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Aprés la cathedrale, la premiere & la principale églife eft celle de faint Pierre le Vif, & le lieu le plus venerable de toute la ville. Car elle eft bâtie dans le premier cimetiere des chrétiens, où un grand nombre de martyrs ont reçu l'honneur de la fepulture. On prétend que fainte Theodecilde, qu'on fait fille du roy Clovis, y bâtit un celebre monaftere, & qu'elle voulut y être enterrée. On montre fes reliques dans une belle châffe, & une pierre qui fut trouvée dans son tombeau, fur laquelle étoient gravées les paroles fuivantes : iv Idus julii tranfiit Theodecilda regina. Ce n'eft pas là l'unique relique qu'on conferve dans le trefor du monaftere, on y montre encore un grand nombre de corps faints, la plupart du pays, dont les principaux font de faint Savinien & de faint Potentien, qui repofent dans une belle châffe d'argent que leur a donnée le roy Robert. Le chef de faint Gregoire le grand, qu'on prétend y avoir, parut une relique fi authentique au pape Urbain VIII. qu'il en demanda une parcelle, laquelle il garda toute fa vie, & la donna avant de mourir aux Peres de l'Oratoire de Rome.

L'abbaye de faint Pierre le Vif ayant été détruite neuf ou dix fois tant par les barbares & les ennemis de l'état, que par diverses incendies, on eft furpris qu'elle fubfifte encore aujourd'hui. Elle fubfifte pourtant & avec fplendeur. L'églife qui a été rebâtie par les religieux reformez de la congregation de faint Maur, eft parfaitement belle, grande, délicate, éclairée. Le chœur a quelque chofe de majestueux; les chaires font tres-bien travaillées; l'autel eft tout de marbre; dans le fond eft la chapelle de la Vierge, un peu élevée, dont les grandes colonnes de marbre font un tres bel effet. Il y a deffous cette chapelle une église fouterraine qui fert de facriftie, où plufieurs Saints ont été enterrez. On prétend que fous la table où les prêtres s'habillent pour dire la fainte meffe, il y a un puits profond, dans lequel les idolâya tres ont jetté les corps d'un grand nombre de martyrs qu'ils avoient massacrez. Ön en montre un femblable à faint Irenée de Lyon.

Au bout de l'enclos du monaftere, eft l'église de la paroiffe de faint Savinien. Il y a fous le grand autel une crypte où font les tombeaux de faint Savinien, de faint Potentien, & de faint Eodad martyrs, avec ces infcrip

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ptions qui font gravées dans les pierres de la muraille.

HVI EDS IN RECPTACLO AMBVNT TUMVIT XPI MARTIRES MERT SAVNAN ET POETAN AC EODA CRP AVE SEROTN IN AERA BISLE SED IN $6 CMERO E POSITV..

PFLORS. ROSEI SANGVNIS SVPSERVN CORONAS VITORIA MARTRES XE SAVNI

NVS ET POTENTIANVS E MVLT TDNE NGEN ET IB TMLT SVN RDE ELNAP.

L'infcription fuivante étoit de même caractere; mais comme j'étois preffé d'aller à vêpres, je n'eus pas le temps de l'imiter.

+ Felix ager & inclitus, valde pulcher & candidus, Rofeo fanguine martyrum feliciter confecratus, Orationumque munere digne adornatus.

L'abbaye de faint Jean qui n'eft pas éloignée de faint Pierre le Vif, fut fondée prefque en même temps pour des religieufes. Dans le neuviéme fiecle elle étoit poffedée par des moines, & dans le douziéme elle fut donnée aux chanoines reguliers qui la poffedent aujourd'hui. Il ne reste plus de l'églife que le choeur & le tour des chapelles qui font fort beaux & fort propres.

L'abbaye de Notre-Dame de la Pommeraie a été fondée par Mathilde comteffe de Blois, qui y a été enterrée avec son mari. Elle étoit reduite à cinq ou fix religieufes fans difcipline, lorfque madame Baltilde de Harlai religieute de Chelies en fut nommée abbeffe. Cette vertueufe dame ne croyant pas pouvoir entretenir la regularité dans une abbaye champêtre prefque ruinée & avec fi peu de fujets affez mal difpofez, la transfera à Sens, y rétablit une bonne obfervance, par fa fageffe & fon economie la bâtit entierement, & la mit en état d'avoir jufqu'à foixante religieufes, Madame

&

de Harlai fa fœur qui luy fucceda, marchant fur les traces Y a confervé la regularité qu'elle y avoit trouvée; & aprés avoir long-temps gouverné, preferant l'obéiffance au gouvernement, fe démit volontairement de fon abbaye entre les mains du roy, qui la donna à madame de Crenant qui la poffede aujourd'hui, mais par humilité & par refpect pour fa devanciere, elle ne voulut jamais porter la croce, ny prendre la place d'abbeffe tant qu'elle vécut; & on vit avec édification une pieufe conteftation entre les deux abbeffes, qui par leur humilité firent voir qu'elles étoient toutes deux dignes de la croce & de la place qu'elles refufoient. C'est encore un effet de l'humilité de ces dames, qu'elles ne portent point de croix, contre la coûtume des autres abbeffes. Madame de Crenan qui gouverne aujourd'hui me fit beaucoup d'honnêtetez. Elle m'ouvrit fon chartrier de la meilleure grace du monde, & me conduifit elle même dans tous les lieux de fon monaftere. Il eft fitué dans le fauxbourg, & n'a rien de fomptueux, mais on y a toutes les commoditez. L'enclos eft fort grand, & renferme prez, vignes, bois, eaux, arbres fruitiers, & jardin potager, & tout cela y eft difpofé de telle maniere, que l'on y a joint l'agreable au commode.

Il me refteroit à parler icy des abbayes de faint Remy & de fainte Colombe; mais comme j'étois bien-aife de me rendre à Matmoutier pour les fêtes de Noël, je n'eus pas le temps de les voir. Avant de partir de Sens, je vis la bibliotheque de monfieur Baron, dans laquelle il y a quelques manuscrits, & entr'autres les lettres de Billius, une theologie de Jacques le Boffu religieux de faint Denys, & le manufcrit fur lequel le P. Labbe a imprimé la chronique de Rouen. Je partis de Sens le dixiéme decembre pour aller à Paris, en paffant par Melun j'y vis une chofe curieuse, un tres-bel œillet fleuri au milieu du mois de decembre, nonobftant la gelée & la neige. Je ne reftai pas long-temps à Paris, quoyqu'on eut la bonté de m'offrir d'y refter jufqu'à Pâque, & qu'on me fit efperer d'y demeurer toûjours, je fus bien aise de revenir reprendre à Marmoutier l'efprit de la regularité, en attendant que la divine providence difpofât de moy comme elle jugeroit à propos.

J'y arrivay la furveille de Noel, & peu de jours aprés l'hyver fit fentir fa rigueur avec tant de violence, qu'aucur

homme fur la terre n'avoit jamais éprouvé un si grand froid. On vit alors une infinité de bêtes & d'oifeaux mourir à la campagne, plufieurs enfans & même des hommes eurent le même fort; les marbres fe fendirent, tous les noyers, les chafteigniers & les oliviers perirent, les bleds qui avoient été femez ne germerent point, & la defolation fut fi grande, qu'elle fut fuivie d'une difette univerfelle de bleds, de vins, de fruits dans tout le royaume, & accompagnée de maladies contagieufes qui defolerent plufieurs villes de France.

Cependant on m'avertit qu'aprés Pafques il falloit reprendre le travail, & continuer la vifite des évêchez & des abbayes du royaume; pour me foulager & pour avancer davantage on me permit de prendre un compagnon. Je jettay les yeux fur dom Urfin Durand, que je crus trés-propre à cet employ, tant à caufe que c'eft un religieux qui joint à la pieté, beaucoup d'efprit & une fanté robufte, & capable de refifter à la fatigue du voyage & de l'étude, que parce qu'il me parut une homme de bonne volonté & auffi fociable qu'il eft neceffaire dans une entreprise de cette forte.

Nous partîmes de Marmoutier un Jeudy quatrième d'AMoncé, vril, & ce jour-là nous allâmes à l'abbaye de Moncé audeffus d'Amboife. Cette abbaye doit fon origine à quelques filles de pieté qui s'étant retirées dans ce defert pour y vivre dans la penitence & dans les exercices de la contemplation, répandirent une odeur fi grande de leur vertu dans tout le pays, que Sulpice feigneur d'Amboife en fut touché, & leur offrit de bâtir un monaftere, fi elles vouloient garder la clôture & s'engager par vou. Elles accepterent fes offres, & fe donnerent à l'ordre de Cîteaux, dont elles dépendent encore aujourd'huy. La fuperieure ne prit d'abord que le nom de prieure, & elle étoit élective par la communauté, ce qui a duré jufqu'en 1652 que le pape Innocent X. à la demande du roy, l'érigea en abbaye en faveur de madame d'Epinoy.

Fontaine

les blanches.

Nous ne vîmes rien de confiderable dans l'églife que cette épitable gravée fur une fimple tombe: Hic jacet domina Johanna uxor Johannis domini Calvi-montis filia comitis Vindocinenfis. Fuit in vita bona memoriæ. Anima ejus requiefcat in pace.

Nous partîmes le lendemain pour aller à l'abbaye de Fontaine les-blanches, & de là à Blois où nous arrivâmes fort

tard

tard & fort fatiguez, ce qui obligea le R. P. Prieur de nous y faire fejourner un jour pour nous repofer. Nous em. ployâmes cette journée à vifiter les archives de l'abbaye de Bourgmoyen. Nous la crûmes bien employée pour la confolation que nous eûmes d'y trouver une lettre originale de faint Louis roy de France, qu'il écrivit à l'abbé de ce monastere en lui envoyant une épine de la couronne de Notre-Seigneur. Nous y trouvâmes auffi des lettres de l'Evêque de Chartres & de l'archevêque de Sens, qui confirme rent la verité de cette fainte relique. Ce précieux tresor eft resté à Bourgmoyen jusqu'au pillage des Huguenots, qui diffiperent tout ce qu'ils trouverent de faint dans la ville.

fur Loire,

De Blois nous fumes à Orleans, & de là à faint Benoift S. Benoist fur Loire. L'églife eft affez belle. On y voit une porte ancienne à laquelle le P. Mabillon donnoit 900 ans, où eft reprefentée l'histoire de la tranflation des reliques de notre bienheureux Pere faint Benoift. La nef eft affez recente, mais le chœur n'est pas éloigné du temps de la fondation du monastere. Au milieu eft le tombeau de Philippe I. roy de France, affez fimple & fans infcription. Le Sanctuaire eft tres-richement parqueté de marbre, de jafpe, & de porphire. L'autel pour être d'une ftructure nouvelle n'en eft pas moins beau; mais ce qui le rend plus confiderable, c'est la riche châffe de notre bienheureux Pere, dont le travail est tres exquis. Son chef fe conserve dans le trefor avec des reliques de faint Sebastien, de faint Denys, de faint Aigulfe & de quelques autres Saints. On y a mis auffi depuis peu un chapelet eftimé quatre cens écus. Les grains d'un bois odoriferant font fort bien travaillez, les Pater font d'or, accompagnez de medailles d'or & d'argent dont l'ouvrage furpaffe la matiere, & d'une mignature admirablement belle. La Reine mere l'avoit donné autrefois à madame de Montefpan. Celle cy le donna au R. P. Dom Mathieu Gilbert, qui étant prieur de faint Benoift, le mit dans le trefor. La bibliotheque étoit autrefois une des plus riches du royaume. Elle fut pillée l'an 1562 par les heretiques. Pierre Daniel avocat à Orleans & bailli de Fleuri s'en empara à la faveur du cardinal de Chastillon abbé du monaftere & grand fauteur de l'herefie. Il en fit fon plaifir durant la vie, & par ce moyen donna au public quelques anciens ouvrages qui n'avoient point vu le jour, ou en corrigea d'autres qui

I. Part.

I

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