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Ceft ce que Dieu a voulu dépeindre dune maniere admirable dans plufieurs endroits du livre de l'Eclefiafte. Le Sage y reprefente d'abord cette premiere recherche des plaifirs qui vient des fens: J'ai dit en moi-même, je prendrai toutes fortes de délices, je jouirai des biens.' D1 x1 ergo in corde meo, vadam & affluam deliciis, & Chap, fruar bonis. C'est ce que la volupté fuggereà l'efprit des jeunes gens.

Mais lorsqu'ils ont du jugement & du courage, ils s'en dégoûtent auffi-tôt, & c'est ce qui eft marqué par les paroles qui fuivent : Et vidi quod hoc quoque esset vanitas reputavi errorem: ETj'ai reconnu que cela même n'étoit que vanité, & je l'ai regardé comme une folie.

C'est ce qui leur fait prendre la réfolution de s'appliquer à quelque chofe de plus folide: Cogitavi in corde meo abstrahere v. 3. à vino carnem meam, ut animum meum transferrem ad fapientiam: J'AI pense en moimême de retiver ma chair de ces voluptés pour porter mon efprit à la fageffe.

Ceft de ce motif que naissent les grans ouvrages : magnificavi opera mea. : les grans bâtimens : ædificavi domos : l'amas des richeffes: coacervavi mihi argentum.

Mais enfuite la raifon venant à confiderer le peu de fruit qu'elle tire de toutes ces chofes, les peines qui les accompa

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Ch.2

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gnent, & que tout cela ne la peut ga rantir de la mort, lorsqu'elle n'eft pas éclairée par une autre lumiere, elle rameine l'homme au lieu même d'où elle T'avoit tiré, & elle lui fait embraffer par raison & par desespoir cette vie brutale dont elle l'avoit éloigné.

Quid enim proderit homini de univerfo labore fuo & afflictione fpiritûs, quâ jub v Sole cruciatur? Cuncti dies ejus doloribus & ærumnis pleni funt, nec per noctem mente requiefcit: & hoc nonne vanitas? Nonne melius eft comedere & bibere,& oftendere anima fua bona de laboribus fuis ? ČAR que retirera l'homme de tout fon travail, & de Laffliction d'efprit avec laquelle il fe tourmente fous le Soleil? Tous fes jours font pleins de douleur de mifere, il n'a point de repos dans fon ame,même pendant la nuit. Et n'eft-ce pas-là une vanité? Ne vaut-il pas mieux manger & boire,& faire goûter à fon ame du fruit de ses travaux?

On peut dire que ce dernier degré comprend tout le livre & tout l'efprit de Montagne. Ceft un homme qui après avoir promené fon efprit par toutes les chofes du monde, pour juger ce qu'ily a en elles de bien & de mal, a eu affez de lumiere pour en reconnoître la fottife & la vanité.

la très-bien découvert le néant de

la grandeur, & l'inutilité des fciences: mais comme il ne connoiffoit guéres d'autre vie que celle-ci, il a conclu qu'il n'y avoit donc rien à faire qu'à tâcher de paffer agréablement le petit efpace qui nous en eft donnė.

Ainfi comme le Saint-Esprit a jugé fi important de nous faire connoître l'avenglement de notre raison, lorfqu'elle eft privée de la lumiere de la Foi, qu'il a voulu nous representer ses égaremens dans un livre canonique pour nous faire eftimer davantage le bien ineftimable qu'il nous a fait de nous donner la connoiffance du veritable bonheur de l'homme, de même il femble qu'on puiffe tirer quelque utilité du livre de Montagne, puifqu'il reprefente très -naïvement les mouvemens naturels de l'efprit humain, fes differentes agitations, fes démarches pleines de tiédeur, & la fin brutale où il fe reduit après avoir bien tourné de tous

côtés.

Dans ce miferable état l'ame ne s'attache point aux plaifirs par l'eftime qu'elle en fait, mais par le mépris & le dégoût qu'elle a de toutes les autres choses. Ceft une efpece de defespoir qui l'y porte, & ce n'eft pas tant pour en jouir, que pour y noyer les déplaifirs & les triftef lés.

Cet état eft fans remede dans la na ture, parcequ'il eft impoffible de l'en tirer, en lui propofant les biens du monde, puifqu'elle ne s'y eft plongée que par le mépris qu'elle fait de fes biens, & par l'experience qu'elle a de leur vanité.

Ainfi la brutalité eft le commencement & la fin de l'homme corrompu, & les fens & la raifon s'accordent dans l'extinction de fa raison.

XXX.

Vanité, affaifonnement de la plupart
des chofes

La vanité eft un affaifonnement general qui rend agreable la plupart des chofes, aufquelles on prend plaifir dans le monde : Et qui en auroit ôté cette vûe des jugemens des hommes, dont elle nourrit l'amour-propre & l'orgueil des hommes, on trouveroit qu'elles feroient fans goût & fans plaifir, ou du moins incapables d'être recherchées avec une attache violente.

Ceftpourquoi il eft utile, pour reconnoître ce qu'il y a de réel dans les chofes qui nous plaifent, & que les hommes recherchent avec paffion, d'en féparer ce que la vanité y mêle, c'eft-à-dire, d'en retrancher autant que l'on peut, ce plaifir trompeur & imaginaire, qui naît de

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la vue de ces jugemens ; & le meilleur moyen de le faire, eft de regarder quelle feroit la difpofition des hommes à l'égard de ces objets, s'ils étoient seuls au monde.

Croit-on par exemple, qu'un homme qui feroit feul, prît la peine de courir tout un jour après un cerf ou après un lièvre, avec mille peine & mille fatigues, en pouvant facilement le tuer d'un coup de fufii? Je ne le croi pas: donc la chaffe n'eft pas un plaifir naturel qui naiffe de l'action même. Ce n'eft pas ce cerf ou ce lièvre qui nous divertit, mais une infinité d'idées & de fantaifies que nous y joignons.

Perfonne ne voudroit chaffer à condition de ne s'entretenir jamais de la chaffe: c'est donc cet entretien qui nous plaît ; & cet entretien nous plaît, parcequ'il marque nos penlées,qui font la nourriture ordinaire des pent fées des autres.

Un homme ne s'habilleroit jamais richement tout feul; donc la magnificence des habits ne nous plaît pas d'elle-même, & ce que nous y aimons, eft qu'elle excite dans l'efprit des autres des pensées d'eftime, de refpect & d'amour pour nous. Les hommes fe contentent ordinairement de l'eltime & du refpect; les femmes veulent l'amour.

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