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actions exterienres de charité & d'hu milité interieure. On ne voit que trop de gens qui s'élevent par des actions de charité, qui en deviennent plus fiers, plus attachés à eux-mêmes, plus méprifans à l'égard des autres. On fait fervir les actions humiliantes de degré pour s'élever & pour dominer fur les autres. Le foin des pauvres enfermant quelque autorité,parcequ'il faut pouvoir s'oppofer à leurs injuftes paffions,accoutume à l'air de domination,& de cet air on passe souvent à l'efprit de domination. Parcequ'il faut beancoup agir, on y eft fouvent tout diffipé & tout hors de foi. On ne peut pas confulter fur toutes chofes, & il eft fouvent neceffaire d'agir de foi-même, & cela rend infenfiblement décifif. On regle les chofes comme on les a une fois reglées, & on fait enfuite avec confiance & fans crainte ce qu'on a fait d'abord avec quelque crainte. Une faule décifion réitérée devient fouvent un principe de conduite, & l'on n'en doute plus, parceque l'onfuppofe avec raifon qu'on a ceffè d'en douter.

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Il faut donc qu'une perfonne qui fe trouve engagée par l'ordre de Dieu à des actions exterieures de charité, fup

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pofe que ce qui eft arrivé à une infinité d'autres Ini peut arriver auffi, & qu'elle doit craindre de s'acquiter de cet emploi fans aucune charité veritable & interieure, qu'elle y doit beaucoup apprehender l'efprit de préfomtion, la confiance en foi-même, la tèmerité, & enfin l'illufion.Il faut qu'elle foit fortement perfuadée qu'elle ne doit jamais juger de Pétat de fon ame par la multitude de fes actions, & que ces actions mêmes l'obligent plus étroittement à demander à Dieu une veritable humilité & une crainte profonde de fes jugemens pour refifter à l'élevation qui en peut naître & qui en naît ordinairement, & pour éviter que le démon ne fe ferve pour nous perdre des actions mêmes que nous croyons faire pour operer notre falut.

IV.

Ceft un principe conftant de la morale Chrétienne, qu'on peut faire fans charité interieure les œuvres les plus éclatantes de charité exterieure. C'est l'A-1. Cor pôtre même qui l'enfeigne expreffèment 13. 3. en déclarant que quoiqu'on diftribue tout fon bien aux pauvres, on eft néanmoins un pur néant devant Dien, fi l'on le fait fans charité. Il fuppofe donc que ce cas eft très-poffible, & qu'on peut fans

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amour de Dieu diftribner tous les biens aux pauvres, & par confequent il est encore beaucoup plus poffible de distribuer fans charité les aumônes que d'autres fe croient obligés de faire aux pau

vres.

V.

Il eft bon auffi d'avoir dans l'efprit cette verité que ce que Dieu demande principalement des hommes dans cette vie, eft qu'ils travaillent à s'humilier & à fe guérir de la playe de l'orgueil. Il ne demande pas à tous les œuvres de charité exterieure,ni les grandes mortifications: il ne demande pas à tous qu'ils inftruifent les autres, mais il n'y a perfonne qu'il difpenfe de s'humilier.Comme l'orgueil eft la maladie generale de tous les hommes, c'eft auffi pour eux un devoir general de s'en guérir. Ils doivent tous croire que le principal emploi de leur vie, & la principale affaire qu'ils ayent au monde doit être celle-là. Enfin c'est la fin principale pour laquelle Dieu leur conferve la vie ; & s'ils n'y fatisfont pas, il est vrai de dire qu'ils ont reçu leur ame en Pf. 23. Vain acceperunt in vano animam fuam.

4.

VI.

C'eftpourquoi comme les Marchans exacts & qui tiennent leurs affaires en bon ordre, entrent fouvent en compte

de leurs dettes actives & paffives, pour voir fi leur fond eft diminué ou augmenté, de même ceux qui veillent, comme il faut, fur l'état de leur ame, s'examinent particulierement fur l'article de Phumilité; & s'ils reconnoiffent par cet examen qu'il y a quelque chofe de plus fier & de plus élevé en eux, qu'ils ont moins de défiance d'eux-mêmes, & moins de docilité, qu'ils font moins difpofés à obéir & à demeurer dans le dernier rang, que l'autorité & la fuperiorité fur les autres leur plaît davantage qu'ils ont plus d'inclination à ce qui les fignale dans le monde, & à ce qui donne ce qu'on y appelle confideration, qu'ils font plus durs envers les autres, & plus portés à les rabbaiffer, ils doivent croire qu'ils ont fait de grandes pertes, & qu'ils ont beaucoup reculé, au-lieu d'avancer. C'est un examen de foi-même qu'on doit faire fouvent, fur-tout quand on eft dans un emploi qui porte de lui-même à cet air d'autorité, & dans lequel l'exemple des autres fait voir qu'on le contracte aifément.

VII.

Ce n'eft pas qu'il y ait aucun emploi dans le monde qui fourniffe plus de vûes fpirituelles pour s'humilier que la charité

qu'on exerce envers les pauvres, & fi l'on étoit vraiment fpirituel, on feroit fans ceffe dans des fentimens d'humilité, & l'on y feroit de grans progrès. C'eftpour quoi afin d'y donner de l'ouverture, nous en propoferons ici diverfes pratiques. Premierement les pauvres mêmes font des images & des exemples d'orgueilleux humiliés fous la main de Dieu, car tous les maux de la vie, & principalement la pauvreté font de juftos corrections par lefquelles Dieu réprime l'orgueil des hommes; ce qui fait qu'ils font appellés par faint Auguftin: Increpatio fuperborum, de feveres reprimandes faites aux fuperbes. L'homme par fa nature n'étoit point fait pour être expofe aux incommodités de la pauvreté, & Dieu ne l'y a reduit, & à tous les maux qui en font des fuites, que pour abbattre fon orgueil. Dien le rend pauvre, on parcequ'il s'eft élevé de fes richeffes, ou parcequ'il eft difpofe à s'en élever. Ce n'eft pas qu'on ait droit d'imputer à tous les pauvres un orgueil particulier, mais l'orgueil general ne fuffit que trop pour meriter cette punition Dieu voit dans tous les hommes une difpofition actuelle qui les feroit abufer des richeffes s'ils en avoient, & à laquelle il juge par un confeil de mifericorde & de juftice que la pauvreté convient comme

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