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le coffre. Celle de derriere étoit ouverte afin qu'on pût entrer dans l'autel, & y ferrer les faintes reliques. Ce précieux monument a été brifé il n'y a pas long-temps par la fimplicité d'un prieur, qui prit ces grandes pierres pour fervir de pavé à l'églife; on les y voit encore toutes entierès, & aujourd'hui les peuples marchent fur cette table facrée, fur laquelle le fouverain pontife a immolé la victime qui donne la vie aux hommes. Deffous le grand autel eft l'autel des miracles, ainfi appellé à caufe des merveilles que Dieu y opere tous les jours. On me fit voir un écclefiaftique, qui y avoit été gueri d'une paralyfie. Cet autel eft environné de fix petits piliers, qui foutiennent toute la maffe de ce prodigieux dôme. On ne peut voir les ruines d'un fi bel édifice, & la negligence qu'on a à conferver ce qui en reste, fans être touché d'une vive douleur. Je paffai toute la journée dans le monaftere à travailler, & après foupé deux religieux me menerent promener dans le jardin. Ils me demanderent ce que je penfois de leur état, & fi je les croyois en fureté de confcience. Je leur répondis que pourvu qu'ils gardaffent l'effentiel de leur état, qui confifte en l'obfervance des vœux, ils étoient en fureté, mais que s'ils avoient chacun leur penfion, & qu'ils en difpofaffent à leur volonté, ils étoient bien dignes de compaffion. Ils me dirent que leur prieur leur permettoit de faire ce qu'ils faifoient, & qu'en leur particulier ils étoient prêts de mettre en commun tout ce qu'ils avoient. Je leur dis que j'avois lû les ftatuts de leur congregation des Exempts, & que pourvû qu'ils les gardaffent, on ne pouvoit trouver à redire à leur conduite, ils m'avouerent qu'ils ne les avoient jamais lûs. Ils me prefferent affez de refter encore avec eux, mais le lendemain j'allai dîner à la Reaux, abbaye de chanoines reguliers de faint Auguftin. Les religieux m'y firent un grand accueil, & pendant que je travaillai toute la journée avec le procureur dans le chartrier, ils allerent à la pêche pour me regaler à fouper. De là je retournai à faint Savin, d'où j'entrai dans le diocefe de Bourges. La premiere abbaye que je rencontrai fur ma route, Fontcom- celle de Foncombaud. Elle doit fon origine au bienheureux Pierre de l'Etoile, qui s'étant retiré dans une caverne fur le bord de la Creufe, y affembla quelques difciples, aufquels il bâtit une chapelle fous l'invocation de faint Julien évêque du Mans. Le nombre de fes difciples s'étant confiderablement

baud,

fut

augmenté,

augmenté, il paffa de l'autre côté de la riviere, & y bâtit un monaftere qui subsiste encore aujourd'hui. On voit la chapelle & les grotes des premiers religieux du bienheureux Pierre, & il n'y a pas long-temps qu'un faint hermite s'y étant retiré, y vécut pendant quelque temps dans une grande penitence, & ne quitta la place que pour éviter les vifites que fa vertu luy attiroit. La curiofité que j'eus de voir ce précieux monument de la retraite des premiers religieux de Fontcombaud, me porta à paffer la riviere; & comme je mar chois fur le glacis, mon pied gliffa & je tombai dans l'eau. J'en fus quitte, pour faire fecher nos habits & quelques papiers au foleil qui étoit affez ardent; & la confolation que j'eus à voir ces affreufes retraites des faints, récompenfa au double l'accident qui m'étoit arrivé.

Les abbez confidenciaires s'étant emparez des biens & des titres de l'abbaye, me mirent dans l'impuiffance de faire une fuite exacte & entiere des abbez. Le roy defirant la rétablir, la donna en regle au pere Anfelme de Mornay de l'ordre de faint Auguftin, qui en prit poffeffion l'an 1657. Mais il ne fit gueres mieux que fes predeceffeurs. Dieu avoit refervé le rétabliffement de cette maifon à un bon frere Recolet. Celuy.cy ayant eu l'ambition d'être prêtre, & fes fuperieurs luy en ayant refufé la permiffion, il alla à Rome, où il fe mit fous la protection d'un cardinal, qui le fit paffer dans l'ordre de faint Benoift, & luy facilita par cette tranflation le moyen d'être prêtre. Aprés cela il defira rentrer dans fon premier ordre; mais fes fuperieurs n'ayant point voulu de luy, il revint en France, & fe retira à Foncombaud. Ayant été enfuite élû prieur par fes freres, comme il avoit de la tête & quelques principes de regularité, il leur ôta à tous leur peculium, fit mettre en commun le revenu des offices clauftraux, leur prefcrivit quelques exercices communs, & au lieu de deux ou trois religieux, qui à peine pouvoient vivre, il en reçut au moins dix, qui ne manquent de rien, il rebâtit l'églife, fit l'autel & les chaires du chocur; mit les lieux reguliers en état, & enfin ferma l'enclos & le monaftere de bonnes & grandes murailles. Ces religieux font tres- bien l'office, vivent avec édification, font en bonne odeur dans tout le pays; & il feroit à fouhaiter que tous les anciens religieux, qui n'ont point reçu la reforme, les imitaffent.

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De Fontcombault je fus à faint Cyran. Tous les religieux S. Cyran.

I. Partie.

C

accufez de Janfenifme avoient été exilez, & l'on avoit mis en
leur place deux religieux de deux grandes congregations,
dont l'un avoit été fententié, & l'autre étoit paflé ad laxio-
ra. Ils avoient avec eux un Auguftin, qui les aidoit à faire l'of-
fice. Je ne dis pas icy ce que le public penfoit de ces nou-
veaux habitans, qui rempliffoient la place de ces religieux qui
l'avoient édifié jusqu'à l'admiration. Etant à faint Sulpice de
Bourges, j'y trouvai un de ces exilez, & un jour que j'étois
feul avec luy, je luy demandai pourquoi il étoit Janfenifte?
il me répondit avec une grande fimplicité qu'il ne pouvoit
faire autrement. Comment, luy dis je, tout furpris de cette
réponse, qu'est-ce donc qu'être Janfenifte? c'est, me dit-
il avec la même fimplicité, être bon religieux & bien gar-
der fa regle. Mais croyez vous, luy dis-je, tout ce que croit
l'Eglife catholique, apoftolique & Romaine? Ouy par
la grace
de Dieu, me répondit il? Je luy demandai enfuite d'où
vient qu'il ne vouloit pas figner le formulaire, & il me
dit qu'on n'avoit jamais exigé cela de luy, & qu'il étoit
tout difpofé à le figner fi fon archevêque luy commandoit.
Je ne voulus pas approfondir davantage le crime de ce pau-
vre religieux, ny celuy de fes confreres, dont aucun n'avoit
étudié en theologie, & dont un feul fçavoit un peu de la-

tin.

Je ne demeurai à faint Cyran que fort peu de temps, & le dimanche trentiéme de juillet apréfdîné j'en partis pour aller S. Genouft à faint Genouft petite abbaye d'anciens Benedictins, qui vivent chacun en leur particulier dans une grande pauvreté. Il leur feroit pourtant aifé de s'en défendre, s'ils vouloient mettre en commun leurs revenus, & ne faire qu'une table. Les religieux que j'y trouvai, me témoignerent affez de bonté ; mais le receveur de l'abbé ne voulut jamais m'ouvrir le chartrier. Je vis les titres des religieux, & apréfdîné je fus à l'abbaye de Miferai, qui depuis peu d'années a embraffé la reforme des chanoines reguliers de Bocachard. Le fouprieur en l'abience du prieur me reçut avec bien de la charité. Aprés que je luy eus expofé le fujet de mon voyage, il me demanda fi dans le Gallia Chriftiana nous mettrions que les églifes cathedrales avoient été regulieres; je luy répondis qu'on le diroit de celles qui l'avoient été, comme de celles de Sées & d'Uzez. Il me demanda fi l'on en diroit autant de l'églife de Rouen. Je luy répondis que je doutois fort que

Miferai.

les chanoines de Roüen vouluffent reconnoître que leur égli-
fe ait été jamais reguliere. Il m'avança une raifon pour le
prouver; mais elle étoit fi pitoyable, qu'un enfant l'auroit
rejettée. Ce bon religieux étoit fort plein de la prétenduë an-
tiquité & dilatation de fon ordre, il s'avança jufqu'à me dire
qu'il y avoit eu des chanoines reguliers à Cantorberie. Je
luy dis que les moines auroient peine à luy paffer cela,
mais il me repliqua qu'il étoit facile de les accorder, en
avouant qu'il y avoit eu des moines & des chanoines regu-
liers tout ensemble. Je le laiffai dans fon opinion, & je ne
voulus point contefter. L'heure de vêpres étant arrivée, je
fus bien aife d'y affifter. Ils les difent à cinq heures, & pfal-
modient feulement, mais avec de grandes pauses entre les
verfets & la mediation des verfets, qui furprennent ceux qui
n'y font
pas accoûtumez. Les vêpres font fuivies d'une medi-
tation, & la meditation du foupé. Je mangeai avec eux au re-
fectoire, les penfionnaires y mangent auffi. On y fit la lecture
d'un livre françois fur les devoirs des religieux, qui me parut
excellent. Je crus d'abord que c'étoit un ouvrage de mon-
fieur l'abbé de la Trappe; mais ils m'affûrerent qu'il avoit
pour auteur monfieur leur reformateur, & effectivement aprés
y avoir fait quelque reflexion, je reconnus qu'il avoit été
fait proprement pour des chanoines reguliers; mais fi on le
rendoit public, il feroit utile à tout le monde.

Le lendemain je fus dire la meffe à l'abbaye du Landay, Landay &
où je travaillai enfuite à rectifier la lifte des abbez jufqu'à Barzelle.
trois heures aprés midy que je montai à cheval pour aller à
Barzelle. Mais à peine eus-je fait une lieuë, qu'il furvint un
orage furieux, qui me perça entierement, & notre manteau
en étoit fi pefant, qu'à peine le pouvois-je porter. J'y de-
meurai le jour fuivant tout entier. J'y vifitai les chartes &
les manufcrits, parmi lesquels je trouvai quelques traitez de
faint Ephrem, faint Auguftin fur faint Jean, les conferences
de Caffien, faint Profper de la vie contemplative, ou plutôt
Julien Pomere, faint Ifidore fur le Pentateuque, les gloffes
de Remi fur le vieux teftament, les fermons de l'abbé Guer-
ric, le maistre des fentences, le livre des anciens Us & des
anciens statuts de Cîteaux, quelques traitez de Gilbert dia-
cre d'Auxerre, les vers de Pierre de Beaugency fur le de-
cret, un traité d'Odon moine de Cantorbie fur l'affomption
de la Vierge, les fentences de Gautier fur l'Apocalypfe,

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La Celle.

Etienne archevêque de Cantorbie & cardinal fur le Penta-
teuque, quelques ouvrages de faint Anfelme, & plufieurs de
faint Bernard, dont je trouvai cet épitaphe dans un ma-
nufcrit :

Ecce latet Clarævallis clariffimus abbas,

Qui fummis fummus, qui fibi parvus erat,
Relligionis apex, lux mundi, laus monachorum
Flos cleri, legis fanétio, juris amor.
Inftruitus, velox, fublimis, pauper, abundans,
Artibus, ingenio, fanguine, vefte, bonis.
Dura,malum,cunctos, tulit, horruit, ædificavit,

Vana, Deum, requiem, fprevit, amavit, habet.

Dans l'églife on voit proche de l'autel un tombeau d'un feigneur de Beauregard, qui contribua à la rebâtir lorsqu'elle fut brûlée par les Anglois,

Je partis de Barzelle de grand matin. & je fus dire la fainte meffe à la Celle en Berri. C'est une ancienne abbaye qui dans fon origine a été poffedée par des moines. Saint Eucife & faint Severin en ont été abbez. Ayant été depuis détruite, elle fut rebâtie, & donnée dans le douziéme fiecle aux cha noines reguliers, qui dés ce temps là voulurent fe donner à l'abbaye de Marmoutier. L'an 1607 l'abbaye étant vacante par la mort du dernier abbé, Henri IV, confentit qu'elle fût unie à la congregation de faint Victor de Paris; que les abbez fuffent électifs tous les fix ans ; que les manfes abbatiales & conventuelles fuffent confondues, & les benefices dépendans de l'abbaye fupprimez. Mais cela n'ayant pas réüffi, monfieur de Bethune fit tomber l'abbaye aux peres Feuillens, qui en prirent poffeffion le 3 Octobre 1613 en confequence des bulles du pape Paul V. de l'an 1612. Le R. P. abbé m'y reçut avec toutes les démonstrations d'amitié poffibles. Il envoya querir notre cheval que j'avois mis dans une hôtellerie de la ville, & me retint chez eux. J'emploiai toute la journée à vifiter le chartrier, qu'il m'ouvrit avec la même bonté. J'eus une confolation particuliere de voir. dans une crypte fouterraine les reliques de faint Eucife & de faint Severin. On dit que le chef de faint Eufice fut jetté dans un lieu commun par les heretiques, & qu'ayant été trouvé plufieurs années aprés, les chirurgiens aprés l'avoir

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