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IX.

Mais fi on fépare des jugemens que l'on fait des Superieurs, tous ces défauts que nous avons marqués, c'est à dire;

Si on évite l'erreur & l'injuftice: Si on évite la temerité: Si on évite l'application indifcrete: Si on évite la trop grande attache à fon jugement: Si on évite les autres défauts qui s'y peuvent gliffer, comme l'aigreur, la paffion, la hauteur, le inépris, l'indifcretion, &c. & que l'on forme ou avec utilité, ou avec neceffité un jugement jufte & équitable, ou de leurs paroles ou de leurs actions, ou de leurs écrits; il eft clair que ce jugement étant conforme à la verité, & n'étant point corrompu par aucune mauvaise paffion, n'eft aucunement contraire au respect.

Car l'ordre de Dieu qui met certaines perfonnes an-deffus des autres, ne les rend ni impeccables-ni infaillibles, & n'empêche pas les inferieurs de reconnoître leurs fautes & leurs erreurs. Ainfi n'ayant aucun principe qui puifle les empêcher de les prendre pour des fautes & pour des erreurs, il eft certain qu'ils ne font aucune faute en fuivant ce que la raifon & l'évidence leur en fait connoître.

X.

Le refpect & la verité ne font pas contraires, puifque c'eft la verité même qui prefcrit le relpect; ainfi un jugement veritable n'eft pas de foi-même contraire a refpect. Or fi un jugement comme veritable, n'y eft pas contraire, il ne l'est pas auffi pendant qu'il demeure dans l'étendue de la verité; c'est-à-dire, par exemple, qu'il n'eft pas contraire au refpect de defaprouver un écrit ou une action d'un Superieur, lorfque cette action ou cet écrit merite d'être defapprouvé. Il n'eft point contraire au respect de le defapprouver fortement, lorsqu'il merite d'être fortement defapprouvé. Si un écrit réellement & dans la verité ne vaut rien, s'il eft plein de fautes, s'il eft contraire au bon fens, il n'eft point contraire au refpect d'en avoir toutes ces pensées.

XI.

Il eft aife par là de regler le refpect que nous devons aux perfonnes qui font au deffus de nous, eû égard à nos jugemens interieurs. Nous leur devons une plus grande attention, pour éviter les jugemens faux & temeraires. Nous ne devons pas nous appliquer inutilement à juger de leurs actions, Mais fuppofé qu'il

y ait raison de juger de quelque chofe qu'ils ont faite,ils n'ont point de raison de fe plaindre de nos jugemens, s'ils demeurent dans l'étendue de la verité & de note lumiere.

XIL

Ces principes fuffifent pour regler les mouvemens interieurs & les jugemens de notre efprit pendant qu'ils demeurent dans nous; mais lorsqu'il s'agit de les faire connoître à ceux mêmes qu'ils regardent, il eft vrai qu'il peut y avoir du défaut de refpect dans la maniere dont on les propofe.

Et certainement il y en a fi l'on communique ces jugemens à d'autres perfonnes qu'au Superieur, fans une neceffité évidente; parceque quelque veritables qu'ils foient, ils ne laiffent pas d'être dangereux, en diminuant la créance qu'on doit avoir aux Superieurs, & en portant les foibles à prendre la liberté de juger de leurs actions, ce qui caufe de grans defordres dans les focietés.

Il y en a encore, fi l'on fe fert, en parlant à ce Superieur, de termes qui témoignent que l'on n'a pas dans le cœur cette difpofition d'abbaiffement qui est dûe, non aux qualités personnelles, mais à l'ordre de Dieu, ou qui font patoître

quelque mauvaife humeur, & quelque mouvement de colere: car les fignes exterieurs de ces mouvemens font mauvais, parceque le mouvement interieur qu'ils expriment, eft mauvais & contraire au refpect.

XIII.

Mais quand les expreffions ne contiennent point des fignes des mouvemens de la volonté, ou d'un jugement contraire à cette reconnoiffance de l'ordre de Dieu, mais feulement des pènfées de l'efprit à l'égard de certains objets & de certaines questions, elles peuvent être contraires à la charité & à la prudence, mais non au refpect précisément.

Car il eft certain que fi on avoit à traiter avec des perfonnes fans cupidité, on leur découvriroit toutes les pensées & tous les jugemens, fans craindre jamais de les blefler ; & l'on ne feroit aucune difference entre avoir d'eux une penfée, & la leur déclarer par tous les termes qui feroient les plus capables de la faire en

tendre.

S'il y a en cela quelque défaut de refpect, il n'eft pas dans les paroles, ni dans la découverte de fes penfées, il eft dans la penfee même : & s'il n'y en a point dans la penfée, il n'y en a point dans les pa

roles quelques fortes qu'elles foient.

XIV.

Mais fi on n'eft pas obligé d'affoiblir es expreffions par le refpect que l'on pore à ceux qui font élevés au-deffus de nous dans l'ordre de Dieu, on eft obli gé quelquefois de les temperer, parcequ'ils font hommes, parcequ'ils font fois bles, parcequ'ils ne font pas exemts de cupidité, parcequ'ils ne font pas équitables dans leurs jugemens, & qu'ainfi ils font fujets à fe choquer injuftement; & à mesure que l'on connoît davantage cette foibleffe, on doit ufer d'un plus grand temperament & de précautions plus exactes.

XV.

La neceffité de ce devoir est toute vifible, puifque nous ne devons pas fcandalifer notre prochain, & que les Superieurs mêmes font compris fous le nom de prochain; mais il eft clair auffi que ce devoir de temperament & de ménagement dans nos paroles ne vient point d'un fentiment d'eftime pour ce Superieur, mais plutôt de la connoillance de fa foibleffe: & qu'au contraire plus nous avons d'eftime de fa vertu, plus nous pouvons prendre juftement de liberté de

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