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pour le lieu de fa fepulture, & qui luy a attiré les vœux des fideles de tout le royaume, & une infinité de dons tres-riches. Elle conferve encore aujourd'hui beaucoup de fon an cienne fplendeur, nonobftant le pillage des Calviniftes, qui en enleverent des richeffes immenfes, fur tout la châffe d'or que Charles le Chauve avoit fait faire à faint Germain, dont ils brûlerent le corps. Le Pape Urbain V. qui en avoit été abbé, y fit bâtir trois églifès l'une fur l'autre. Le tombeau de faint Germain eft dans celle du milieu, & tout autour ceux de la plupart des faints évêques fes fucceffeurs, dont on conferve encore les corps entiers dans des tombeaux de pierre. Ils furent ouverts du temps de monfieur Seguier évêque d'Auxerre, qui eut une confolation fenfible d'en trouver encore quelques uns qui avoient été religieux, revêtus de leur cilice & de leur habit monaftique. Ce lieu eft peut-être le plus venerable du royaume, & aprés les catacombes de Rome, je ne fçai fi on peut en trouver un plus faint. Car on prétend qu'il y a plus de foixante corps faints bien averez & reconnus pour tels par l'églife. Le jour de l'octave de la Touffaint on fait une fête folemnelle pour les honorer, & une proceffion fort devote & fort longue à leurs tombeaux.

La bibliotheque répondoit autrefois à la grandeur du monastere; mais les heretiques & la negligence des anciens moines ont diffipé un fi grand nombre de manufcrits, qu'il n'en reste aujourd'hui que fort peu; mais qui ne laiffent pas d'avoir leur merite. J'y vis entr'autres un ancien recueil d'homelies des faints Peres compilées par ordre de l'empereur Charlemagne, pour être lûes aux offices divins durant le cours de l'année, écrit de fon temps, à la fin duquel on lit les vers fuivans, qui font connoître le nom du compilateur, ou du moins de l'écrivain..

Obtulit hunc librum Domino, Germane, tibique
Ebrardus fupplex, fupplicis efto memor.
Auferet hoc nullus, cujus præcordia Chriftus
Poffidet, iratum ne patiatur eum.

Quin etiam fratris munus votumque probando
Infiftet parili quicquid amore valet.
Nam petit in cætu fratrum folemniter illum
Ad laudem Domini notte dieque legi.

Fungitur

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Jungitur huic alter, folarem ut compleat annum
His feftos poterit quis reperire dies.
Auguftus Carolus juffu collegit utrumque.

Amplius hinc nobis munera tanta placent.
Doctus erat, credat, Carolus cui jufferat illud
Quilibet hinc placido corde fequatur idem.

Le Reverend Pere Dom George Viole, qui joignoit à une illuftre naissance, un fort bel efprit & une grande vertu, & qui aprés avoir été prieur de faint Germain, y finit fes jours en qualité de fimple religieux, ayant fait avec beaucoup d'exactitude l'hiftoire des évêques d'Auxerre & de tous les monasteres du diocefe, m'épargna la peine de vifiter les archives de plufieurs, les ayant toutes vifités luy-même avec un grand foin, & en ayant recueilli avec beaucoup de travail tous les anciens monumens qui auroient pû me fervir. C'est pourquoy je me contentai de profiter de fon ouvrage, qui m'occupa quatre femaines. Cela n'empêcha pas que je ne viffe la bibliotheque de faint Marien de l'ordre des Premontrez, qui eft fort riche en manufcrits, la plupart des ouvrages de faint Augustin & des autres Peres de l'Eglife. On y voit entr'autres un commentaire de Remy d'Auxerre fur le prophete Ofée, celuy d'Hervée moine du Bourdieu fur les petits prophetes, les fentences ou la theologie d'un Othon d'un caractere d'environ cinq cens ans. Je vis auffi le chartrier & l'église de faint Pierre poffedée par les chanoines reguliers de faint Auguftin de la reforme de fainte Geneviéve. Je fus auffi à l'abbaye de faint Julien, qui doit le rétabliffement de fon observance à madame de Raigni, qui y a introduit la reforme des religieufes du Val de grace.

La fête de faint Edmond archevêque de Cantorbie arriva heureusement durant le fejour que je fis à Auxerre. La devotion que je dois avoir pour ce Saint, dont je porte le nom, m'obligea de l'aller celebrer à Pontigni, où fes facrées reliques repofent. Monfieur Caron qui en étoit nouvellement élu abbé, m'y reçut avec beaucoup de bonté, & m'y retint deux jours, durant lefquels je parcourus deux beaux cartulaires, qui me donnerent de grandes lumieres. Le jour de faint Edmond je dis la fainte Meffe fous la châffe du Saint avec fa chafuble, qui eft toute ronde par le bas comme les anciennes chafubles. J'eus auffi la confolation de voir fon fa

I. Partie.

H

cré corps que Dieu a confervé fans corruption jufqu'à pre fent par un miracle continuel. Il est élevé fur le grand autel dans une grande châffe de bois doré, on voit par un cristal la tête du Saint qui eft toute nuë, le refte du corps eft revétu de ses habits pontificaux. Son bras en fut feparé pour être expofé à la veneration des peuples, à la priere de S. Louis roy de France, qui le fit mettre dans un reliquaire d'or où on le voit à nud; mais la chair en eft toute noire, au au lieu que celle de fon corps eft fort blanche. Mathieu Paris auteur Anglois, qui vivoit en ce temps-là, en apporte la cause, & dit que lorsqu'on fit la feparation du bras, les religieux craignant qu'étant détaché du corps, il ne fe corrompist, (comme fi la même main qui le confervoit attaché au corps, n'eut pû le conferver détaché de ce même corps,) pour empêcher un fi grand malheur, l'embaumerent, & qu'en punition de leur peu de foy, il devint en même temps tout noir. Nous estimons cependant que le miracle continue encore; car il n'eft pas naturel, que le baume, quelque vertu qu'il ait, pût conferver durant prés de cinq cens ans cette fainte chair. Ce même auteur rapporte auffi qu'en confideration de faint Edmond, on permit aux femmes Angloifes d'entrer dans l'églife de Pontigny, contre la coûtume de l'ordre de Cîteaux, qui ne fouffroit point l'entrée des égli ses aux femmes. Aujourd'hui non feulement les Angloifes, mais generalement toutes les femmes entrent dans l'églife de Pontigny, mais elles n'entrent point encore dans celles de Cîteaux & de Clairvaux. On voit auffi dans le trefor l'anneau paftoral de faint Edmond, le calice & la patene avec lesquels il fut enterré, fa coupe, & le bras de faint Irenée martyr.

Il n'eft pas neceffaire que je dife icy que c'eft dans le monaftere de Pontigny, que fe retira faint Thomas de Cantorbie pour éviter la perfecution du roy Henri II. On y voit encore fes ornemens pontificaux & la chapelle où il avoit coûtume de faire fes prieres, où l'on tient qu'il eut revelation de fon martyre.

Quant à l'églife de Pontigny elle eft belle, & fe reffent de la grandeur de la feconde fille de Cîteaux. On voit derriere cette églife les mazures de l'ancienne, c'est-à-dire, de la premiere églife de Pontigny. Elle étoit petite, mais affez belle pour le temps. Le logis abbatial étoit tout proche. Il

confiftoit en quatre petites chambres femblables aux cellu les des religieux d'aujourd'hui, dans l'une defquelles feulement il y a une cheminée. On peut juger de-là, de la difference qu'il y a entre les logis des abbez de ce temps-là, & les palais des abbez de notre temps. A l'entrée du monaftere on voit un vieux bâtiment, qui a été autrefois affez fomptueux. On tient que c'eft un ancien palais des comtes de Champagne, où ils fe retiroient lorsqu'ils faifoient quelques parties de chaffe. Aujourd'hui il fert d'écurie & de cuifine à monfieur l'abbé, qui a tout proche un logis magnifique. Aprés avoir refté deux jours entiers à Pontigni, je revins encore à Auxerre où je reftai quelques jours ; & comme le temps commençoit à devenir un peu rude, j'écrivis à nos fuperieurs pour les prier de me donner un peu de relâche, & de me permettre d'aller paffer l'hyver & le carême à Marmoutier, j'allai à Sens attendre leur réponse.

Vieux

En fortant d'Auxerre, je fus dîner au monaftere de Vieuxpoux fondé l'an 1172 par Dreux de Mellote feigneur de Loches & de faint Maurice, où je trouvai fept bons folitai- poux. res, qui font revivre dans leurs perfonnes le premier efprit de faint Etienne de Grandmont leur pere. Leur monaftere eft fort petit & fort pauvre; leur habit eft tout rapetaffé; ils portent dans leur maifon des fabots; ils ne vivent pref que que de legumes, & n'ufent que tres-rarement de poif fon; depuis la Touffaint jufqu'à Noël, & depuis la Septuagefime jufqu'à Pâque ils ne mangent ny œufs, ny beurre, ny fromage. Le fuperieur me fit grand accueil, & pour me regaler, il me fit fervir un morceau de merluche, qui étoit apparemment une partie de la provifion pour le jour de Noël. Il me preffa fort de refter chez eux, mais la crainte d'incommoder ces bonnes gens l'emporta fur le defir que j'aurois eu de m'édifier de leur conversation; ainfi j'allai coucher à la Chartreufe de Val-profonde, où j'eus la confolation d'apprendre que le dernier prieur mort, qui étoit mon fonde, coufin, s'étoit attiré l'eftime dans tout le pays à caufe des grandes charitez qu'il faifoit aux pauvres. J'en partis le lendemain, & je me rendis au foir à Sens.

J'y reçus beaucoup d'honnêtetez de monfieur le doyen & de monfieur Maçon, qui me communiquerent de bonne grace les remarques qu'ils avoient faites fur les archevêques de Sens & fur les dignitez de la cathedrale. J'éprouvai aussi

Val-pro

Sens.

bien de la bonté de la part de meffieurs Les Riches & de monfieur Baron. Monfieur le doyen me fit voir le nouveau miffel de Sens auquel il travailloit, & qui fera beaucoup plus beau que le nouveau breviaire, qui a été fi estimé de tous les habiles gens. Excepté le canon & les collectes, & peut être quelques profes, il n'y aura pas un feul mot qui ne foit tiré de l'écriture mais avec ; tant de jufteffe que tout convient parfaitement aux myfteres que l'on celebre, & aux fêtes que l'on folemnife. Ce qu'il y aura encore de particulier, c'eft qu'on n'y repetera jamais deux fois le même texte. Il me fit voir auffi le trefor de la cathedrale, qui eft tres-riche, & rempli d'un grand nombre de reliques, dont l'une des principales eft un doigt de faint Luc évangeliste en chair & en os. On tient que la plupart de ces reliques avoient été données au monaftere de faint Riquier par l'empereur Charles-magne, & que le moine Hieremie qui les avoit apporté à fainte Colombe, ayant été enfuite élu archevêque de Sens, les donna à fon églife. Il me fit auffi voir tous les tombeaux des derniers archevêques de Sens, qui font dans le chœur de la cathedrale, entre lefquels on peut regarder comme des pieces achevées ceux du chancelier Duprat & des cardinaux du Perron. Pour les premiers archevêques ils font prefque tous enterrez à saint Pierre le Vif, où on en compte jufqu'à quarante. Les chanoines avoient auffi autrefois leur fepulture hors la cathedrale, on les enterroit dans une petite chapelle bâtie à un quart de lieuë de la ville en l'honneur de faint Sauveur, par l'archevêque Magnus, qui la choifit auffi pour le lieu de fa fepulture. Elle fut donnée aux chanoines reguliers de faint Jean dans le douziéme fiecle; ce qui n'empêche pas que tous les ans les chanoines de la cathedrale n'aillent en proceffion la furveille de la Touffaint y reciter le pfeautier tout entier pour leurs anciens confreres défunts.

Pour ce qui eft de l'églife cathedrale, elle eft grande & large, & peut paffer pour une des belles du royaume. On y montre encore la chaire où saint Bernard a prêché, & le lieu où faint Louis époufa Marguerite de Provence. La mufique en eft profcrite. On n'y chante qu'un beau plain-chant,qui eft plus agreable que la mufique. J'affiftai à une grande messe des morts qu'on chanta d'un ton extraordinarement bas; je ne fçai, fi cela n'étoit point affecté pour marquer de la triftefle & du deuil.

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