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LIX.

Souvent on ne profite pas de la verité, parcequ'elle eft mal dite.

Nous nous plaignons quelquefois des défauts des autres, lorfque nous aurions fujet de nous plaindre encore plus de nous-mêmes. Il ne profite point, dit-on, de ce qu'on lui dit. Mais le lui avez-vous dit en la maniere que vous le deviez ? Eftiez-vous touché de compaffion dans votre cœur ? avez-vous vous-même confeffè humblement votre mifere devant Dien? y avez-vous apporté la difcretion, & la moderation que vous deviez? Si vous ne l'avez pas fait, vous avez manqué de charité, & ce défaut de charité devroit plus nous occuper que tous les défauts des autres. JESUS - CHRIST dit à tous fes Difciples en la perfonne des Femmes de Jerufalem: Filles de Jerufalem ne pleurez Luc 25 point fur moi, mais pleurez fur vous-mêmes, 28. pour nous montrer qu'il faut pleurer fur foi-même avant que de s'arrêter à pleurer fur les autres.

L X.

Beauté de découvrir plufieurs verités tout d'une vûe.

C'eft un grand ornement dans la nouvelle maniere de bâtir, que tous les ap

partemens vrant les

s'enfilent, en forte qu'en ou portes on les découvre tous: De même c'est un grand ornement dans une piece, quand la propofition du fujet vous fait voir en quelque forte toute la piece, mais d'une maniere qui excite plutôt le defir de voir diftinctement ce qu'elle montre, qu'elle ne le fatisfait en découvrant tout ce qu'elle contient.

Ces pieces où l'on traite divers points fans liaison, font comme ces bâtimens où l'on va de chambre en chambre, & où l'on ne voit jamais plus d'une chainbre à la fois.

LXL

Graces quelquefois dûes aux criminels, Il faut, dit Seneque, que le Legiflateur ne decerne les derniers fupplices que contre les plus grans crimes, de maniere que perfonne ne periffe qu'il ne foit de l'interêt de celui même qu'on punit de le faire perir. ULTIMA fupplicia fceleribus ultimis ponat, ut nemo pereat nifi quem perire etiam pereuntis interfit. Les Loix n'ont pu faire cette diftinction entre les crimes, &elles condannent generalement à la mort ceux qui commettent certains crimes, fans avoir égard à la difpofition d'efprit, dans laquelle ils font : mais ceux qui peuvent difpenfer de la loi, font obli

gés d'y avoir égard. Et cela fait voir que les graces que l'on donne à quelques coupables, ne font pas toujours des gracesy parcequ'encore qu'elles ne leur foient pas dûes felon la loi du Royaume, elles leur font iûes felon la loi d'équité marquée par Seneque. Ainfi l'on peut commettre une injuftice en pratiquant trop exactement la juftice.

M. N*** étoit-il un efprit incurable? nullement. Son crime étoit un funefte changement qui n'eût point eu de fuite dans fa vie. Hy avoit donc de la cruauté à ne lui point faire grace; & obferver les loix à fon égard, c'étoit violer celles de l'équité qui font celles de la nature.

LXII.

Deux fortes de défauts d'esprit. Geft un affez grand mal que de connoître les défauts de fon efprit, de les fentir, & de ne pouvoir les corriger. Ily en a qui font fots fi doucement, qu'ils ne s'en apperçoivent point du tout, leurs paroles & leur jugement font toujours d'accord, & ils ne fentent jamais aucun reproche interieur qui les avertiffe de leurs défauts.

Mais ces autres dont nous parlons, ne font pas de même ; comme ils ne ditent rien de bon, ils n'approuvent prefque rien

de ce qu'ils difent, ils font toujours leurs premiers cenfeurs, & leur efprit ne leur fert quafi que pour condanner ce qui en naît.

La difference des uns & des autres confifte, ce femble, en ce que les uns n'ont qu'un efprit & que les autres en ont deux. Ceux qui font ainfi contens d'eux-mêmes, jugent & parlent par le même efprit, c'elt-à-dire que leurs paroles égalent & fuivent leurs pensées, & qu'ils n'ont pas plus de lumiere qu'ils en font paroître. Ces perfonnes ont d'ordinaire quelque facilité de parler, & comme elles penfent peu,& que leur elprit eft extremement borné, qu'ils ne conçoivent rien de grand, ni de fubtil, leur imagination s'accoutume à leur fournir promtement les images des fons qui font neceffaires pour exprimer ces chofes communes.

Mais ces autres qui font malheureux dans leur défauts, n'en font pas de mêine; ils ont une lumiere aflez étendue, mais fort obfcure; ils ont l'idée du vrai & du bien, mais ils ne le conçoivent que confufément. De forte que quand il s'agit de s'exprimer, comme leur entretien ne leur donne pas le temps de chercher les termes propres, ils font contraints de hazarder, & de prendre les premiers ve& le plus fouvent ils n'expriment

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fien moins que ce qu'ils ont dans l'efprit. Ainfi les veritables gens d'efprit font ceux qui n'en ont qu'un, mais qui est juste & qui conçoit affez promtement & affez nettement les chofes pour les exprimer fur le champ d'une maniere agreable. Les fots heureux font ceux qui n'ont auffi qu'un efprit, & qui difent les fottifes fans s'en appercevoir.

Mais les gens d'entre-deux qui ont un double efprit, font neceffairement malheureux en ce qu'ils fentent leurs défauts: · & l'on peut dire que ce double efprit fait qu'ils font fots aux fots, & ne le font pas aux gens d'efprit, parceque les uns ne voyent que leurs défauts, & que les autres fentent au-contraire davantage ce qu'ils ont de bon.

LXIII.

Hemifphere qui borne la vûe.

Quand on marche dans la campagne la vûe se borne par un certain cercle. On abeau avancer par un endroit, le cercle avance comme nous, & l'on voit tou jours autant d'efpace devant foi. Les enfans s'imaginent qu'en allant, ils parviendront au bout de ce cercle, mais les hommes fages fe rient de leur fimplicité. Les ambitieux de même s'imaginent que quand ils feront arrivés à un certain états

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