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fur les pointes de deux lames différentes : quelquefois Septembre. elle n'étoit foutenue que par fon milieu fur le fommet d'une lame, de maniere que fes deux bouts restoient en l'air comme en équilibre. Ce fut en cette maniere qu'expofés à tous momens au péril évident d'être submergés, nous franchîmes cette barre, avec un bonheur inoui, & que nous arrivâmes à bord du bateau, qui nous remit à l'ifle de Gorée le 24 septembre à l'entrée de la nuit.

26. Promenade

Deux jours après, M. de Saint-Jean voulut me aux ifles de la donner la fatisfaction d'aller aux ifles de la MagdeMagdeleine. leine, qui en font éloignées d'une bonne lieue. Il fit équiper un bateau dans lequel je m'embarquai avec lui & quelques officiers de fon département. De ces deux ifles il n'y en a qu'une de praticable; l'autre n'eft qu'un rocher nud & efcarpé, fort élevé au-deffus des eaux & tout blanc par les ordures que les plongeons, les goëlans, les fous & d'autres oifeaux de mer y ont faites en s'y repofant. L'ifle principale de la Magdeleine, quoique petite, pourroit être habitée, fi elle avoit un port; mais on ne peut l'aborder que par une petite anfe toute femée de rochers fur lefquels la mer eft rarement tranquille. Cette anfe fait une espece de culde-fac ou de long canal, qui aboutit à un bassin naturel de figure ovale, creufé dans le roc, de douze pieds de profondeur fur douze toises de longueur, & de la plus belle eau, où l'on peut fe baigner en fûreté. Du refte cette ifle n'eft qu'une montagne presque ronde, & femblable à celle de Gorée : elle a auffi deux petites fources d'eau qui tariffent pendant l'hiver ; la xue y est également belle & fort étendue, & l'air ex

trêmement

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trêmement frais; mais il n'y auroit aucune fatisfaction de s'y arrêter pour ce feul avantage. Ses rochers fer- Septembre. vent de retraite à un nombre infini de pigeons ramiers naturels au pays, & qui ne différent de ceux d'Europe qu'en ce qu'ils font d'une délicatesse & d'un goût plus exquis.

negres.

J'ai dit ailleurs que les nègres font négligens & Presse des paresseux à l'excès: en voici une nouvelle preuve. M. de Saint-Jean avoit fait planter fur cette ifle des batates, afin d'engager les nègres du voisinage qui y viennent fréquemment, à en continuer la culture & à les multiplier, pour les vendre enfuite à la Compagnie: ils y étoient venus en effet quelques jours avant nous, & avoient enlevé les batates, fans fe donner la peine d'en repiquer les branches, que nous trouvâmes hors de terre & defféchées par les ardeurs du foleil.

te isle.

Les plantes les plus remarquables de cette ifle, Plantes de cetétoient les mêmes que j'avois obfervées à Gorée. Dans le bas on voyoit plufieurs efpeces nouvelles de permacoce, & un helianthemoides, que les françois appellent falade-de-matelots, parce qu'ils en mangent les feuilles comme le pourpier, dont elles ont le goût. Plus haut fe trouvoient les corchorus (1), & plufieurs liferons à feuilles découpées. Le fommet de la montagne étoit rempli d'un grand nombre d'arbrisseaux, tels que les ricins, les tapia (2), & les caffes puantes, parmi lefquels croiffoient abondamment le dracunculus (3), l'ornithogalum à fleurs vertes, & une fort

(1) Corchorus five melochia. J. B. 2. 982.

(2) Tapia arborea triphylla. Plum. gen. pag. 22.

(3) Arum polyphyllum ceylanicum; caule fcabro, viridi diluto, maculis albicantibus notato. Comm, Hort. amft, vol. 1. tab. 52.

1749. jolie efpece d'amarante (4): enfin l'orceille couvroit Septembre. les rochers les plus expofés. Il y avoit auffi quelques

pains-de-finge de cinq à fix pieds de diametre: ils portoient tous des noms d'Européens, dont les caracteres étoient gravés profondément dans leurs écorces. Nous ne voulûmes pas contrevenir à la coutume; chacun fit fa marque fur ces arbres. Pour moi je me contentai de renouveller deux de ces noms qui étoient assez anciens pour en mériter la peine : l'un datoit du quinziéme & l'autre du feiziéme fiécle. Ces caracteres avoient environ fix pouces de longueur, mais ils n'occupoient en largeur qu'une très-petite partie de la circonférence du tronc, d'où je jugeai qu'ils n'avoient pas été graVieil'e.Te des vés dans la jeuneffe de ces arbres. Au reste, ces infcriprhes appel- tions fuffifent, ce ine femble, pour déterminer à

les pains-de

inge.

peu

près à quel âge peuvent arriver les pains-de-finge; car fi l'on fuppofe que ceux dont il est question ont été gravés dans leurs premiers ans, & qu'ils aient groffi de fix pieds dans l'efpace de deux fiécles, on peut calculer combien il leur faudroit de fiécles pour parvenir à vingt-cinq pieds, qui est le dernier terme de leur groffeur.

Après avoir refté trois jours à herboriser agréablement fur l'ifle de la Magdeleine, & à obferver les beaux coquillages qu'elle produit, nous nous rendî2 Octobre, mes à Gorée, d'où je partis le 2 octobre pour l'ifle du Gorée pour Sénégal. Les vents contraires de N-E. me retinrent File du Sé- dix jours en mer, qui m'auroient infiniment ennuyé s'ils ne m'euffent procuré une obfervation intéressante.

Départ de

(1) Amaranthus verticillatus minor, Bengalenfis ferpylli foliis incanis. Pluk. Phytogr. tab. 10. fig. 3.

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Hirondelles

Le 6 du même mois à fix heures & demie du foir, nous étions à cinquante lieues environ de la côte, lorf Octobre. que quatre hirondelles vinrent chercher gîte fur le de paffage. bâtiment, & fe repoferent côte à côte fur les échelons des haubans. Je les pris facilement toutes quatre, & les reconnus pour être les vraies hirondelles d'Europe. Cette heureuse rencontre me confirma dans le foupçon que j'avois formé, que ces oiseaux passoient les mers pour gagner les pays de la zone torride, dès que l'hiver approchoit: en effet j'ai remarqué depuis, qu'on ne les voit que pendant cette faison au Sénégal, avec les cailles, les bergeronettes, les écouffes & quelques autres oifeaux de paffage qui toutes les années s'y rendent lorfque le froid les chaffe des pays tempérés de l'Europe. Un fait qui n'est pas moins digne de remarque, c'eft que les hirondelles ne nichent pas au Sénégal comme en Europe: elles couchent toutes les nuits deux à deux, où folitairement, dans le fable fur le bord de la mer, où elles habitent plus volontiers que dans le cœur des terres.

lans.

Je fus encore distrait de la longueur de cette tra- Poistons ve verfée par les divertissemens que me donnoient les poiffons volans. C'étoit alors leur faison : la mer en étoit, pour ainfi dire, couverte. Leur grosseur est égale à celle du goujon ou du merlan. Ils ont deux nageoires prefqu'auffi longues que tout le corps, & qui leur fervent d'aîles pour voler au-deffus de l'eau. Les dorades & les bonites font d'autres poiffons qui en font trèsfriands: ils leur faifoient alors la chaffe, & l'on voyoit à chaque instant de petites nuées de poissons volans, qui s'élevoient au-dessus de l'eau pour éviter ces cruels

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ennemis, & couper en même tems leur route. Comme Octobre. ils ne fe foutiennent en l'air qu'autant que leurs aîles font humides, leur volée étoit courte, & beaucoup de ceux qui s'étoient élevés par-deffus le navire y retomberent : nous en fimes une capture très-abondante fans autre artifice. J'en mangeai quelques-uns que je trouvai très-délicats & de bon goût.

12.

Arrivée à l'ifle

Lorsque j'arrivai à l'ifle du Sénégal le 12 octobre, du Sénégal. les arbres, les campagnes, & les prairies fe reffentoient également de la vigueur de la faison que les pluies avoient amenée: on ne voyoit qu'une verdure agréable qui avoit fuccédée à une féchereffe affreufe. Les pluies avoient ceffé : les eaux du Niger qui commençoient à décroître, devoient rendre la route de Podor plus praticable. Je ne pouvois faifir un tems plus favorable à mes recherches fur les bords du fleuve : je penfai donc à faire une feconde fois ce voyage. Je fçavois bien que les vents qui ne font pas ordinairement bons dans cette faifon, me feroient faire de petites journées. J'en augurois avantageusement pour les travaux que je me propofois ; & je m'embarquai le Second voya- 23 du même mois. C'est l'ordinaire les bâtimens ge à Podor. qui fe disposent à faire ce voyage, fe fournissent de bois vis-à-vis la pointe de l'ifle Bifêche, dans une isle qui a retenu depuis le nom de l'ifle au Bois, à une petite lieue de celle du Sénégal. On s'y arrêta dans un fort joli quartier, où le bateau entra facilement au milieu des mangliers, & fe trouva fous un couvert de verdure très-agréable. Pendant que l'on fit la provifion, je defcendis fur cette ifle dont le terrein inondé n'étoit qu'un marais & un bourbier continuel. Je sen

que

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