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dehors, qu'en dedans. L'autel eft tres-remarquable; car la table est une pierre de touche, qui a cinq pieds de long, & environ trois de large. La cellule de faint Guillaume joint à l'églife. Ses reliques furent trouvées il y a peu d'années dans un cercueil de plomb fous l'autel, avec une infcription qui marquoit l'année qu'elles y avoient été mifes. On voit auffi dans l'églife le tombeau des deux fœurs du Saint. Les cloîtres font jolis; il n'y a pas un feul pilier qui fe reffemble. Le réfectoire eft affez beau, & même la côte affez agreable, quoique d'ailleurs le défert foit affreux.

Le lendemain de la Touffaints nous partîmes d'Aniane pour aller à Clermont, & de là à Lodeve, où nous arrivâmes le même jour. La ville eft route environnée de montagnes, & n'a rien de confiderable. Son plus bel ornement eft la relique de S. Ful crand, le plus illuftre de fes évêques. Le corps de ce Saint étoitdemeuré incorruptible jufqu'en l'an 1573. que les Calvinistes s'étant rendus les maîtres de la ville, le prirent, le traînerent avec des cordes par la ville jufqu'à la boucherie; & l'ayant mis en pieces, le brûlerent. Une partie de fon ventre, & un de fes bras, échaperent à la rage de ces furieux. On voit encore dans cette partie de fon ventre, qui eft dans une belle châffe d'argent, les impreffions de la corde avec laquelle il fut traîné par les ruës. Le Saint avoit fondé une abbaye de nôtre ordre fous l'invocation de faint Sauveur, laquelle joint à la cathédrale ; en forte que de fa maison épifcopale, il defcendoit également dans l'église des moines & dans fa cathédrale:

De Lodeve nous fumes à l'abbaye de Nante, ancien mo naftere de nôtre ordre, qui dans fon origine n'étoit qu'un gros prieuré dépendant de l'abbaye de Vabres. Innocent II, l'érigea en abbaye, & Urbain V. la foûmit à l'abbaye de S: Victor, dont elle dépend encore aujourd'hui. Nous y vîmes une Bulle de Jules III. qui nous apprend que jufqu'à fon temps on avoit confervé dans ce monaftere, auffi-bien qu'à S. Victor, l'abstinence de la viande, les jeûnes réguliers, les veilles de la nuit, les chemifes de ferges, le dortoire & le réfectoire communs, la pauvreté; & la defappropriation même dans les offices clauftraux. Il s'en faut bien qu'aujourd'hui on garde tout cela. On n'en voit pas même une ombre : & cela fait voir que lorfqu'on vient à fe relâcher, on fait bien du chemin en tres peu de temps: L'églifer eft fort ancienne. On y garde les reliques d'un S. Sulpice confeffeur, qui fit pénitence dans une folitude à une lieuë & de

II. Partie

I

Lodeve

Nante

Millaud.

li

mie de Nante, où les religieux vont en proceffion aux fêtes de
Pâques, & l'invoquent avec fuccès dans les calamitez publi-
ques. Je ne fçai fi ce ne feroit point S. Sulpice Severe difciple de
S. Martin, qui (comme dit Genuade) s'étant laiffé furprendre
par
les Pélagiens fur la fin de fes jours, en fit une fevere péni-
tence, & s'impofa un filence de cinq ans : car cette folitude
n'eft pas extraordinairement éloignée du monaftere qu'il avoit
bâti dans l'Agennois.

De Nante nous fûmes à Millaud, petite ville de Roüergue, affez jolie, où il y a une abbaye de nôtre ordre fondée pour des religieufes par Hugues d'Arpajon, dont l'aîné de la famille a confervé ju qu'à nos jours le droit de patronage. Nous eûmes de l'abbeffe & des religieufes toute la fatisfaction que nous pouvions fouhaiter. Nous les quittâmes pour aller à une autre abbaye Nonenque. de filles beaucoup plus illuftre & plus ancienne, qui eft à quatre lieues de-là. C'eft l'abbaye de Nonenque, de l'ordre de Câteaux, fituée dans une folitude affreufe, au milieu des montagnes, fur le bord de la petite riviere d'Ennon, qui a donné son nom à l'abbaye, appellée en Latin Ennona, ou Ennonenfe, ou Elnonenfe monafterium. Elle fut fondée vers l'an 1145. par Guiraud abbé de Salvanese, à qui le fond d'Ennon avoit été donné quelques années auparavant. Madame de Toyras qui en eft abbeffe, eft une tres bonne dame, qui conduit ses religieuses avec beaucoup de fageffe, & nous retint chez elle le plus qu'il lui fut poffihle. Sa maifon eft tres- magnifique mais les religieufes n'y gardent point de clôture. A deux lieuës de-là est l'abbaye de Salvanele, Salvanese fondée par Ponce de Lairac, homme de qualité, qui touché d'une vive componction, s'appliqua à tous les exercices d'une tres-auftere pénitence; & embraffant la vie religieuse, ne voulut point d'autre titre que la qualité de Frere convers dans le monaftere dont il étoit fondateur, il y finit faintement fes jours. Nous avons fa vie écrite par un auteur contemporain nommé Hugues, qui a été donnée au public par monfieur Baluze.

Vabres,

Nous fumes de Salvanese à Vabres; ancienne & illuftre abbaye de nôtre ordre, érigée en évêché par Jean XXII. Elle fut entierement ruinée par les heretiques dans le temps que les moines fongeoient à fe féculariser. L'évêque eft un jeune prélat, qui eft fort aimé dans fon diocéfe. Il nous fit un accueil fort favorable, & nous fit l'honneur de nous faire manger à sa table. Comme fon églife avoir été ruinée de fond en comble, nous eûmes bien-tôt expedié ce que nous y avions à faire ; & après

diné nous primes le chemin d'Albi, où nous n'arrivâmes que le lendemain, après avoir eu toute la journée la pluye fur le dos.

Là ville d'Albi eft affez jolie. La cathédrale eft une des bel- Albi. les du Royaume, grande, large, élevée, & tres-bien décorée. Le chœur eft admirable; c'eft un des monumens de la magnificence de Louis d'Amboife, qui en étoit évêque, & qui fit faire auffi le rétable de vermeil doré, l'aigle, Fargenterie, les ornemens, qui n'ont pas leurs pareils dans aucune cathédrale du du Royaume- Nous vîmes dans la facriftie le calice d'or du défunt Roy de Pologne, que monfieur dc Seroni premier archevêque d'Albi acheta, & donna à fon églife. On voit à l'entrée de la cathédrale trois figures de Jacobins, dont l'un, qui étoit Inquifiteur, prefente à fainte Cecile fon évêque, que les Albigeois avoient chaffé. Ces heretiques firent un ravage univerfel dans tout le païs : ce qui n'a pas empêché pourtant qu'il n'y foit encore refté beaucoup d'anciens monumens. Les archives de Farchevêché font tres-belles, & en tres-bon ordre. On en eft redevable à monfieur de la Berchere archevêque de Narbonne, qui les a fait arranger. On voit dans celles du chapitre beaucoup d'anciens manufcrits, que nous trouvâmes la plupart ent tres-mauvais état. L'eftime que nous en fimes fit ouvrir les yeux aux chanoines, qui les méprifoient ; & ils nous promirent d'en avoir plus de foin à l'avenir La plupart font de 900. 800. ou* 700 ans. Il y a plufieurs beaux & anciens facramentaires, & quelques ouvrages des peres. Il y en a quelques-uns de plus rémais qui ne laiffent pas d'avoir leur merite. Parmi ceuxlà on peut mettre un manufcrit, qui contient quelques ouvrages de Ciceron, quelques livres d'Euclide & des traitez de mathématique, avec des figures. Ce livre a appartenu autrefois au pape Gregoire XI. & Clement VII. en fit prefent au duc de Berry & d'Auvergne; d'où il paffa entre les mains de Louisd'Amboife, qui le laissa à sa cathédrale avec fa bibliothèque. Il y a auffi un décret de Gratien embelli de plus de foixante mignatures d'une beauté charmante.

cens,

Après la cathédrale, la principale églife eft celle de S. Salvi. C'est une ancienne abbaye de chanoines féculiers, qui fur la fin de l'onzième fiecle, ou au commencement du douzième, prirent la régularité, qu'ils ont enfin quittée il y a environ deux cens ans. L'on y conferve les reliques de S Salvi évêque d'Albi dans une fort belle châffe, que fit faire l'illuftre Louis d'Amboife: mais le chef eft dans un beau buste, donné par le comte

Candelle,

Remond. Nous vêmes auffi dans la bibliothèque des Jacobins quelques manufcrits, dont les principaux font la vie de S. Pierre martyr, écrite de fon temps par Thomas patriarche de Jérusalem. Une main récente l'appelle Thomas de Lentino Siculus, five Thomas Agni de Perentino ; & un ouvrage d'Humbert, de Vitis Fratrum Predicatorum.

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Nous reftâmes cinq jours à Albi ; & comme nous y étions venus avec la pluye, nous en partîmes auffi avec la pluye, pour aller à Candelle abbaye de l'ordre de Cîteaux. Les religieux nous donnerent affez de marques de leur bon cœur : mais l'abbé ne fuivit pas leurs inclinations. Ainfi nous en fortîmes fans faire grande chofe. Nous allâmes de-là à Gaillac ancienne abbaye, fecularifée depuis plus d'un fiecle, auffi toûjours avec la pluye; Nous avions deffein d'aller de- là à Montauban ; mais les chemins étoient devenus fi impratiquables, que nous fumes obligez Cahors. de prendre la route de Cahors. Lorfque nous y arrivâmes, l'évêque n'y étoit point; mais il y vint le même foir: & comme il devoit partir le lendemain pour Paris, nous fûmes le faluer à la defcente de fon caroffe ; & le même foir nous vîmes fes archives. Il nous fit voir auffi fon palais épiscopal, qui eft magnifique; mais il eft redevable de cette magnificence à monfieur le Jay fon prédeceffeur, l'un des plus illuftres évêques de Cahors, qui l'a fait bâtir des propres deniers qu'il tenoit de fa famille, employant les grands revenus de fon évêché en aumônes, & en œuvres de pieté : auffi fa memoire eft en veneration dans tout fon diocése. Le lendemain nous vifitâmes les archives du chapitre. L'église cathédrale est ancienne, & d'une ftructure affez particuliere car les voûtes ne font ni plates, ni en berceau, mais en plufieurs dômes. On prétend qu'elle a été bâtie par S. Didier évêque de Cahors; mais je doute fort qu'elle ait cette antiquité. L'églife de l'abbaye de Souillac, & celle de l'abbaye de Solignac, font bâties de même maniere. Il y a quatre dômes dans la premiere, & fix dans la feconde, qui reconnoît S. Eloy pour fon fondateur. L'on fçait que dans Cahors il y a une Université érigée par Jean XXII. qui étoit natif de la ville, & qui fonda auffi la Chartreufe de la même ville.

Après avoir fait ce que nous avions à faire à Cahors, nous crûmes que la faifon avancée, & les pluyes continuelles qui rompoient tous les chemins, ne nous permettroient pas de voyager davantage, & qu'il falloit penfer à nôtre retraite, en faifant pourtant toûjours quelque chofe fur nôtre chemin. Nous prîmes donc

la route de Souillac,& de Soüillac nous fûmes à Obazine. C'eft une Obezine, ancienne & illuftre abbaye de l'ordre de Cîteaux, qui reconnoît pour fon fondateur & pour fon premier abbé S. Etienne d'Oba zine. Il y affembla deux communautez, une d'hommes, & une de filles, lefquelles fubfiftent encore aujourd'hui toutes deux. Mais après qu'elles fe furent aggrégées à l'ordre de Cîteaux, on transfera le monaftere des filles à un demi quart de lieuë de celui des hommes, dans un lieu fort étroit & fort affreux : mais l'amour de la Croix fait trouver tout beau. Ce Saint étoit du païs, d'une famille fort mediocre, qui depuis fix cens ans fub fifte toûjours dans la mediocrité ; en forte qu'aujourd'hui même il y a dans l'abbaye un domestique qui eft de fes defcendans. La maison de fon pere eft toûjours la même, & on voit encore la mets où le Saint fit fon premier miracle. Son tombeau est dans l'églife des moines, où les peuples viennent le réverer. On y voit la forme de l'ancien habit des religieux de l'ordre de Cîteaux, de leurs freres convers, & des religieuses.

D'Obazine nous prîmes la route de Tulle, ville épifcopale Tulle. du Limousin, affez jolie. La cathédrale, qui eft une ancienne abbaye de nôtre ordre dédiéé à S. Martin, eft fort belle. Je n'en dis rien ici, parce que monfieur Baluze qui en a fait l'histoire, a fans doute obfervé tout ce qui merite quelqu'attention. L'évêque & le chapitre nous firent ouvrir leurs archives, où nous travaillâmes fans difcontinuer. Le même jour qui étoit le premier dimanche de l'Avent, ce prélat fe retira chez les Jéfuites, pour y paffer ce faint temps dans les exercices de pieté, & s'édifier des bons exemples de ces peres. Le bruit commun dans la ville étoit, que c'étoit pour y demeurer toûjours; car il eft fort affectionné à la Societé, & tous les dimanches il dit la meffe aux congreganiftes.

De Tulle nous fumes à Limoges, où il y a trois abbayes, celle Limoges de S. Augustin de nôtre congregation, celle de S. Martin, où

il

y a aujourd'hui des Feuillans, & celle de la Regle fondée pour des religieufes Benedictines. La cathédrale dédiée à faint Etienne eft tres-belle, mais qui n'eft point achevée. Saint Martial eft une ancienne abbaye de nôtre ordre, qui fut fécularifée il y a plus de cent cinquante ans fur un faux expofé, & changée en une églife collegiale affez confiderable. On y conferve encore près de deux cens manufcrits, la plupart des faints peres, fur-tour de S. Ambroife, S. Jérôme, S. Auguftin, S. Gregoire, monumens du travail des faints moines Benedi&ins,

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