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tôt que les riches, qui croyent offrit à Dieu un grand facrifice, lorfque du bout des lévres ils difent quelques formules de prieres. En faveur des payfans on prêche la veille en patois ; mais le jour de la fête on prêche en François.

Nous devions aller de-là au Mas-d'Azile, à Combelongue, & à Conferans; mais comme j'étois incommodé, je laiffai ce travail à mon compagnon, & je pris le chemin du monastere de la Graffe, pour y prendre quelque foulagement.

La Graffe eft une abbaye fort illuftre dans le Languedoc, fon- La Grasse. dée du temps de Charlemagne, fur une petite riviere, dans un fond environné de tout côté de montagnes. Les donations qui luy ont été faites par les princes & par les grands feigneurs, & les biens nobles qu'elle poffede, l'ont renduë la plus confiderable du pays. On n'y voit pourtant rien, ny dans les bâtimens, ny dans l'églife, qui fe reffente de fon ancienne fplendeur, excepté le grand autel qui eft magnifique. On montre dans le tréfor la châffe de faint Maxime évêque de Riez, le chef de faint Abyn archevêque d'Embrun, qu'on a long-temps fait paffer pour le chef de S. Aubin évêque d'Angers; & une boëte d'yvoire, dans laquelle on confervoit autrefois le faint Sacrement à une chapelle. Il y a dans la bibliotheque un texte des évangiles, qu'on prétend avoir été donné par l'empereur Charlemagne ; & dans les archives une bulle du pape Agapet, écrite fur de l'écorce; avec le teftament de Guillaume cardinal de fainte Marie au delà du Tybre, fait l'an 1369. Il avoit été religieux de faint Martial de Limoges, & voulut y être enterré avec fon fcapulaire fous le rochet.

Je paffai fix jours à la Graffe, & ma fanté s'étant rétablie durant ce temps-là, mon compagnon arriva, & nous partîmes enfemble avec le R. P. prieur de la Graffe, pour aller à Fontfroid Fontfroid. abbaye de l'ordre de Cifteaux, fondée vers l'an 1130. par Emeri vicomte de Narbonne dans une folitude affreuse. Le monaftere eft toutefois illuftre, & a l'honneur d'avoir eu pour abbé le pape Benoift XII. une des plus brillantes lumieres de cet ordre. Quel ques auteurs ont avancé, que plufieurs des vicomtes de Narbonne y étoient enterrez; cependant il ne paroît aucun monument. d'eux dans l'abbaye, que le tombeau du dernier,.qui fut tué l'am 1424. dans un combat contre les Anglois. On voit fon fépulcre de i pierre au milieu du chœur.

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Nous filmes tres-peu de chofe à Fontfroid, parce que les ar Narbonne. chives étoient à Narbonne, où nous arrivâmes le 18 de fepteni

bre. Le lendemain, qui étoit un samedi des Quatre-temps, nous allâmes à la cathédrale. Nous y arrivâmes comme on chantoit la grande messe, à laquelle on se servoit d'ornemens de couleur verte. Le diacre & le foûdiacre n'avoient ny tunique, ny dalmatique, ny planetes pliées, mais feulement des aubes parées. On étoit à l'offertoire lorfque nous entrâmes. Je fus fort attentif au refte des céremonies, & je remarquai que le foûdiacre fouting la patene jufqu'au Pater, qu'il vint la donner au diacre, qui la tint élevée jufqu'à ce qu'il fallut la remettre au célebrant. A l'élevation fix clercs tenoient debout des flambeaux. Deux autres clers auffi debout encenferent le faint Sacrement à l'élevation, avant le Pater, & à Domine non fum dignus. Al' Agnus Dei deux petits enfans de choeur vinrent prendre la paix, qu'ils donnerent premierement au diacre & au foûdiacre, enfuite aux deux thuriferaires, puis au chœur : cependant le diacre & le foûdiacre demeurerent à genoux jufqu'après la communion. Le célebrant prit la feconde ablution au coin de l'autel, & y purifia fon calice:

Aprés avoir remarqué les céremonies, nous confiderâmes l'églife. Elle ne comprend que le chœur, mais il ne cede en rien aux plus belles églifés du royaume. Son élevation, fa largeur, & fa délicateffe attirent l'admiration de tout le monde. Le tour des chapelles répond à cela. Il est large, élevé, & tres bien percé. Le grand autel eft magnifique : c'eft, fi je ne me trompe, monfieur le cardinal de Bonzy qui l'a fait faire. Au milieu du chœur eft le tombeau de Philippe le Hardy roy de France, fils de faint Louis, fur lequel on lit cette infcription.

Sepulcrum bona memoria Philippi quondam Francorum regis, filii B. Ludovici, qui Perpiniani calida febre ex hac luce migravit tertio Nonas Octobris, anno Domini M. CC. LXXXV.

On voit dans une chapelle un tableau de la refurrection de Lazare, peint par Michel-Ange, dont le pape Clement VII. qui avoit été archevêque de Narbonne, fit préfent à cette églife. On dit qu'il avoit été deftiné pour l'églife de Marfeille, & qu'il en avoit fait faire un autre pour celle de Narbonne : mais que par méprise on envoya à Marseille celui qu'on devoit envoyer à Narbonne ; & à Narbonne celui qui étoit deftiné pour Marseille; & que chaque église trouva celui qu'elle avoit reçû fi beau, qu'elle ne voulut pas s'en défaifir. On nous montra auffi un crucifix, qu'on dit être celui dont parle Gregoire de Tours; mais il ne

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nous parut pas d'une fi grande antiquité. La facriftie eft fournie de tres-riches ornemens, & de beaucoup d'argenterie. Le foleil où l'on expofe le faint Sacrement, eft fi grand & fi maffif, qu'il faut huit preftres pour le porter.

L'aprés-dîné nous fumes au palais archiepifcopal, qui eft tresmagnifique, quoique d'une ancienne ftructure, & qui n'eft pas du goût d'aujourd'hui. On y voit plufieurs anciennes infcriptions Romaines; mais comme nous étions perfuadez qu'elles ont été ramaffées par plufieurs, nous ne les prîmes pas. Il y a dans le jardin un tombeau de marbre avec des figures antiques, qui font connoître qu'il eft d'un chrétien. La bibliotheque de monseigneur l'archevêque eft tres-riche, tous les livres font bien conditionnez. Cet illuftre prelat étoit abfent, mais nous ne laiffâmes pas de yoir fes archives, qui font tres-belles, tres bien fournies, & fort bien difpofées. Nous n'en avons point vû de meilleures dans aucune cathédrale, & où nous ayons plus puifé: auffi restâmesnous à Narbonne plus long-temps que nous n'avions crû. Monfieur Pesch chanoine de faint Paul nous accompagna pendant tout ce temps-là, & prenant plaifir de travailler avec nous, il nous épargnoit toute la peine qu'il pouvoit. Il nous fit même voir quelques manufcrits tres-rares, qui font à luy, dans lesquels nous trouvâmes des chofes qui nous firent plaifir, fur tout l'ancienne Verfion Italique du livre de Tobie & de celui d'Ester. Il nous donna une copie d'une lettre du roy faint Louis aux confuls de Narbonne, extraite de l'original qui eft dans les archives de cette ville, que je veux rapporter icy.

Ludovicus Dei gratia Francorum rex, dilectis fuis confulibus & univerfitati civitatis & burgi Narbonenfis falutem & dilectionem. Noveritis quod oblationem mille librarum Turonenfium nobis feu genti noftra, fcilicet Arnulpho de Curia Ferrandi militi, & magiftro Raymundo Marci clerico noftris, à vobis nomine nostro factam pro fubfidio noftri paffagii transmarini, plurimum gratam habentes, intelligimus gratis factam & ex mera liberalitate veftra, abfque omni prajudicio juris & libertatis veftræ ; nec ex hoc intendimus novam inducere confuetudinem, nec etiam vos propter hoc ad fimilem praftationem in pofterum obligari : in cujus rei teftimonium prafentibus litteris noftrum fecimus apponi figillum. Actum apud Aquas-mortuas die fovis ante feftum Afcenfionis Domini, anno ejufdem M. cc. feptuagefimo.

La chofe la plus curieufe qui foit dans Narbonne, c'eft le canal

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Perpignan.

qui donne communication de la ville à la mer. C'est un ouvrage des Romains, qui a cela de propre, qu'il s'entretient de luymême, fans fe combler, & fans qu'on foit obligé de le curer.

Aprés avoir travaillé dix jours à Narbonne, nous crûmes devoir interrompre nôtre travail, pour aller à Perpignan capitale du Rouffillon. La ville eft grande, peuplée & riche, mais affez mal bâtie. La citadelle paffe pour une des plus fortes qui foient dans l'europe. Elle eft bâtie de brique, & a trois enceintes de murailles. Elle reconnoît l'empereur Charles-quint pour fon fon. dateur. On nous montra même un endroit, où l'on dit que ce prince ayant trouvé un garde endormi, il le jetta dans le foffé, & fit la fentinelle en fa place. L'églife cathédrale confacrée à faint Jean-Baptifte, étoit originairement une abbaye de nôtre ordre, fondée, à ce qu'on prétend, du temps de Charlemagne, changée enfuite en collégiale, & enfin convertie en cathédrale par la tranflation du fiege épiscopal de la ville d'Helne à Perpignan, L'ancienne églife de S. Jean peut bien effectivement avoir été bâtie du temps de Charlemagne, mais la nouvelle ne fut commencée que l'an 1324. que Sancius roy de Majorque y pofa la premiere pierre, avec Beranger Bajulus évêque d'Helne. Elle eft tres-belle, grande, large & élevée, mais peu éclairée, quoiqu'il foir facile de luy donner du jour. Il eft vray que dans le Rouffillon & dans l'Espagne, où les illuminations font fort en vogue, on affecte de rendre les églifes obfcures pour les faire paroître, Tout le grand aurel eft fait d'un marbre blanc d'une beauté charmante: mais le travail furpaffe incomparablement la matiere. Le tréfor est derriere l'autel, on y conferve le chef de fainte Eulalie patrone de l'ancienne cathédrale d'Helne. Le foleil où l'on expose le faint Sacrement eft au moins de la hauteur d'un homme. Il y a trois cens ans qu'un marchand drapier le fit faire. Lorsqu'on veut l'exposer, on fait retirer par une machine la figure de Saint Jean, qui luy fair place. Le chœur eft de marbre, la chaire du prédicateur eft au bout tirant vers l'autel, le diacre y va chanter l'évangile à la grande meffe, & le celebrant n'entonne point le Credo, qu'il n'ait auparavant baifé le texte facré. L'habit de chœur des chanoines confifte en un furpelis, fur lequel il y a une grande croix devant & derriere, & un petit domino violet doublé de rouge, qui, comme je crois, a pris la place de l'aumuffe. Les chanoines & tous les ecclefiaftiques font fort confiderez, on ne leur fait point payer d'entrée, & fur chaque livre de viande qu'ils achetent, ils payent un fol moins que les féculiers.

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Auffi-tôt que nous fumes arrivez à Perpignan, nous fumes faluer monseigneur l'évêque, qui nous reçut fort bien, & nous promit de s'employer pour nous procurer l'entrée des archives de fa cathédrale. Le lendemain il nous fit dire la meffe dans fa chapelle, afin d'être plus en repos, nous donna à dîner, & nous fit voir les archives de fon abbaye de la Reale, qui dans fon origine n'étoit qu'une communauté de chanoines reguliers, qui vivoient fous un prieur. Elle fut enfuite érigée en abbaye, & enfin en collégiale. Le lendemain nous vîmes les archives de la cathédrale, dans lesquelles nous trouvâmes d'affez bonnes chofes. Nous fifmes ce jour-là tout ce que nous avions à faire à Perpignan.

Le jour fuivant nous prîmes le chemin de S. Michel de Coxan; mais en paffant à Saint Feliou, nous faluâmes monfieur l'abbé de Taverner & d'Ardenne, chanoine de Barcelone, & grand-vicaire de Gironne, homme d'érudition, qui travaille avec fuccès à donner au public une hiftoire exacte du Rouffillon. Il nous reçut avec beaucoup de bonté ; & comme fes papiers étoient à Perpignan, il envoya un laquais exprés pour les chercher, afin de nous communiquer tout ce qui pourroit fervir à nôtre deffein. Il nous retint tout le refte de la journée, & nous pria de repaffer chez luy à nôtre retour. Madame la comteffe de Roux fa proparente nous fit la même priere. C'eft une dame d'une grande pieté, qui communie tous les jours. Comme elle a beaucoup de religion, elle étoit bien-aife de nous voir.

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Pour Saint Michel de Coxan, c'eft une ancienne abbaye de s. Michel nôtre ordre, fondée du temps de l'empereur Charles-le-Chauve de Coxan, dans un lieu que l'amour feul de la croix peut rendre agreable.

Ce fut dans ce monaftere que S. Pierre Urfeole doge de Venise fe retira pour faire penitence. On voit encore fon tombeau fur les formes du choeur, & fes reliques dans une châffe de bois, qui eft confervée en une chapelle. Pour l'églife, elle n'eft ny belle ny ancienne: on ne peut y entrer que par le cloître, ce qui fait voir qu'autrefois les femmes n'y avoient point d'accès, puifqu'elles n'entroient pas dans le cloître.

L'abbaye de Saint Martin de Canigoux, fondée au commen- Canigoux, cement de l'onziéme fiecle par Guifroid comte de Cerdagne n'eft pas fort éloignée de-là; mais les chemins déteftables par où il faut paffer, font qu'on ne peut y arriver qu'en trois ou quatre heures de temps. Elle eft fituée fur une haute montagne dans une affreufe folitude, où il faut bien grimper pendant une heure pour y arriver. Sur la croupe de la montagne on trouve une petite ni

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