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que leur condition eft dure d'elle-mê me, & très-contraire aux inclinations de la nature, & qu'ayant befoin nous-mêmes de tant d'appuis, il feroit bien injufte que nous les refufaffions aux autres.

Il est donc vrai qu'il faut nourrir l'amour propre, mais la fin de cette nourriture n'eft pas de faire fubfifter l'amourpropre, on doit avoir au-contraire pour but de le détruire; mais d'empêcher que manquant de matiere & d'alimens, il ne renverse l'efprit de ceux qui font trop foibles pour le foutenir fans cela.

VIII.

Refpects exigibles & non exigibles.

Les refpects qui font dûs à notre Char ge peuvent s'exiger avec quelque forte de juftice, parcequ'ils font certains, mais non ceux qui font dûs à notre merite c'eft une baffeffe que de croire en avoir; mais c'est une tyrannie d'obliger les autres à croire que nous en avons : il faut le leur montrer & les en perfuader; mais non pas les forcer à le croire malgré qu'ils en ayent.

IX.

Connoître le merite avant que de l'eftimer ́

Vous voulez que je respecte Monfieur un tel comme le premier homme de l'E

glife. Comme il n'eft pas le premier par la charge, faites-moi voir qu'il est le premier par fon mérite. Mais je le juge tel & je le connois pour tel. Peut-être n'en jugez-vous pas bien; & il est toujours injufte de donner votre jugement pour régle de celui des autres ; lorfque je le connoîtrai comme vous, je le refpecterai comme vous. Mais c'est, dit-on, votre orgueil qui vous empêche d'en juger comme les autres en jugent. Peut-être auffi que c'est par orgueil qu'il y en a qui trouvent mauvais qu'on ne juge pas comme eux, perfonne ne peut fe juftiner de l'orgueil. C'eft une qualité invifible à nos yeux; mais tandis qu'on ne la connoît pas, cette crainte generale n'est pas une raifon de changer de fentiment.

Quand M. un tel feroit le premier homme de l'Eglife, je ne fuis pas coupable de ne le pas croire, tant que je n'en aurai pas de preuves, & je ferois au-contraire coupable de le croire fans preuve, quand même il feroit tel en effet, car n'en ayant pas de preuve, je le croirois témerairement & fans raison.

X.

Ce n'eft pas grande chofe que d'avoir ce qu'on appelle communément bon efprit.

On fait trop valoir la qualité que l'op

appelle communément bon efprit.L'idée que l'on s'en forme dans le monde n'eft pas dans le fond fi grande chofe,& il ye inille défants de gens à qui on donne ce nom de bon efprit, équivalens à la bêtife, comme il y a fouvent dans les bêtes beaucoup de bonnes qualités équivalentes à ce prétendu bon efprit. Il n'y a que la folidité d'un efprit qui cherche Dieu, qui ne puiffe être égalée par aucune qualité humaine.

XI.

Supprimer fon efprit.

Il faut éviter de faire trop paroître fon efprit. Avoir tant d'efprit n'eft pas une qualité aimable, elle attire fouvent l'envie ou la haine, au-lieu de l'affection; & infenfiblement nous aimons moins ces perfonnes qui nous oppriment par leur efprit. Il faut donc tâcher que la principale qualité qni éclate en nous, foit la bonté, & que notre efprit ne ferve qu'à la faire paroître; car la bonté eft une qualité vraiment aimable, parcequ'elle ne choque point la concupifcence, & n'imite point la vanité & la jalousie.

XII

Ebullitions d'efprit.

Il y a des perfonnes qui ont des ébullitions d'efprit, comme il y en a qui ont des ébullitions de fang, c'est-à-dire, que

leur efprit paroît par tout. Cela m'incommode je n'aime pas ceux qui m'avertisfent fi fort de ma bêtife; ils ne peuvent me communiquer leur efprit, qu'en ai-je donc affaire? Voilà le fentiment naturel de la malignité humaine. S'il a tant de bien qu'il dine deux fois, difent les pauvres fuperbes dans leurs proverbes : s'il a tant d'efprit, qu'il s'en ferve comme il pourra, dit l'orgueil humain. Il est vraj que c'eft-là le fentiment de l'orgueil; mais il eft de la charité & de l'humilité de ne le pas incommoder.

XIIL

Regle des Ajuftemens.

C'eftune illufion ordinaire aux gens du monde de croire que des ajustemens, des curiofités, des dépenfes leur font permifes,lorfque leur condition le leur permet; c'est-à-dire, qu'elles ne font point dire au monde qu'elles s'élevent au-deffus de leur condition. Cette regle eft trompeufe & fauffe, & elle juftifieroit une infinité de vaines dépenses.

Il ne faut donc pas regarder ce que la condition permet, mais ce qu'elle commande: car le commandement & l'obligation de la condition peut quelquefois fervir d'excufe, mais non la fimple permiffion.

Lorsqu'une chofe eft vaine & fuperflue

en elle-n ême, qu'elle eft née du déreglement des hommes, & qu'elle eft telle que fi nous pouvions réformer le monde, nous ferions obligés de la bannir. Il ne fuffit pas pour en user licitement, qu'elle ne foit pas au-deffus de notre condition, mais il faut de plus que notre condition nous y oblige.

Ceft par cette regle que l'on doit décider la plupart des queftions que l'on peut faire fur les habits des femmes; car comme tous ces habits font vains d'euxmêmes, nés de la vanité,&que fi toutes les femmes étoient chrétiennes, comme elles devroient l'être, elles feroient obligées de s'habiller autrement : il eft neceffaire qu'une femme qui ne veut pas fe tromper,defcende jufqu'au dernier degré de rabaiffement que fa condition peut lui permettre,& qu'elle rejette tous les ornemens que fa condition fouffre qu'elle rejette fans trop fcandalifer le monde.

M'eft-il permis d'acheter ce diamant? Le monde ferá-t'il fcandalifé fi vous ne l'avez pas, & donnerez-vous quelque occafion de pêcher en ne l'ayant pas Non certainement : vous ne devez donc pas l'avoir en confcience. Voilà la regle. Mais ma condition me le permet: Oui; mais elle vous permet auffi de vous en paffer.

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