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de reconnoître qu'il en a caché la mesure dans les abîmes de fa fageffe ; & que nous n'en pouvons prefque parler qu'avec témerité.

Cette vûe me fait paroître une étrange difficulté à écrire la vie d'un Saint, principalement fi on fe donne la liberté de former un jugement de fes actions, étant très-difficile qu'on ne s'y trompe,& qu'on ne fuive fon propre efprit, au-lieu de fuivre celui de Dieu, en rehauffant par des paroles ce qui eft peut-être très-peu de chofe à fes yeux, & en n'en remarquant pas plufieurs autres qui ont été les principes de leur fainteté."

Une autre forte d'erreur eft que l'on eft porté à canonifer toutes les actions des perfonnes, qui font en réputation de pieté, quoiqu'il arrive fouvent que Dieu les laifle agir par leur propre cf prit, ce qui les engage en beaucoup de défauts d'imprudence & de précipitation.

XXV.

Les mots ne fignifient pas la même chofe ers diverfes bouches.

Les mots ne fignifient pas les mêmes chofes dans la bouche de tous ceux qui les prononcent, tant ils conçoivent les chofes diversement. Nous difons tous les pf.1, 1, jours. Heureux eft l'homme qui n'est point

alle au confeil des méchans. BE A TUS vir qui non abiit in confilio impiorum: Heureux Pf. 1182 ceux qui font fans tache dans leur voic: " BEATI immaculati in via: & en prononçant ces mots nous fommes frappés d'unte certaine idée de bonheur qui ne nous émeut point, tant elle eft confuse. Mais dans la bouche de celui qui a prononcé ces paroles, c'eft une idée de ce qui lui ealevoit le cœur: il voyoit en cela un amasde félicités qui raviffoient fon efprit. Ce bonheur qui n'eft pour nous qu'un point, est pour lui & pour tous ceux qui ont le même fentiment,une montagne demefu rée. L'Hebreu eft plus expreffif: Beatitu nes viri! O' bonheurs infinis!

XXVI

Le bonheur n'eft fenfible que par la délivrance du mál.

Le bonheur ne nous eft guéres fenfi ble en cette vie que par la délivrance du mal. Nous n'avons pas de biens réels & pofitifs. Heureux celui qui voit le jour, dit un aveugle! mais un homme qui voir clair, ne le dit plus. Heureux celui qui eft fain, difent les malades: quand ils font fains, ils ne fentent plus le bonheur de la fanté.

Thren.2.

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XXVII.

L'amour approche les objets.

Il n'y a que la charité qui nous puiffe faire entendre l'Ecriture, parcequ'il n'y a qu'elle qui puiffe nous donner les mouvemens exprimés par l'Ecriture, sans lefquels on n'y voit rien que de confus, d'obfcur & de mort. C'eft l'ainour qui anime nos pensées & qui les approche de nous. Un Palais vu de loin est comme ne maffe confufe, mais en s'en approchant on distingue les objets, on voit des colonnes, des ordres d'Architecture. Quand nous voyons les chofes fans amour, on ne les voit que de loin.

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XXVIII.

Trois fortes d'efprits. ·

Il y a des gens propres à trouver des verités, d'autres qui font propres à trouver des images aux verités, comme des comparaifons: d'autres qui font propres à trouver des verités aux images. Ce font trois caracteres differens d'efprits. Le premier vient de la lumiere & de la fubtilité de l'efprit.

Le fecond vient d'un feu d'efprit, quiconcevant les chofes vivement, trouve par cette vivacité même des comparaifons pour les exprimer. A qui, dit Jeremie,

yous comparerai-je, ô fille de Jerufalem? à qui dirai-jé que vous resemblez.... Le débordement de vos maux eft semblable à la mer. CUI comparabo te, aut cui affimilabo te, filia Jerufalem?...magna eft velut mare con

tritio tua.

Le troifiéme ne vient ni de feu ni de fubtilité d'efprit,mais d'une certaine agilité qui applique la même image à diverses idées de verité qui font dans l'efprit, & qui trouve ainfi facilement celle à qui elle convient.

XXIX.

Des plaifirs. Jugement des Effais de
Montagne.

Il y a deux manieres de s'abandonner aux plaifirs. L'une brutale, & l'antrephilofophique; l'une toute fenfuelle, parcequ'elle n'a point d'autre principe que l'attrait des fens ; l'autre raisonnable, parcequ'elle a pour principe la raison, quoique corrompue & déreglée.

La recherche des plaisirs qui ne vient que des fens, emporte la raison; mais elle ne l'étouffe pas, & elle eft quelquefois affez éclairée pour voir la baffeffe de ces plaifirs en même tems qu'elle s'ylaiffe emporter.

Cette paffion brutale a plufieurs remedes dans la nature même. La fatietés

qui accompagne la jouiffance, produit fouvent le dégoût; la vanité hut maine nous en détache par le mépris qui eft joint à cette forte de vie; enfin Pinterêt, l'ambition, la Philofophie font quelquefois capables de nous en détour

ner.

Mais la feconde maniere de s'abar donner aux plaifirs eft infiniment plus dangereufe,lorfque c'eft la raifon même qui nous livre aux fens; & c'eft ce qui arrive à certains efprits qui ont affez de lumiere pour reconnoître qu'il n'y a rien de folide en tout ce que les hommes eftiment,& que les grandes charges, les grans deffeins, la fcience, la réputation, & toutes les autres chofes femblables n'ont qu'un faux éclat, & une veritable mifere.

Car lorfque l'on demeure dans cette Connoillance, que l'on ne s'en fert pas pour penser ferieufement à une autre vie, elle nous rejette infenfiblement dans la vie fenfuelle, parceque nous faisant concevoir du mépris & du dégoût pour toutes les occupations laborieufes des hommes, & pour la fagefle même confiderée comme bornée dans l'étendue de de cette vie, elle nous fait regarder les plaifirs comnie ayant quelque chofe de plus réel & de plus folide..

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