Imágenes de páginas
PDF
EPUB

183

PENSÉES

SUR DIVERS SUJETS

DE MORALE.

I.

Direction.

N a tout, dit-on, pour de l'argent en ce monde, & quel ques riches voudroient porter cette maxime jufques à avoir auffi de la direction pour de l'argent. Leur aveuglement eft à plaindre,puifqu'il approche fort de ceux qui croient qu'on peut acquerir les dons de Dieu à prix d'argent, & ils doivent craindre que les égards qu'ont pour eux lents Dire cteurs, ne tiennent un peu de la molefle condannée par l'Ecriture qui avertit les Pasteurs de ne pas mettre des couffins fous les condes des pecheurs:mais les pauvres n'ont point cet écueil à craindre; car Thumilité elt un des avantages de leus

condition, qu'un Directeur doit confer ver à ceux à qui Dieu l'a donné, & il le conferve en les traitant en apparence avec plus d'indifference & de froideur: Il fe peut auffi difpenfer à leur égard de tous les devoirs inutiles qui ne viennent que de la condefcendance pour l'infirmité que les Grans tirent de leur condition même. Mais foit ces Directeurs, foit ces riches ils doivent demeurer dans ces termes, & craindre fur-tout de les exceder.

II.

Moderes contredifans.

Il n'y a point de perfonnes plus contredifantes & plus contredites que celles qui font les plus moderées dans leurs fentimens. Cela paroît étrange, & eft pourtant vrai. La raison en eft, que la plupart du monde fe jette dans l'excès, ou en blâmant, ou en approuvant; d'où il arrive que les perfonnes moderées qui ne louent & qui ne blâment rien avec excès, mais qui fouvent approuvent le bien & blâment le mal dans les mêmes personnes, le trouvent prefque toujours contraires au jugement des autres.

rien,

[ocr errors]

III.

Deux fortes de moderation. y a une moderation de langage &

ane moderation de fentiment, & ce font deux qualités très-differentes. Car fouvent ceux qui font dans des fentimens juftes & moderés, ne font point moderés dans leurs difcours, & y font paroître plus de chaleur qu'il ne faut. Et au-contraire il arrive fouvent que des perfonnes dont les fentimens font très-injuftes & très-exceffifs,ne laiffent pas d'être moderées dans leurs paroles, ce qui ne fert qu'à les abufer, en leur faifant prendre cette moderation apparente pour une veritable moderation de fentiment.

IV.

Serviteurs imparfaits utiles.

Il eft utile à un Maître d'avoir des ferviteurs imparfaits, parcequ'il lui eft utile d'avoir des dettes à remettre, afin d'engager Dieu à lui remettre les fiennes. Ceux qui s'en plaignent, fe plaignent en effet, que Dieu leur donne de l'argent pour acheter le ciel.

V.

Honteux d'être fervi.

Ceft une chofe honteuse à un pecheur que d'être fervi, parceque fa condition naturelle devroit être de fervir les autres. Il n'y a perfonne qui ne doive fe confiderer comme pecheur: il n'y a donc per

fonne qui ne doive avoir honte d'être fervi.

C'eft une chofe honteufe d'être dans un état contraire à celui où JESUS-CHRIST 2 voulu être ; celui des Maîtres, des riches & des heureux dans le fiecle eft contraire à cet état, il eft donc honteux:: Ainfi pour y demeurer comme il faut, il faut qu'il y demeure avec une honte interieure, & comme dans un état d'ignominie.

[ocr errors][merged small]

Eftre Roi proprement, c'est avoir des fujets & n'avoir point d'amis, c'est-àdire avoir des perfonnes qui fuivent nos fentimens, & n'en avoir point qui nous difent leurs fentimens avec liberté.

On parvient à cette Royauté en deux manieres, ou en obligeant les amis d'agir & de parler en fujets, en fupprimant leurs fentimens; ou en ne choififfant pour amis que des fujets, c'eft-à-dire que des perfonnes qu'une longue foumiffion ait accoutumées à n'avoir point de sentimens differens des nôtres.

VII

Nourriture d'amour-propre dûe
aux ferviteurs.

Les Maîtres ne doivent pas feulement

à leurs ferviteurs la nourriture du corps qui a pour fin la fubftance du corps, mais ils leur doivent auffi celle de l'ame, qui a pour fin la confervation de la pieté dans ceux qui en ont, & l'établiffement de la pieté dans ceux qui n'en ont pas.

Mais outre ces deux nourritures ils leur en doivent encore une troisième, que l'on peut appeller la nourriture de l'amour-propre. Je dis qu'ils leur doivent cette nourriture, parceque la foibleffe de l'homme eft telle, qu'il ne peut fe paffer des confolations humaines & des fatisfa Єtions de fon amour-propre. Les louan ges, l'approbation, les témoignages d'amitié, les efperances qu'on ne les abandonnera pas, le gain & l'interêt, le repos, le délaffement, la joie, font toutes chofes qui contentent l'amour - propre. L'ame s'en voyant dépourvûe, tombe incontinent dans l'ennui & dans le découragement.

La raison ne veut pas que l'on ôte aux perfonnes foibles toutes les confolations humaines & tous les appuis qui les foutiennent; & comme les ferviteurs font ordinairement du nombre de ces perfonnes foibles, il eft jufte de les foulager par ces moyens humains qui entretiennent l'efprit dans une affiette rai fonnable. On y eft d'autant plus obligé,

« AnteriorContinuar »