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VOYAGE

LITTERAIRE,

DE DEUX RELIGIEUX BENEDICTINS de la Congregation de Saint Maur.

L

PREMIERE PARTIE.

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'OUVRAGE de Meffieurs de Sainte Marthe intitulé Gallia Chriftiana, étant devenu extrêmement rare; & quelques Prelats d'un merite diftingué ayant engagé nos Peres d'en donner une nouvelle édition, on avoit cru d'abord, qu'il fuffiroit d'y corriger les fautes d'impreffion, & d'y ajoûter les Evêques & Abbez qui ont gouverné depuis 1654. que leur ouvrage parut. Mais cet ouvrage ayant été examiné, on le trouva fi défectueux, qu'on reconnut qu'il falloit non feulement en faire une nouvelle édition, mais qu'il étoit neceffaire de le refondre entierement, & de faire à leur égard ce qu'ils avoient fait à l'égard de Monfieur Robert, qui le premier avoit entrepris de donner au public un Gallia Chriftiana. Pour executer ce deffein d'une maniere noble & digne de la reputation que nôtre Congregation s'est acquife par les beaux ouvrages dont elle a enricihi la Republique des lettres; ils jugerent à propos d'envoyer fur les lieux des religieux vifiter les archives des églifes cathedra

I. Partie.

A

les & des abbayes du royaume, perfuadez qu'il étoit diffici le de reüffir dans un fi vafte deffein fans cette recherche. La refolution en fut prife à Marmoutier au chapitre general de 1708. & comme j'étois fur les lieux, & qu'on fçavoit que Dieu m'avoit donné quelque petit talent pour lire les anciennes écritures, je fus un des premiers fur lefquels on jetta les yeux. L'idée que je me formai d'un travail immense me donna de la frayeur, & connoiffant mieux que perfonne mon peu de capacité & mes foibleffes, je conçu une crainte affezbien fondée de fuccomber fous le poids que l'on m'impofoit. Toutefois comme Dieu m'a fait la grace de regarder ceux qu'il a mis au deffus de moy comme les organes de fes volontez, je fermai les yeux à tout ce qui auroit pû me dé-tourner d'obéir en cette rencontre, & abandonnant le fuccés de cette entreprise à la divine providence, fans trop raifonner fur les ordres de mes fuperieurs, aprés avoir reçu les prieres des voyageurs & la benediction de nôtre Reverend Pere Prieur, je me mis en chemin le 11 Juin jour confacré à faint Barnabé.

J'arrivai ce jour-là au monaftere de Beaulieu prés de Loches. Cette Abbaye fut fondée au commencement de l'onLoches. ziéme fiecle par Foulque Nera Comte d'Anjou, qui y mit des religieux de l'Ordre de faint Benoift, & la choifit pour le lieu de fa fepulture. L'on y voit encore fon tom-beau dans l'Eglife prés de la facriftie, fur lequel on lit cetépitaphe qui m'a paru recent

Hic jacet exiguo tumuli fub marmore Fulco.
Næra, potens proles Gryffogonelle tua.
Andium uterque comes regi carufque Roberto,
Queis erat eximium, condere templa, decus.
Virgineas Luccis pater ut fundaverat aras,
Filius hanc patria fic dedit arte domum.
Oẞaque fundato mandat fua quifque fepulcro
Thefaurum in fuperis & fibi quifque parat.
Ejufdem Fulconis peregrinatio
Jerofolymitana.

Poft laceros artus confciffaque pectora dura
Verbere, confeffum & voce trahente fcelus,
Fulco redux Solymis peregrino more pedefter
Singula poft voti jura foluta fui,

Bufta Redemptoris te ifthic venerarier omni
Relligione jubet, templaque tanta facit,
Quam pius, inquis, erat fcelerum, vindexque fuorum
Durus! & in Chrifti fervidus ille fide!
Hoc fatis & tanti zelum miramur amoris,
Crimina fed lacrymis tergere noftra piget.

Je travaillai le reste de la journée à rectifier le catalogue des abbez, & le lendemain matin je fus à l'églife de Notre-Dame. C'est une collegiale fondée pour douze chanoines un prieur & un chantre par Geoffroi Grifegonelle Comte d'Anjou. Cette église eft d'une ftructure finguliere. Elle n'a point de charpante, point d'autre couverture que la voute qui fe termine en quatre pointes, & dont les deux extrémitez font deux gros clochers. A côté de cette églife, eft l'ancienne églife de Loches, que l'on prétend avoir été bâtie par le roy Childebert. Elle eft étroite, mais longue; les voutes en font plates, les fenêtres petites & étroites, & tout y reffent fon antiquité; elle ne fait qu'un même corps avec l'autre églife, & on peut la regarder comme fon collateral. Dans l'églife des chanoines on voit en marbre le tombeau de la belle Agnés máîtreffe de Charles VII. Il y a auffi dans la nef un tombeau d'un Seigneur de Preaux, qui porte dans fon écuffon trois poires de bon-chrétien. Autour de ce tombeau font douze chanoines qui ont l'aumusse fur la tête, mais le doyen qui jufqu'à nos jours n'a point eu d'autre qualité que celle de prieur, porte la mitre, aussibien que le chantre dont le bâton fait prefque comme une canne, fe termine par une petite pomme. On dit que Geoffroi Grifegonelle en fondant la collegiale de Loches, y mit la ceinture de la Vierge, qui s'y conferve avec beaucoup de veneration avec les corps de faint Baud & de faint Hermeland, qui en eft comme patron avec la fainte Vierge.

Une des plus grandes curiofitez de Loches, c'eft une meule du moulin de faint Ours, qui depuis environ douze cens ans fubfifte dans fon entier, fans aucune diminution, quoyque les meuniers la piquent tous les jours. Ce fait eft attesté par autant de perfonnes qu'il y en a dans la ville & dans pays. Les efprits forts auront peut-être de la peine à le croire, mais ils peuvent, s'ils veulent s'en convaincre

tout le

eux-mêmes, & apprendre à ne point mettre de bornes à la puiffance de Dieu.

Ville-loin. Je fus apréfdiné à l'abbaye de Ville-loin, fituée à trois petites lieues de Loches. J'y trouvai fur Pautel un bras de faint Xifte, un de faint Gilles, une portion du crane de faint Leger, & une de faint Fraimbauld. L'église eft affez jolie. On y voit le tombeau de Monfieur de Cognac abbé commendataire & bienfacteur du monaftere. Il y a dans le chartrier deux beaux cartulaires écrits de la main de Monfieur Brunet ancien prieur de Ville-loin, fur lefquels Monfieur de Maroles abbé de ce monaftere avoit dreffé la lifte des abbez imprimée par Meffieurs de Sainte Marthe. Cet abbé qui nous a donné plufieurs verfions, étoit un homme fort curieux, il a enrichi fon abbaye de plus de trois cens tableaux antiques qui fe voyent dans une grande falle.

Aique- vi

vc.

Le mercredi 13 Juin je me rendis en l'abbaye d'Aique-vive, qui n'eft qu'à quatre lieues de-là. Elle eft dans une grande folitude au milieu des bois; ce qui me fit admirer la vertu de deux chanoines reguliers de fainte Genevieve qui la deffervent, les bâtimens qu'ils ont entrepris & la ferme de leur abbé dont ils font chargez, & fur laquelle ils perdent beaucoup, ne leur permettant pas d'être un plus grand nombre. Le prieur qui fe nommoit le Pere Raqueffon tout infirme qu'il étoit me fit tout l'accueil poffible. Il me communiqua tout ce qu'il avoit, & en deux heures de temps que nous travaillâmes enfemble, j'y trouvai de quoy augmenter le catalogue de leurs abbez d'une vingtaine. Il me preffa affez de refter chez lui; mais comme je ne voulois pas leur être à charge, je m'en retournai le même jour à Ville

loin.

J'en partis le lendemain de grand matin pour aller à l'ab. Baugerai, baye de Baugerai de l'ordre de Cîteaux. J'y arrivai fur les fept heures; mais l'embaras d'une foire & d'une proceffion, ne permit point au prieur de me donner entrée dans fon chartrier. Il me communiqua feulement quelques memoires de Monfieur de Maroles, qui avoit été autrefois abbé de ce monaftere, & qui en avoit tiré la fuite des abbez fur les titres originaux. Comme c'étoit le jour de l'octave du faint Sacrement, dont on fait la fête jufqu'à midy dans le diocefe de Tours, j'y entendis la grande meffe. L'églife eft petite & n'a rien de remarquable que le tombeau du maréchal

Boucicault, qui eft à côté de l'évangile, mais caché par une

boiferie.

Je partis apréfdiné pour Prulli, où j'arrivai tout au foir. Le lendemain je fus voir l'abbaye, dont je vifitai les archives, qui me fournirent une fuite d'abbez affez bien remplie. Cette abbaye fut fondée au commencement de l'onzième fiecle par Effroy Seigneur de Prulli, qui se reposa du foin d'y mettre des religieux fur Hervé treforier de faint Martin de Tours. L'an 1100 l'on y en comtoit trente-quatre, qui font nommez dans l'acte de l'élection de l'abbé Arraldus. L'églife eft grande & belle pour fon antiquité. Elle contient des fonts baptifmaux où l'on baptize les enfans de toutes les paroiffes de la ville. Il y a des reliques de faint Melaine évêque de Rennes dans un petit chef, un doigt & un os de faint Loup, & quelques autres reliques affez mal enchâffées. Il n'y a pas long temps qu'on y voyoit encore les tombeaux du fondateur, & de quelques autres feigneurs de Prulli, qui ont été démolis du confentement de la Dame de Prully. Comme l'original de la fondation étoit dans les archives du château, j'eus la curiofité de les voir, & celuy qui en avoit la garde me les ouvrit avec beaucoup de bonté. J'y trouvai un cartulaire un peu recent, dans lequel étoient écrits les vers fuivans.

Inter mortales quos Gallia nobilitaviť
Quondam regales genus exilitas decoravit
Tutor eram patriæ, pax juris & emolumentum,
Dux quoque militia,fubvertens caftra furentum,
Sic cum viderent mihi falta, meique valerent
Senfus & mores in Chrifto fplendidiores,
Stannum fundavi, cultuque facro decoravi ::
In quo nunc jaceo fublimis honore tropheo,
GOFFRIDUS nomen, plebs, clerus funeris omnem.
Supplens, fubveniat prece, voto, munere, fiat.

Il y avoit auffi dans les mêmes archives un vieux livre de la chantrerie, autrement appellé Greflier de l'églife de faint Martin de Boffay, dont je copiai les vers fuivans, qui nous apprennent le nom du fondateur de cette églife & l'an de fa fondation.

Prully.

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