens qui la caractérisent; le premier, que ce qui conftitue l'homme c'est fon ame; l'autre, que ce qui n'eft pas l'ame de l'homme doit lui être indifférent. Le premier de ces principes avoit été établi avant Marc-Aurele, par Platon, dans fon premier Alcibiade; & le fecond, qui est une fuite du premier, par Epictete. MarcAurele les a fuppofés tous deux, & il y fait fouvent allufion.

I. Voici le paffage de Platon dans fon premier Alcibiade, traduit par M. Dacier.

<< SOCRATE.... Avec qui vous entretenez-vous » préfentement? Eft-ce avec quelqu'autre qu'avec » moi? ALCIBIADE. Non, c'eft avec vous. SOCR. »Et moi-même je ne m'entretiens qu'avec vous. » C'eft Socrate qui parle ; c'eft Alcibiade qui » écoute. ALCIB. Cela eft vrai. SoCR. C'est, en fe »fervant de la parole, que Socrate parle; car » parler, & se servir de la parole, ce n'est qu'un. »ALCIB. Sans difficulté. SOCR. Celui qui fe fert » d'une chofe, & la chofe dont il fe fert, ne font

»ils pas différens? ALCIB. Comment dites-vous? » SOCR. Un cordonnier, par exemple, qui se sert » de tranchets, de formes & d'autres inftrumens, » coupe avec fon tranchet, & il eft différent du > tranchet dont il coupe. Un homme qui joue de » la lyre n'est pas la même chose que la lyre dont »il joue. ALCI B. Certainement. SOCR. C'eft » ce que je vous demandois tout à l'heure, fi celui » qui fe fert d'une chofe, & la chofe dont il fe »fert, vous paroiffent deux chofes différentes? » ALCIB. Cela me paroît. SOCR. Mais le cordon>> nier ne fe fert pas feulement de ses inftrumens; » il fe fert auffi de fes mains. ALCIB. Sans doute. » SOCR. Il fe fert auffi de fes yeux? ALCIB. Affu» rément. SOCR. Nous fommes tombés d'accord » que celui qui fe fert d'une chofe eft toujours dif»férent de la chose dont il fe fert. ALCIB. Nous »en fommes tombés d'accord. SocR. Ainfi le » cordonnier & le joueur de lyre font autre chose » que les mains & les yeux dont ils fe fervent tous » deux. ALCIB. Cela eft fenfible. SOCR. L'homme » se sert de son corps. ALCIB. Qui en doute? » SOCR. Ce qui fe fert d'une chose est différent » de la chofe dont il fe fert? ALCIB. Oui. SOCR.

» L'homme eft donc autre chose que fon corps? » ALCIB. Je le crois. SOCR. Qu'est-ce donc que » l'homme ? ALCIB, Je ne faurois vous le dire,

Socrate. SOCR. Vous pourriez au moins me » dire que l'homme eft ce qui fe fert du corps. » ALCIB. Cela eft vrai. SOCR. Y a-t-il quelqu'autre »chose qui se serve du corps que l'ame seule ? » ALCIB. Non, il n'y a qu'elle. SOCR. Il n'y a » qu'elle qui commande ? ALCIB. Très-certaine»ment. SOCR. Et il n'y a perfonne, je crois, qui »ne foit forcé de reconnoître.... ALCIB. Quoi? » SOCR. Que l'homme eft une de ces trois chofesci: ou l'ame, ou le corps, ou le compofé de » l'un & de l'autre. Or nous fommes convenus » que l'homme eft ce qui commande au corps. » ALCIB. Nous en fommes convenus. SOCR. >>Qu'est-ce donc que l'homme? Le corps fe » commande-t-il à lui-même ? Non; car nous. » avons dit que c'est l'homme qui lui commande : >> ainfi le corps n'eft pas l'homme. ALCIB. Il y a apparence. SOCR. Eft-ce donc le compofé qui > commande au corps ? Et ce compofé, feroit-ce >> l'homme? ALCIB. Cela fe pourroit. SOCR. Rien > moins que cela; car l'un ne commandant point; » comme nous l'avons dit, il eft impoffible que les » deux commandent ensemble. ALCIB. Cela eft » très-vrai.SOCR.Puifque ni le corps, ni le compofé » de l'ame & du corps ne font donc pas l'homme, »il faut de toute néceffité, ou que l'homme ne » foit rien abfolument, ou que l'ame feule foit

» l'homme. ALCIB. Très-affurément. SOCR. Faut » il vous démontrer encore plus clairement que »l'ame feule eft l'homme? ALCIB. Non, je vous » jure, cela eft affez prouvé...... SOCR. Ainfi >> donc c'eft un principe fort bien établi que lorf»que nous nous entretenons ensemble vous & »moi, en nous fervant du discours, c'est mon >>ame qui s'entretient avec la vôtre? Et c'eft ce >>que nous difions il n'y a qu'un moment, que » Socrate parle à Alcibiade en adreffant la parole, »non pas au corps qui eft expofé à mes yeux, » mais à Alcibiade lui-même que je ne vois point, » c'est-à-dire, à fon ame. ALCIB. Cela eft évi»dent. SOCR. Ainfi, pour revenir à notre prin>>cipe, tout homme qui a foin de fon corps a »soin de ce qui eft à lui, & non pas de lui. »ALCIB. J'en tombe d'accord. SoCR. Tout >> homme qui aime les richeffes ne s'aime ni lui, »ni ce qui eft à lui; mais il aime une chofe en>> core plus éloignée, & qui ne regarde que ce » qui eft à lui. ALCIB. Il me le femble, &c. &c».

II. Symplicius, dans la préface de fon commentaire fur le manuel d'Epictete, a rapporté la fubftance de tout ce paffage de Platon, comme fervant d'introduction aux regles générales qu'Epictete en a tirées dans

fon manuel. On trouve ces regles au commencement de fon petit ouvrage, qui servit de regle monaftique à faint Nil, & à d'autres religieux, moyennant quelques petits changemens. Elles forment, comme on l'a dit, un fecond fondement à toute la morale des ftoïciens. On va les rapporter, d'après la traduction de M. Dacier.

<< De toutes les chofes du monde, les unes dé»pendent de nous, & les autres ne dépendent » pas de nous. Celles qui en dépendent font nos » opinions, nos mouvemens, nos defirs, nos in»clinations, nos averfions en un mot toutes >> nos actions.

» Celles qui ne dépendent point de nous font, le corps (1), les biens, la réputation, les digni»tés, en un mot toutes les chofes qui ne font pas du nombre de nos actions.

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» Les chofes qui dépendent de nous font libres »par leur nature: rien ne peut les arrêter, ni leur faire obstacle; & celles qui n'en dépendent

Les fenfations, la végétation, l'organisation du corps ne dépendent pas de nous; mais notre ame se sert du corps comme d'un inftrument qu'un autre ouvrier auroit fait; elle lui commande ce qu'elle veut, ou bien elle fe rend indépendante,

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