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laisser tristement vieillir parmi le reste de vos captives, vous l'attachez à vous par un mariage qui la comble de gloire, sa reconnaissance et sa vanité vaincront peu à peu ses scrupules. Différez de huit jours seulement l'exécution de votre dessein.

Le dey demeura quelque temps rêveur : le 'délai que son confident lui proposait n'était guère de son goût; néanmoins le conseil lui parut fort judicieux. Je cède à tes raisons, Alvaro, lui-ditil; quelque impatience que j'aie de posséder l'es-" clave, j'attendrai donc encore huit jours: va la voir tout à l'heure, et la dispose à remplir mes désirs après ce temps-là. Je veux que ce même Alvaro qui m'a si bien servi auprès d'elle ait l'honneur de lui offrir ma main.

Don Juan courut à l'appartement de Theodora, et l'instruisit de ce qui venait de se passer entre Mézomorto et lui, afin qu'elle se réglât la-dessus. Il lui apprit aussi que dans six jours le vaisseau du renégat serait prêt; et comme elle témoignait être fort en peine de savoir de quelle manière elle pourrait sortir de son appartement, attendu que toutes les portes des chambres qu'il fallait traverser pour gagner l'escalier étaient bien fermées: C'est ce qui doit peu vous embarrasser, madame, lui dit-il; une fenêtre de votre cabinet donne sur

le jardin; c'est par-là que vous descendrez avec une échelle que j'aurai soin de vous fournir.

En effet, les six jours s'étant écoulés, Francisque avertit le Tolédan que le renégat se préparait à partir la nuit prochaine vous jugez bien qu'elle fut attendue avec beaucoup d'impatience. Elle arriva enfin, et pour comble de bonheur elle devint très obscure. Dès que le moment d'exécuter l'entreprise fut venu, don Juan alla poser l'échelle sous la fenêtre du cabinet de la belle esclave qui l'observait, et qui descendit aussitôt avec beaucoup d'empressement et d'agitation; ensuite elle s'appuya sur le Tolédan, qui la conduisit vers la petite porte du jardin qui ouvrait sur la mer.

Ils marchaient tous deux à pas précipités, et goûtaient déjà par avance le plaisir de se voir hors d'esclavage; mais la fortune, avec qui ces amants n'étaient pas encore bien réconciliés, leur suscita un malheur plus cruel que tous ceux qu'ils avaient éprouvés jusqu'alors, et celui qu'ils auraient le moins prévu.

Ils étaient déjà hors du jardin, et ils s'avançaient sur le rivage pour s'approcher de l'esquif qui les attendait, lorsqu'un homme, qu'ils prirent pour un compagnon de leur fuite, et dont ils n'a

vaient aucune défiance, vint tout droit à don Juan, l'épée nue, et la lui enfonçant dans le sein : Perfide Alvaro Ponce, s'écria-t-il, c'est ainsi que don Fadrique de Mendoce doit punir un lâche ravisseur ; tu ne mérites point que je t'attaque en brave homme.

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Le Tolédan ne put résister à la force du coup qui le porta par terre; et en même temps dona Theodora, qu'il soutenait, saisie à la fois d'étonnement, de douleur et d'effroi, tomba évanouie d'un autre côté. Ah! Mendoce, dit don Juan, qu'avez-vous fait? c'est votre ami que vous venez percer. Juste ciel ! reprit don Fadrique, seraitil bien possible que j'eusse assassiné.... Je vous pardonne ma mort, interrompit Zarate; le destin seul en est coupable, ou plutôt il a voulu parlà finir nos malheurs. Oui, mon cher Mendoce, je meurs content, puisque je remets entre vos mains dona Theodora qui peut vous assurer que mon amitié pour vous ne s'est jamais démentie.

Trop généreux ami, dit don Fadrique emporté par un mouvement de désespoir, vous ne mourrez point seul; le même fer qui vous a frappé va punir votre assassin si mon erreur peut faire excuser mon crime, elle ne saurait m'en consoler. A ces mots il tourna la

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pointe de son épée contre son estomac, la plongea jusqu'à la g garde, et tomba sur le corps de don Juan, qui s'évanouit, moins affaibli par le qu'il perdait, que surpris de la fureur de son ami. Francisque et le renégat qui étaient à dix pas de là, et qui avaient eu leurs raisons pour n'aller pas secourir l'esclave Alvaro, furent fort étonnés d'entendre les dernières paroles de don Fadrique, et de voir ́sa dernière action. Ils connurent qu'il s'était mépris," et que les blessés étaient deux amis, et non de mortels ennemis, comme ils l'avaient cru: alors ils s'empressèrent à les secourir; mais les trouvant sans sentiment, aussi-bien que Theodora, qui était toujours évanouie, ils ne savaient quel parti prendre. Francisque était d'avis que l'on se contentât d'empor ter la dame, et qu'on laissât les cavaliers sur le rivage, ou, selon toutes les apparences, ils mourraient bientôt, s'ils n'étaient déjà morts. Le renégat ne fut pas de cette opinion; il dit qu'il ne fallait point abandonner les blessés, dont les blessures n'étaient peut-être pas mortelles, et qu'il les panserait dans son vaisseau, où il avait tous les instruments de son premier métier qu'il n'avait point oublié. Francisque se rendit à ce sentiment.

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Comme ils n'ignoraient pas de quelle importance il était de se hâter, le renégat et le Navarrais, à l'aide de quelques esclaves, portèrent dans l'esquif la malheureuse veuve de Cifuentes avec ses deux amants, encore plus infortunés qu'elle. Ils joignirent en peu de moments leur vaisseau, où, d'abord qu'ils furent tous entrés, les uns tendirent les voiles, pendant que les autres, à genoux sur le tillac, imploraient la faveur du ciel par plus ferventes prières que pouvait suggérer la crainte d'être poursuivis par les navires de Mézomorto.

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Pour le renégat, après avoir chargé du soin de la manœuvre un esclave français qui l'entendait parfaitement, il donna sa première attention à dona Theodora : il lui rendit l'usage de ses sens, et fit si bien, par ses remèdes, que don Fadrique et le Tolédan reprirent aussi leurs esprits. La veuve de Cifuentes, qui s'était évanouie lorsqu'elle avait vu frapper don Juan, fut fort étonnée de trouver là Mendoce ; et quoiqu'à le voir elle jugeât bien qu'il s'était blessé lui-même, de douleur d'avoir percé son ami, elle. ne pouvait le regarder que comme l'assassin d'un homme qu'elle aimait.

C'était la chose du monde la plus touchante,

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