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ne prétende en aucune forte comparer mon jugement avec le fien, il m'eft néanmoins impoffible de ne pas préférer celui de toutes les autres perfonnes de-pieté au fien, lorfqu'en examinant la raifon je les trouve tous oppofés à fon fentiment.

Je ne fai donc pas encore fi je me trompe ou non, mais je fai qu'en cette difpofition & en cet état des chofes je dois croire qu'il fe trompe, parceque j'ai l'efprit fait de telle forte qu'il eft impoffible qu'il ne conclue lorsqu'il se voit ap puyé d'une autorité certainement plus grande, & d'une raifon qui lui paroît plus confiderable la verité eft de ce côque é-là.

XVI.

On a befoin de verité & de condefcen

dance.

Nous avons tous befoin d'être trompés, & qu'on ne nous dise pas nos défauts, & nous avons auffi befoin qu'on nous les dife. Ne vouloir point de condefcendance, c'eft ne connoître pas qu'on eft foible. Ne vouloir point qu'on nous dife la verité, c'eft vouloir demeurer dans la foibleffe. Il faut donc que la verité foit temperée de condescendance.

XVII.

Pechés cachés par diverfes raifons. Dieu cache les pechés aux hommes, &

par juftice lorfqu'il veut les aveugler; & par mifericorde pour ne pas les acca

bler.

Les Directeurs les cachent aux antres -parignorance,quand ils neles connoiflent pas, par complaifance, lorfqu'ils ont peurde déplaire; par condefcendance, lorfqu'ils craignent de décourager,

Et l'homme fe les cache à lui-même par orgueil, parcequ'il ne veut pas les connoître; & par prudence, lorfque la vue qu'il en a n'eft point aflez proportionnée à la foibleffe:ce qui l'oblige quelquefois d'en détourner l'efprit, de peur de tomber dans l'abattement.

XVIII.

Ne pas difpofer legerement de fon bien. Geft une fpiritualité qui me paroît très-mal reglée de difpofer legerement & fans grande confideration d'une partie de fon bien, lorfque l'on n'a que le neceffaire. Quand il s'agit du fuperfiu, c'eft toujours un grand défaut de discretion que de l'empolyer par caprice. On peut acheter le ciel par l'ufage reglé de fon bien ;c'eft donc en abufer que de l'employer à fatisfaire les mouvemens impétueux de la fantaisie.

Mais quand il s'agit d'un bien neceffaire,il me femble qu'il faut encore y

prendre garde de plus près. Ces biens net nous font pas donnés pour exercer notre charité, comme les biens fuperflus, mais pour foutenir notre foiblefle. C'est un bâton fur lequel nous nous appuyons, & dont nous nous fervons pour nous mettre dans un état proportionné à nos befoins comme les aveugles fe fervent de leur bâton pour tâter où ils mettront leurs

pas.

Si donc nous nous en dépouillons inconfiderément, nous faifons comme une perfonne foible & malade qui jetteroit fon bâton fans raison & fans neceffité, & il n'eft pas étrange que cette inconfideration produife de grandes chutes, comme il n'est pas étrange qu'un malade qui a jetté fon bâton, tombe par

terre.

Il y a de très-grandes tentations attachées au manquement de biens temporels. Il faut beaucoup d'humilité pour fouffrir la dépendance des autres. On fe picque de generofité. On ne vent point avoir d'obligation aux gens. On croit qu'ils fe trouvent importunés. On fe remplit d'imaginations, & peu à peu l'on fe définit par les mêmes raifons qui devroient nous unir plus étroitement,

Si Dien nous avoit donné un grand amour de la pauvreté, de la dépendan

ce, & de l'humiliation, à la bonne heure que nous nous réduisions à un état, auquel il auroit plû à Dieu de nous préparer. S'il nous ravit lui-même les biens temporels, à la bonne heure que nous acceptions avec joie l'Arrêt de fa volonté, puifque nous pouvons avoir une jufte confiance qu'il nous donnera la force de fouffrir l'état où il nous aura mis.

Mais que fans avoir aucun témoignage de certe grace & de cet amour de la pauvreté & de l'humiliation,& fans avoir aucune preuve de la volonté de Dieu, nous nous mettions de nous-mêmes en un état exposé à toutes ces tentations, il me femble que c'eft une très-grande témerité, & que le moins que nous puiffions faire, quand nous fommes tombés dans ces fortes de fautes, eft d'en demander pardon à Dieu, de reconnoître que nous avons eu trop de confiance en nos propres forces, & de le prier qu'il empê-che par fa grace les mauvais effets de no-tre témerité.

XIX.

Erainte de la Mort.

Il n'y a rien de plus inutile que les efforts que font les Philofophes payens,> & ceux qui raifonnent en Payens, comme Montagne, pour delivrer les hommess de la crainte de la mort.

Cette crainte qu'ils confiderent comme un des plus grans maux de la vie eft ce qui travaille le moins la plupart des hommes. Qu'on jette les yeux fur les pauvres qui font les trois quarts du monde,on n'en trouvera point qui penfent à la mort avec grand eftroi.

La plupart des riches même font trèspeu frappés de cette crainte, & comme ils regardent toujours la mort comme éloignée, ils la regardent auffi avec assez de froideur.

Enfuite les maladies qui les furprennent portent avec elles les remedes de cette crainte, par l'affoibliffement de l'efprit qu'elles caufent, qui difpofe mieux à recevoir la mort fans frayeur, que toutes les raifons d'Epictete & de Seneque.

Ce n'eft pas même un bien que de procurer aux hommes le mépris de la mort, il eft dangereux d'en bannir la crainte de l'efprit du commun des hommes, parceque l'amour du bien eft trop foible pour les retenir dans l'ordre.

Tant s'en faut que l'on doive confiderer la crainte de la mort dans le commun du monde comme un défaut que l'on doive déraciaer, on doit au-contraire confiderer l'indifference avec laquelle ils la regardent comme un de leurs plus grans maux, qu'il faut tâcher de détruire

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