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Sur quoi étoit fondée l'opinion de ces génies appellés dieux, qui, felon les anciens, conduifoient les aftres & veilloient fur les hommes?

Pourquoi Marc-Aurele, après les autres philofophes, donnoit-il à ces créatures le nom de dieux?

Pourquoi enfin Marc-Aurele leur offroitil des facrifices avec tout fon peuple, au lieu de l'en détourner?

Voici mes idées fur la premiere question. L'homme eft l'animal le plus intelligent & le plus industrieux qu'il y ait fur la terre. Son intelligence fe diftingue fur-tout en ce qu'il a lui feul la faculté de communiquer par la parole fes propres pensées, ce que l'efpece brute n'a pas, dans les claffes même des brutes qui ont les organes propres à parler, à qui on l'apprend, & qui paffent avec nous toute leur vie.

dans fon

L'industrie de l'homme eft fupérieure auffi, en ce qu'il invente, & que espece une génération ajoute souvent à l'induftrie de celle qui a précédé; au lieu

que l'industrie des abeilles (par exemple) eft toujours restée dans fon état primitif.

que

Mais fi, en confidérant cette échelle de tous les êtres animés qui peuplent la terre, la mer & les airs, nous remontons de bas en haut depuis l'huitre jufqu'à l'homme, de degrés d'intelligence! Comparons l'indufirie, je ne dis pas de l'huitre, mais des finges même & des castors, à ce que l'homme fait, à l'aide de fa feule raison & de fes deux mains : quelle fupériorité dans l'homme !

Cependant depuis l'homme jufqu'à l'intelligence fuprême, il reste un vuide immense à remplir; car l'intelligence humaine, malgré fa fupériorité fur celles de brutes, est bornée à nos befoins, à un très-petit nombre de connoiffances. Elle ne connoît parfaitement aucune effence des choses. C'est ce que l'on a fuffisamment expliqué dans la précédente note.

Quoi donc ! le principe de toute intelligence, ce principe infiniment puiffant, n’auroit-il rien fait de mieux que l'intelligence

très-bornée de l'homme? Quoi! la terre que nous habitons n'eft qu'un point dans J'univers; & parmi tous les êtres qui compofent fon vafte affemblage, l'homme seroit, après le créateur, la premiere & la seule efpece raisonnable? & le feroit au plus haut degré qu'une créature puiffe l'être ?

C'eft.ce que les premiers fages de l'antiquité, ces fages qui, à mesure qu'ils étoient plus éclairés, fe fentoient plus refferrés dans un cercle étroit de connoiffances, ne purent concevoir, ni admettre comme poffible. Ils conclurent.de-là qu'il exiftoit entre Phomme & le créateur un très-grand nombre d'intelligences plus parfaites les unes les autres, & toutes fupérieures à celle

que

de l'homme.

Une nation privilégiée, que Dieu éclaira d'une révélation expreffe, donna le nom d'anges de divers ordres, à ces intelligences intermédiaires entre Dieu & l'homme. Ce font les envoyés & les miniftres du trèshaut. Elle leur donna le nom de dieux (Elhoim). Tous les favans en conviennent.

Les fages des autres nations placerent

les intelligences fupérieures à l'homme; d'abord dans le foleil, cet aftre qui, par les ordres du créateur, diftribue au monde la lumiere, la chaleur, la fécondité; enfuite dans la lune & les étoiles qui nous éclairent en l'absence de l'aftre principal: ils regarderent ces intelligences comme étant les principes créés & particuliers du mouvement des aftres, par analogie fans doute à la cause intelligente & particuliere qui dans l'homme tient le premier lieu, & lui fait exécuter des mouvemens volontaires. Ils les regarderent auffi comme des miniftres de l'être fuprême, qui, suivant fes ordres, gouvernoient toutes les parties de l'univers & veilloient en particulier fur l'efpece humaine, la plus excellente de celles de la terre.

Timée de Locres, Platon, Chryfippe, Plutarque (dont le petit-fils nommé Sextus fut un des inftituteurs de Marc-Aurele) lui avoient tranfmis cette opinion devenue générale (1).

(1) Cicero, in fomnio Scipionis, &c;

Mais pourquoi l'antiquité donna-t-elle à ces intelligences le nom de dieux, nom qui, fuivant nos idées, ne convient qu'au feul être néceffaire & feul intelligent par effence? C'eft la feconde queftion.

Les mots font de convention. Le fens. de celui-ci a varié. Dans nos faintes écritures, le mot dieu n'eft pas borné à défigner le divin créateur de tout ce qui n'est pas lui. Il eft auffi employé à défigner toute autorité fupérieure.

Dans l'exode (VIII. 1.) le Dieu fuprême dit à Moïfe je vous ai établi le dieu de Pharaon; c'est-à-dire, je vous ai donné fur Pharaon une grande autorité.

Dans le pfeaume 81, ce mot eft appliqué aux juges en même tems qu'au Dieu fuprême. Dieu (eft-il dit) s'eft trouvé dans l'affemblée des dieux, & il juge les dieux étant au milieu d'eux ; jusqu'à quand jugerez-vous injuftement?... J'ai dit: vous êtes des dieux & vous êtes tous enfans du trèshaut, mais vous mourrez, &c.

Parmi les païens, Symplicius me paroît

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