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tre l'erreur où je croi qu'il eft. Il eft donc jufte que quelque perfuadé que l'on foit de la verité d'un raisonnement, on fe réduife au raifonnement, pour en perfurader les autres, ou qu'on l'accompagne de miracles, qui font des raifonnemens fecrets, plus efficaces que tous les difcours. Toute autre voie eft injufte & tyrannique, & expose la verité à la violence de la fantailie, qui ne manquera pas d'employer contre la verité avec plus de force les mêmes armes que la verité auroit voulu employer contre elle.

LIV.

Moins nous fentons nos pechés, plus ils nous chargent.

Le bon Pasteur a porté nos ames éga rées fur fes épaules, parcequ'il y a porté nos pechés, & qu'il nous a déchargés en s'en chargeant lui-même ; mais il ne s'en eft charge qu'en en fentant vivement le poids, & il ne nous en décharge auffi qu'en nous le faifant fentir. Moins nous fentons nos pechés,plus ils nous chargent, & ils nous chargent d'autant moins, que nous les fentons davantage. Ceftpourquoi ceux qui en nous reprenant de nos fautes, nous les font fentir, contribuent auffi à nous en décharger, & nous leur avons la même obligation qu'une per

fonne qui fe fentiroit accablée fous un pefant fardeau, auroit à celui qui lui donneroit moyen de se décharger d'une partię. LV.

L'abondance de lumiere eft differente
de la jufteffe.

Ce font deux qualités differentes d'efprit que d'avoir beaucoup de lumiere, & de bien juger des chofes : l'une vient d'une fertilité qui produit beaucoup de penfées par la comparaifon de divers objets qui fe préfentent à l'efprit; l'autre d'une exactitude qui fait examiner chacune de ces penfées avec plus d'attention & de pénetration. Les terres qui portent le plus de vin, ne portent pas toujours le meilleur.

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Laftérilité qui paroit dans quelques efprits vient quelquefois de leur jugement qui retranche une infinité de pensées, & qui prenant les chofes par la voie naturelle, ne s'écarte point tant en d'autres détours plus longs & moins naturels.

Les efprits abondans voyent tout ce qui eft à l'entour de leur objet. Les efprits pénetrans voyent tout ce qui eft dans cet objet.

LVI.

Les Efprits ftupides dans leur froid font
Spirituels dans leur chaleur.

Pourquoi les gens qui paroiffent bêtes dans la converfation commune, font-ils fouvent paroître beaucoup d'efpritquand on les excite ? c'est qu'il y a un froid & une chaleur d'efprits. Or le froid de ces gens eft ftupide, parceque leurs efprits ne font point affez agités; & au- contraire lenr chaleur eft fpirituelle, parcequ'étant excitée ils trouvent & remuent beaucoup de choses.

LVIL

Ce qui eft mauvais felon Dieu eft abfolument

mauvais.

La raison des faux jugemens que l'on fait, eft que l'on a deux regles pour juger des chofes. Cela eft bon, dit-on, felon le monde, mais mauvais felon Dieu : Mais ce qui n'eft bon que felon le monde, n'eft pas bon, pourquoi donc y attacher cette idée trompeufe de bonté qui nous féduit? que n'appelle-t-on fimplement mauvais ce qui eft tel en effet?"

On n'en ufe pas ainsi à l'égard du monde, & l'on y parle fort proprement, parcequ'on a toujours en vûe la regle par laquelle on juge des biens & des maux du monde,

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On ne dit pas que ceux qui occupent les places d'honneur & les premiers rangs dans le monde font miferables, quoiqu'ils le foient en efiet,parceque leur emploi les conduit aux biens de la concupifcence. Or pourquoi donc n'eftimons-nous pas les perfonnes heureufes ou malheureuses à proportion qu'elles font dans un genre de vie plus favorable ou plus contraire à leur bien fpirituel? puifque ces difcours qui beatifient les riches, contribuent à les feduire, les gens de bien doivent les éviter.

LVIII

Difpofitions où l'on doit être à l'égard des maux d'imprudence.

Faut-il être plus affligé des maux qui nous arrivent par notre imprudence que de ceux où nous ne nous pouvons rien reprocher? Oui fans doute; puifque notre imprudence doit nous être un fujet de douleur, & que les maux comme maux doivent nous être plutôt un fujet de joie

Il faut pourtant prendre garde qu'il y a deux choles dans les fautes, qui nous attirent des maux; il y a le peché, en tant qu'il offense Dieu, & humiliation qui nous revient de notre peché devant les hommes. A la bonne heure que nous nous affligions du peché en foi; mais

Tome VI.

L

pour l'humiliation qui nous en revient devant les hommes, ce n'eft point un mal, c'eft plutôt une chofe que nous devons aimer, & dont nous devons être bien-aises.

L'imprudence eft un mal; la reputation d'imprudence n'eft pas un mal, c'eft un jufte jugement que l'on fait de nous, qui fera que l'on nous difpensera à l'avenir de prendre part à des affaires que nous pourrions gâter, ce qui n'eft pas un petit bien.

Il arrive donc fouvent que le reffentiment vif que l'on a de ces fautes d'imprudence qui attirent des maux, ne naît pas de l'offenfe de Dieu, mais de l'humiliation qui nous en revient, & de ce que nous fommes privés par-là de cette confolation humaine de n'avoir point con tribué à notre mal.

Lorfque nous fommes affligés de quelque mal que nous nous fommes attiré par notre imprudence, Dieu veut trois chofes de nous; que nous acceptions le mal comme jufte ; que nous acceptions T'humiliation de notre faute, comme étant encore juste; que nous haïffions la faute, mais d'une haine tranquile, & non pleine de dépit, comme fi c'étoit une chofe bien extraordinaire, & qu'il fallût sen étonner beaucoup.

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