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chair dont je goûtai auffi quelques morceaux, ne me parut pas avoir une odeur de mufc auffi forte que l'on dit qu'elle a d'ordinaire, & je la trouvai fort mangeable.

1752.

Août.

Le jour fuivant je me promenai de l'autre côté du marigot de la Chaux, & je ne fus pas peu furpris d'y trouver un grand nombre de collines de fable rouge de plus de trente pieds de hauteur. Les néous (1), les déthars (2) & plusieurs autres arbres fruitiers donnoient des marques affurées de la fertilité de ce terrein. Je voyois à chaque pas fur les arbriffeaux des camé Caméleons. leons, qui, lorfqu'on les touchoit, changeoient en noir leur couleur verte. Ils avoient alors beau jeu à faire la chaffe aux fauterelles dont la terre étoit, pour ainfi dire, couverte; & ce feroit une erreur de croire que cet animal ne mange point; fa maigreur ne doit pas nous en impofer. Tous ceux que je trouvai avoient l'eftomac rempli de papillons & fur-tout de fauterelles, qui témoignoient qu'ils n'avoient pas obfervé un jeûne auffi rigoureux que le penfoit autrefois le vulgaire: mais ce n'eft pas la feule erreur dont il ait besoin d'être défabufé.

Pour revenir au banc de coquilles d'huîtres qui couvrent les campagnes de la Chaux dans une étendue de plus de demi-lieue, les nègres ont auffi leurs préjugés. Les uns racontent que ce banc eft l'ouvrage des finges du tems paffé; & que ces animaux plus fréquens alors dans ces quartiers qu'ils n'y font aujourd'hui, mangerent ces huîtres: les autres veulent que ce foient les dépouilles de celles que leurs peres ont boucanées,

(1) (2) Nouvelles efpeces d'arbres non décrits.

Sentimens des nègres fur la

formation des bancs de co

quilles.

Août.

1752. c'eft-à-dire, féchées à la fumée, comme ils faifoient encore eux-mêmes il n'y a pas longues années, lorfque les mangliers de cette riviere leur en fourniffoient, comme font aujourd'hui ceux du fleuve Gambie. Les françois qui ont examiné ces bancs, & qui ont entendu raifonner les nègres fur leur formation, font auffi de ce dernier fentiment. Mais quand on leur accorderoit ces deux points, ils feront toujours embarraffés d'ex pliquer comment ces coquilles ont pû s'arranger auffi régulierement qu'on les trouve, & fans aucun mêlange. D'ailleurs la quantité d'huîtres qu'on peut boucaner & écailler en un jour est fi petite en comparaison de l'amas immenfe des coquilles en question, & fuppoferoit pour la formation de ce banc un fi grand nombre de fiécles, que la chofe perd par la fupputa tion toute vraisemblance. Sans avoir recours à des preuves auffi douteufes, pour expliquer comment fe font formés ces amas & quelques autres femblables, il fuffit de confidérer ce qui fe paffe dans le fleuve de Gambie, où les huîtres qui y multiplient confidérablement fur les racines des mangliers, ont formées par leurs dépôts, dans plufieurs endroits de fon lit, des bancs de coquilles fort élevés ; & l'on fera bien fondé à croire que ces endroits ont été autrefois des lits de rivieres où les huîtres vivoient auffi fur les mangliers; que ces lits ont changé fucceffivement de place, & que la mer en baillant a laiffé ces bancs à découverts & affez de niveau à huit ou dix pieds au-deffus de fa furface.›

Retour à l'ifle du Sénégal.

Le 23 je repournai à l'ifle du Sénégal dans ma pirogue. Quoiqu'elle fût volage, & peu ferme fur fon affiette, j'aimai mieux m'en fervir que d'attendre la

pa

commodité du bateau qui m'avoit amené. Mes nègres nagerent à l'envi l'un de l'autre, & me firent paffer en moins de deux heures les deux lieues & demi qu'il y a de la Chaux à l'ifle du Sénégal. Malgré les groffes vagues & un grain de vent que nous eûmes à la bande de l'est en fortant du marigot, nous ne reçûmes aucun coup de lame, & nous ne prîmes pas une feule goute d'eau, parce que nous étions à l'abri fous les mangliers. Le vent s'étoit calmé tout-à-fait, & il n'y avoit plus que quelques vagues encore affez groffes, lorfqu'une pirogue fe mit à l'eau pour traverser le fleuve. Elle étoit petite, & portoit trois hommes, dont deux gayoient: dans cet exercice ils faifoient une espece de mufique avec un refrain que j'entendois d'affez loin, & qui n'étoit pas défagréable. Le nègre qui gouvernoit avec fa pagaye pour éviter les lames, fe trouva apparemment en défaut ; ou bien celui qui étoit occupé vers le milieu à vuider l'eau qui entroit dedans, pencha trop d'un côté & fit perdre fon équilibre à la pirogue; elle verfa & eux avec elle. Quoiqu'ils fuffent fort habiles, ils eurent toutes les peines du monde à la remettre fur l'eau ; à la fin cependant à force de la pouffer & de fe la renvoyer les uns aux autres par les extrémités, en restant toujours à la nage, ils la vuiderent & remonterent dedans les uns après les autres. Dans toute autre circonftance on fe feroit diverti à voir leurs manœuvres, la force & l'adresse qu'ils mirent en usage pour se tirer de ce danger, & l'on dire peut qu'ils réuffirent parfaitement bien. Cet accident n'est pas rare; mais comme ils font tous excellens nageurs, il eft inoui qu'ils y périssent.

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1752. Août.

Serpent géant.

Vers le milieu du mois fuivant on me fit présent d'un jeune serpent de l'efpece du ferpent géant. Ce préfent me fit plaifir, parce que c'étoit le premier de cette efpece que j'euffe vû : j'en conferve encore aujourd'hui la dépouille en entier dans mon cabinet. Il venoit d'être pris dans le marigot même de l'isle du Sénégal, & il étoit très-vivant. Il avoit trois pieds & un peu plus de longueur. Le fond de fa couleur étoit un jaune livide, coupé par une large bande noirâtre qui regnoit tout le long du dos, & fur laquelle étoient femées quelques taches jaunâtres affez irrégulieres. Un luftre répandu fur tout fon corps, le faifoit briller comme s'il eût été vernissé. Sa tête n'étoit ni platte ni triangulaire, comme celle de la vipere, mais arrondie & un peu allongée. Ce ferpent tout petit qu'il étoit, suffisoit pour me le faire distinguer de toutes les autres efpeces; mais ce n'étoit qu'une foible image des gros dont jamais je ne me ferois formé une idée jufte, fi peu de tems après on ne m'en eût apporté en différentes fois deux médiocres, dont le plus grand avoit vingt-deux pieds & quelques pouces de long fur huit pouces de large. Un cendré noir lavé de quelques lignes jaunes peu apparentes, étoit la couleur dominante de fa peau, qui étant étendue avoit vingt-cinq à vingt-fix pouces de largeur : elle me fut laiffée toute entiere avec un tronçon de chair, dont le reste devoit faire le repas du chaffeur & de tout fon village pendant plufieurs jours. La tête qui y tenoit encore, éga loit en grandeur celle d'un crocodile de cinq à fix pieds: fes dents étoient longues de plus d'un demipouce, fortes & aigues; & l'ouverture de fa gueule

auroit été plus que fuffifante pour avaler en entier un 1752. lievre & même un chien affez gros, fans avoir befoin Septembre. de le mâcher.

grands.

La vûe de ces deux ferpens, qui de l'aveu de mes Taille des plus nègres & de tous ceux qui en avoient beaucoup vû, n'étoient que des médiocres, ne me permirent plus de douter de la vérité de ce que j'en avois entendu dire mille fois dans le pays, & que j'avois mis au nombre des fables. Les nègres mêmes auxquels j'étois redevable de ceux-ci, m'assurerent que je n'avois rien vû de fingulier en ce genre, & qu'il n'étoit pas rare d'en trouver, à quelques lieues dans l'eft de l'ifle du Sénégal, dont la grandeur égaloit celle d'un mât ordinaire de bateau. Des gens du Biffao difent en avoir vû dans leur pays qui auroient furpaffé de beaucoup ces pieces de bois. Il ne fut pas difficile de juger par la comparaifon de leurs récits avec les ferpens que j'avois fous les yeux, que la taille des plus grands de cette efpece appréciée à sa juste valeur, devoit être de quarante à cinquante pieds pour la longueur, & d'un pied à un pied & demi pour la largeur.

pas

La maniere dont cet animal fait la chaffe n'est moins finguliere que fon énorme groffeur. Il fe tient dans les lieux humides & proche des eaux. Sa queue eft repliée fur elle-même en deux ou trois tours de cercle, qui renferment un efpace rond de cinq à fix pieds de diametre, au-dessus duquel s'éleve fa tête avec une partie de fon corps. Dans cette attitude & comme immobile, il porte fes regards tout autour de lui, & quand il apperçoit un animal à fa portée, il s'élance fur lui par le moyen des circonvolutions de fa queue

Maniere dont

ils chatfent.

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