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fuprême. S. Auguftin a rendu cette juftice à Socrate & à fes disciples (1).

Platon & les Stoïciens (2) n'avoient vu dans le monde fenfible, que de la matiere & du mouvement. Ils avoient reconnu que la matiere n'a par elle-même aucune activité, puifqu'au contraire elle réfifte, de fa nature, au mouvement, à proportion de fa maffe. Si le mouvement étoit effentiel à la matiere, plus il y auroit de maffe dans un corps, plus il y auroit de forces vives réunies. Ils conclurent de là qu'il y avoit dans le monde un principe des mouvemens qu'on y voit; principe unique, universel, (puifque tous les mouvemens font de même nature,, l'un ne différant de l'autre que par la direction & la force) & principe tout autre que la matiere qu'il met en action.

De plus, ils s'apperçurent que tous ces mouvemens n'étoient pas confus; que par exemple, dans le corps humain & dans les

(1) De la cité de Dieu, VIII. 3. 4. 6.

(2) Plato in Phæd. de legibus, lib. 10. Seneca, epist. 65.

corps célestes, il y avoit parmi les mouve→ mens qui animent ces machines, différentes directions arrêtées, divers degrés de force, un ordre conftant & des combinaisons afforties aux beaux effets qui en résultent; ce qui leur fit connoître avec une parfaite évidence, que ce principe, quel qu'il fût, fans lequel le monde n'existeroit pas tel qu'on le voit, n'étoit nullement un principe aveugle; qu'il étoit doué d'intelligence, de raison, de volonté, libre & puiffant au plus haut degré, &c.

Mais quelle eft, en elle-même, la substance du principe univerfel & invisible auquel ces attributs appartiennent?

Hélas! en donnant à l'homme une extrême curiofité de tout favoir, l'Auteur de la nature ne lui accorda que la faculté de connoître en partie les propriétés des causes, & leurs différences : ce qui nous réduit à dire plutôt ce que chacune d'elles n'eft pas, que ce qu'elle est.

En quoi confifte la matiere? Quelle est l'effence de notre ame? Quelles font les

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loix de fon union avec le corps? Qu'est-ce que c'eft que l'ame des bêtes, &c. &c. &c? Nous l'ignorons entierement, quoique nous connoiffions avec certitude, par la différence des effets que nous voyons, l'existence & la diverfité des causes qui les produisent.

Il est bien étrange que de tant de légiflateurs qu'il y a eu jufqu'à présent dans le monde, pas un feul n'ait fait, pour le repos & le bonheur des fociétés humaines, la plus utile de toutes les loix ! C'eût été d'ordonner aux hommes, fous les peines les plus féveres, qu'ils euffent à contenir dans de juftes bornes leur curiofité naturelle, & leur défendre absolument de parler & d'écrire fur des chofes qui paffent la portée de l'efprit humain.

Que de livres fupprimés par-là, ou réduits à bien peu de pages! Que de diffenfions prévenues! Que de fang humain épargné !

Marc-Aurele fut bien plus retenu que ne l'avoient été avant lui tous les philofophes,

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à parler de la nature de l'Être fuprême.

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La plupart des ftoïciens avoient dit que la caufe premiere étoit ou un feu, ou une forte de feu univerfel (1), dont le fiége principal étoit au plus haut des airs. Jamais Marc-Aurele n'adopta cette fuppofition. Il dit même le contraire. IV. 4. Il penfoit comme les platoniciens. Il a feulement employé une grande diverfité d'expreffions & d'analogies pour défigner cette premiere cause, dont il n'a fait qu'indiquer la nature par fes propriétés & fes effets, fans avoir eu la témérité de vouloir la définir.

D'abord il l'appelle fimplement cause (atia), c'est-à-dire, caufe par excellence. Il l'appelle encore caufe divine ou caufe premiere, ou être fuprême (hegemonicon) (2).

Et pour écarter toute idée de matérialifme, il défigne très-fouvent cette cause premiere par les mots de raison, d'efprit,

(1) Voir S. Augustin, de la cité de Dieu, liv. 8, chap. 5. (2) IX. 6. VIII, 27. IX. 1. VII. 75. VI. 36. IX. 22. 26.

d'intelligence (logos, noos, dianoia). La raison, dit-il, qui gouverne la substance de l'univers.... La raifon qui pénetre & adminiftre toutes chofes.... L'efprit qui a tout difpofé dans le monde (1).... L'efprit & la taifon font tout ce qu'ils veulent.... L'intelligence de l'univers, &c (2).

Par le mot de nature Marc-Aurele entendoit la providence de l'être fuprême qui a fait la nature & qui la gouverne (3), ou bien par ce même mot & par celui de monde il vouloit exprimer la fécondité des productions naturelles, leurs changemens, leurs viciffitudes, leur ordre, fuivant les difpofitions primitives de leur auteur.

Tous les favans font d'accord que le nom de Jupiter eft une épithete qui signifie pere

(1) Il femble que les anciens concevoient l'efprit en général comme un principe de mouvement, & que par cette raison ils avoient fuppofé, avec Timée & Platon, un efprit créé moteur de toute la machine du monde, & un autre dans chaque aftre.

(2) VI. 1. 5. V. 32. IV. 46. V. 30. X. 33. IX. 28.

(3) II. 11. VII. 75. XI. 10. IX. 35. VII. 25. IV. 23. XII. 1. VI. 36. IX. 22.

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