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175༠. Juin.

grondin.

ma vûe de toutes parts, fans appercevoir autre chose que des fables éblouiffans d'un côté, & la plaine liquide de l'autre. Il eft vrai que quelquefois ce fpectacle uniforme étoit varié par la vûe des pirogues des nègres pêcheurs, qui bravoient la barre pour venir à bord apporter du poiffon. Quoique la mer foit très-grosse à la côte, la rade ne laisse pas d'être poiffonneufe. Nos Pêche du matelots y faifoient une pêche abondante à la ligne, fur-tout d'une espece de vieille qui y eft fort commune. Ce poisson a une avidité extraordinaire pour mordre à l'hameçon ; & dès qu'il eft pris, c'eft un plaifir de voir les élans & les efforts qu'il fait pour fe délivrer: cela va même au point qu'il renverse fon estomac, que l'on voit fortir par la bouche fous la forme d'une veffie de carpe : ces efforts font encore accompagnés d'un bruit fourd & très-fort, qu'il rend comme en grondant, & qui lui a valu le nom de grondin, fous lequel on le connoît fur cette côte.

20.

Arrivée à l'ifle

ce que c'eft,

Un vent d'ouest, en me tirant de ce difgracieux féjour, me fit paffer la barre & me remit à l'ifle du du Sénégal. Sénégal le 20 du mois de juin. J'avois grand befoin de me repofer des fatigues de tous mes voyages fur la mer, qui m'avoit plus incommodé que n'auroit fait une longue maladie. Chacun fçait que le mal de mer Mal de mer, eft une espece d'abattement ou de défaillance, qui caufe des naufées & des vomiffemens plus ou moins fréquens, felon la diverfité des tempéramens qui font expofés fur cet élement. Il y a des gens qui n'ont jamais connu ce mal: il y en a d'autres qui n'en reffentent les effets que pendant les premiers jours, & qui en font quittes pour quelques étourdiffemens : dans d'autres

1750. Juin,

ce mal ne paroît que lorsque la mer eft fort agitée, & que le mouvement du vaiffeau eft très-violent : d'autres enfin, & j'étois de ce petit nombre, en sont incommodés pendant tout le tems qu'ils y restent; dans les plus courts voyages, même de deux heures, comme dans les plus longs; dans les calmes, comme dans les gros tems. Les tempéramens forts & les tempéramens foibles en font également attaqués : il n'y a que telle ou telle constitution ou difpofition de tempérament, celle des enfans, par exemple, des perfonnes affoiblies par les maladies, & de quelques autres en fanté qui en foit exempte. On ne connoît pas encore pourquoi de ces dernières les unes font fujettes à ce mal, pendant que les autres lui échappent. L'utilité générale qui résulteroit de cette connoiffance, qui pourroit paffer pour une vraie découverte dans un fiècle auffi éclairé que celui-ci, mériteroit l'attention des Médecins (1) qui ont occafion de voyager fur mer, ou qui

(1) En faveur des Médecins qui voudroient s'attacher à découvrir la caufe de ce mal, je joindrai ici quelques autres remarques que j'ai faites. 1o. Ceux qui, comme moi, furent conftamment malades, en s'embarquant pour la premiere fois fur un moyen vaiffeau du port de soo tonneaux, ne fentirent les premiers étourdiffemens ou le mal de tête qu'au bout de quatre heures; le vomiffement ne prit qu'à la feptiéme heure, & continua pendant les deux mois que dura le voyage, 20. Lorsque je ne reftois pas affez long-tems en mer pour donner lieu au vomiffement, il me prenoit une ou deux heures après que j'étois defcendu à terre, foit que j'euffe mangé, foit que je n'euffe pas mangé en débarquant. 3o. Il est trèsrare que le mal de mer donne la fièvre ; il dérange feulement l'eftomac, fans ôter l'appétit. 4°. J'ai remarqué qu'il échappoit beaucoup plus de femmes que d'hommes à ce mal; & plus de ceux qui ont la vûe baffe & courte, que de ceux qui l'ont forte & longue. so. Enfin j'ai obfervé que ceux qui ont été le plus incommodés la par mer, fe portent toujours infiniment mieux fur terre, que ceux qui fe font le mieux porté & qui ont paru les plus vigoureux en mer,

font

font à portée de faire ces expériences. La cause de ce mal une fois connue, on pourroit trouver quelque für préservatif, qui rendroit cet élement praticable à des gens, qui, faits pour les voyages & avec la meilleure volonté du monde, fouvent n'en font détournés que par ce feul obftacle.

1750.

Juin.

nonce aux

voyages par

mar.

Ce mal qu'on ne plaint pas assez, m'avoit ruiné & L'Auteur re dérangé l'eftomac au point qu'arrivé fur l'isle du Sénégal, je ne vis d'autre moyen de rétablir ma fanté altérée, que de m'y fixer, renonçant à toute efpece de voyage fur mer, & prenant une ferme réfolution de n'y remettre le pied que pour faire mon retour en France. J'avois lieu d'être content d'ailleurs des voyages que je venois de terminer si avantageufement pour l'hiftoire naturelle dans les contrées méridionales de la Conceffion; & les environs de l'ifle du Sénégal & du Niger, devoient me fournir beaucoup d'observations de physique & d'histoire naturelle, qui m'avoient échappées. J'y reftai donc encore quelques années, pendant lefquelles outre ces obfervations, le tems me Projet d'une permit de lever quelques cartes topographiques que virons de l'ifle j'avois projettées, pour me guider dans mes petits du Sénégal. voyages. Dans la fuite de cette relation, je ne citerai plus que ce que ces promenades des environs de l'ifle du Sénégal m'ont offert de plus remarquable.

carte des en

Il eft furpris

au milieu du

Il y avoit long-tems que je defirois vifiter le village 4 Septembre. de Kionk, qui eft dans l'ifle au Bois, à une lieue au par un grain nord de l’ifle du Sénégal. Je m'y rendis le 4 septembre fleuve. avec une chaloupe: mais je ne fus pas heureux dans mon retour; car lorfque je fus en pleine eau, il s'éleva un vent furieux de l'eft: c'étoit un avertissement de

Q

1750.

chercher la terre, pour éviter l'orage qui menaçoit. Septembre. En effet, à peine étois-je par le travers de la pointe de l'ifle au Bois qu'il crêva. Comme je ne pouvois me rallier à la terre quelque diligence que je fiffe, & que le danger étoit preffant, je gagnai auffi-tôt le platon qui joint cette pointe à l'ifle du Sénégal. L'exemple d'une pirogue, dont les nègres, furpris comme moi par l'orage, s'étoient mis dans l'eau jufqu'à la ceinture fur ce même platon, pour la retenir contre le choc des lames dont elle avoit d'abord été comblée, fut fuivi par les fix nègres de ma chaloupe & dix aupar tres paffagers hommes ou femmes, qui se jetterent auffi à l'eau. Ils fe diftribuerent tout autour de la chaloupe, & la foutinrent contre l'effort du vent & des vagues. C'étoit le moyen le plus fûr d'empêcher qu'elle ne fût fubmergée, ou entraînée fur le rivage où elle fe feroit infailliblement brifée; deux écueils également à craindre dans cet endroit, où la largeur du Niger confidérablement augmentée par la réunion de fes deux bras, forme une espece de lac dont l'étendue donne beaucoup de prise au vent, qui y excite fouvent de vraies tempêtes. Cet orage en méritoit bien le nom par les éclairs & le tonnerre dont la pluie & le vent étoient accompagnés. L'attention des nègres qui foulevoient ma chaloupe, n'empêcha pas qu'elle ne fit un pied & demi d'eau, tant par celle qui tomboit du ciel, que par les vagues qui la couvroient quelquefois fous la forme d'une nappe, dont j'étois auffi enveloppé. Je fus encore plus lavé & comme leffivé par l'eau de la pluie, à caufe de la violence avec laquelle le vent la lançoit. Sa continuité m'ôtoit la liberté de

la refpiration, quoique je me fuffe mis à couvert fous le manteau du patron. Ses redoublemens entraînoient quelquefois mes nègres avec la chaloupe au point que j'avois tout à craindre pour eux & pour moi. Ils ne lâcherent cependant pas pied, leur courage les foutint pendant plus de deux heures, & nous fauva.

pour

moi que

1750. Septembre,

fumée très

Ce grain qui avoit commencé à trois heures du foir, Trombe de ne devint intéressant fur la fin. Le vent dangereux. en ceffant vers les cinq heures, me permit de faire porter fur la pointe feptentrionale de l’isle du Sénégal. C'étoit la terre la plus proche, & je m'empreffois d'y débarquer pour me tirer au plus vîte de l'eau dont la chaloupe étoit encore demi-pleine, malgré les foins que fe donnoient les dix paffagers pour la vuider de celle que les lames y apportoient à chaque instant. Pendant que nous avancions à force de rames, il parut un phénomene que je n'avois pas encore vû de fi près, & dont j'ignore que perfonne ait jamais parlé. C'étoit une espece de trombe femblable à une colomne de fumée qui tournoit fur elle-même. Cette colomne avoit dix à douze pieds de largeur, fur environ deux cens cinquante de hauteur: elle étoit appuyée sur l'eau par fa base, & le vent d'eft la portoit vers nous. Auffique les nègres l'eurent apperçue, ils forcerent de rames pour l'éviter. Ils connoiffoient mieux que moi le danger auquel nous aurions tous été expofés, fi ce tourbillon eût paffé fur nous; car ils fçavoient que fon effet le plus ordinaire eft d'étouffer par fa chaleur ceux qui en font enveloppés, & quelquefois d'enflammer leurs maifons de paille, & ils avoient plusieurs exemples de gens à qui un semblable accident avoit coûté

tôt

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