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D'autres philofophes cherchant à expli→ quer les difficultés de la providence avoient fuppofé deux principes actifs, l'un auteur du bien & de l'ordre, l'autre auteur du mal & du défordre. Marc-Aurele a rejetté cette chimere, par la raison du fpectacle toujours uniforme de la nature; fpectacle dont il parle très-fouvent.

En effet, deux principes égaux & contraires feroient néceffairement en guerre & l'égalité de leurs forces eût produit le repos, eût empêché le monde ou d'exister ou de fe mettre en mouvement.

Ces raisons font perfuafives, au lieu que les argumens métaphyfiques de l'école ne touchent point; ils ne font qu'embarrasser. I I I.

Deftin, fortune, &c.

L'article 4 de ce chapitre, leve toute difficulté fur ces expreffions.

Le deftin, ou la fortune, felon MarcAurele, ne font que la liaison & l'enchaînement des caufes que la providence régit.

n'eft autre chofe

CICERON avoit dit, après de plus anciens philofophes, que le deftin (fatum) que la volonté efficace & la parole de l'être suprême (1). On a vu dans la note fur le précédent chapitre, que les dieux créés ne font que les miniftres de l'être fuprême. Quoique ces miniftres ayent un grand pouvoir, il eft borné par les deftins; c'est-à-dire, par l'ordre général établi de Dieu; ordre qu'ils ne fau roient déranger. On ne peut l'entendre autrement; & dès-là toutes les belles imaginations d'Homere en ce genre, deviennent très-raisonnables.

I V.

Sur la liberté ou le libre arbitre.

Les hommes ont fouvent détourné des fleuves, applani des montagnes, creufé de grands lacs, joint des mers féparées; & quoique la pefanteur des eaux les précipite vers les lieux les plus bas, fi je refferre

(1) Fatum, jussum & di&um Dei. De divinat. 1.S. Auguf tin, de la cité de Dieu. V.9.

dans des tuyaux un petit ruiffeau qui tombe de la colline prochaine, je le fais jaillir en l'air, j'en arrose mes fleurs & mes légumes. Je fufpens, j'arrête sa course vers la mer; mais la pefanteur générale des eaux subsiste, quoi que je faffe. Je ne faurois la détruire ; & la machine du monde n'en va pas moins.

Que conclure de-là? L'ordre primitif & ma liberté font deux points de fait également conftans, que je fuis obligé d'avouer, quoique j'en ignore le noeud précis. L'auteur de la nature s'en eft réservé la connoiffance; il m'eft feulement permis d'imaginer que les pieces de la machine du monde ont entre elles du jeu & de la flexibilité jufqu'à un certain point: que ce n'est point un engrénage dur, encore moins une chaîne de fer incapable de prêter.

Tous les ftoïciens ont reconnu notre liberté. Ils l'ont même pouffée trop loin: mais ils l'ont bornée aux mouvemens volontaires du corps, & à notre choix entre le bien & le mal moral. Cependant l'influence, quoique médiocre, de notre pouvoir phy

fique & libre fur la nature, démontre clairement qu'il y a autre chofe dans le monde qu'une chaîne matérielle de caufes & d'effets.

Prefque tout l'ouvrage de Marc-Aurele suppose ou atteste pofitivement le fait de la liberté humaine ainfi que l'existence d'un premier principe intelligent. Un favant qui l'a traité de matérialiste, n'avoit pas fait ces obfervations. Je n'aime point à critiquer, encore moins un auteur vivant ; mais s'il veut bien lire faint AUGUSTIN, de la cité de Dieu, ily trouvera (liv. V, chap. 8, 9 & 10.) que dans la philofophie des ftoïciens, l'enchaînement des causes, ni même la néceffité, n'excluent nullement la providence ni la préscience de Dieu, ni notre liberté.

Avec ces quatre éclairciffemens, on ne fera point arrêté dans la lecture des penfées de Marc-Aurele, qui ont rapport à la providence.

CHAPITRE V.

Réfignation

I.

Nous travaillons tous à l'accompliffement d'un même ouvrage ; quelques-uns. avec connoiffance & intelligence, les autres fans réflexion, comme Héraclite a dit, fi je ne me trompe, que ceux même qui dorment font des ouvriers qui contribuent de quelque chofe à ce qui fe fait dans le monde. L'un y contribue d'une façon, l'autre d'une autre : mais celui qui murmure contre les accidens de la vie, qui fe roidit contre le cours général des chofes pour l'arrêter, s'il étoit poffible, y contribue encore plus, car le monde avoit befoin d'un tel ouvrier. Vois donc avec quels ouvriers tu veux te ranger. Quelque parti que tu prennes, celui qui gouverne l'univers faura bien fe fervir de toi. Il te mettra toujours parmi les coopérateurs & au

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