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recevoit des filles pour être religieufes, ce n'étoit point de quoi elle fe mettoit en peine, mais bien fi elles étoient vertueuses, on fi elles avoient affez de courage pour acquerir la vertu. Le bon naturel & la bonne éducation valoit mieux pour elle, que toutes les richefes du monde.

Elle vouloit

que la paix & l'union fuffent le grand trésor de la maison. Elle aimoit infiniment la pauvreté. La fienne s'étendoit fur toutes choses. Je ne pense point qu'on puiffe voir une perfonne plus pauvre ; elle l'étoit en fes habits, en fes petits meubles, en fa chambre, où les murailles n'étoient ni plâtrées, ni blanchies, mais de fimple brique. Elle n'avoit quafi rien à fon ufage; tout étoit commun, tant elle avoit peur du malheureux vice de proprieté. Elle ne manquoit point de bien expliquer à fes religieufes les obligations qu'elles avoient de bien garder les promeffes qu'elles avoient faites à Dieu, mais particulierement du vœu de pauvreté. Tout ce qu'elle a fait & établi dans fa communauté, fent la fimplicité & la pauvreté.

Elle étoit fi pure & fi chafte, qu'elle ne connoifoit point le vice contraire à cette vertu angelique ; & lorfque fes filles alloient pour lui communiquer leurs peines fur cette matiere, elle les in terrompoit au premier mot, leur difant : Ne m'en dites point da vantage, mes cheres fœurs ; car je fuis fi ignorante fur ce sujet, que je ne fçaurois vous fatisfaire en rien: je vous ferai venir un directeur fçavant fur toutes chofes, & je prierai Dieu pour vous. Comme je lui étois fort familiere & confidente, je lui demandai un jour, s'il étoit poffible qu'elle n'eût jamais eu de pensées ni de mouvemens contraires à la chafteté. Non jamais, ma sœur nôtre bon Dieu m'en a préservée, me dit-elle. Ne peut-on point croire que la grande exactitude qu'elle avoit à mortifier fes cing ·fens, lui avoit merité ce bonheur? Elle leur étoit fi cruelle, que jamais elle ne leur donnoit de relâche, & ne leur accordoit pas la moindre petite fatisfaction. Son corps étoit fon plus cruel enpas -nemi; elle ne lui donnoit aucun repos. Elle n'étoit moins mortifiée dans l'esprit ; & elle avoit tellement réduit l'un & l'autre, qu'elle étoit morte à tout avant que de mourir elle-même.

Elle faifoit tant de cas du filence, que l'obéissance feule pou voit la faire parler ; & on a rendu témoignage à l'abbaye de Fli nes, qu'en vingt ans qu'elle y a été, elle ne l'a jamais rompu. Quoiqu'elle y ait été maitresse des novices quelques années, jamais elle ne leur parloit à haute voix. Elle en ufoit de même étant fuperieure icy, & vouloit la même chose de ses religieufes,

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que

reprenant feverement celles qui parloient & rioient avec éclas. C'étoit bleffer la prunelle de fon œil, que de dire quelque parole méfeante en fa prefence. Elle donnoit rarement licence de parler, & vouloit qu'en la récréation même, on ne parlât de chofes bonnes & édifiantes, & toûjours avec modeftie. Elle étoit la régle vivante de fon monastere ; & il suffisoit de la voir, pour rentrer dans fon devoir. Elle aimoit beaucoup les filles de grand courage, qui ne s'amufoient point aux puerilitez & bagatelles : Il faut (difoit-elle) qu'une religieufe n'ait que la gloire de Dieu &fa propre perfection en vûë, & que ce foit-là fon but en tout ce qu'elle dit & en tout ce qu'elle fait. Elle ne fouffroit point qu'on trouvât à redire aux régles & aux conftitutions; elle leur en expliquoit les endroits & chapitres les plus obfcurs avec tant de lumiere & de connoiffance, qu'elle ne leur en laissoit nul doute. C'étoit avec une ferveur extrême qu'elle les excitoit à bien Templir tous leurs devoirs. Elle les aimoit toutes d'un amour tendre & charitable: mais auffi elle vouloit qu'elles fissent leur devoir.

Sa charité pour le prochain étoit fi grande, qu'elle n'avoit rien à elle. Lorfqu'on lui faifoit connoître que quelques personnes étoient en neceffité, elle entroit dans leurs peines & afflictions, jufqu'à en verfer des larmes en abondance. Nôtre Seigneur lui faifoit fouvent connoître les périls & dangers des personnes abfentes. Comme elle étoit fort réservée fur les dons de Dieu, nous ne sçavons que ce qu'elle en a pû cacher. Un jour la fervante du monaftere revenant du marché chargée de provisions, fut arrêtée dans une ruë, où perfonne ne demeuroit, par des foldats tresinfolens, qui la mirent en péril de perdre & l'honneur & la vie ; nôtre bonne mere étoit à travailler à quelques affaires dans fa chambre ; nôtre Seigneur lui fit connoître le péril où étoit cette pauvre fille : au même inftant, elle demanda les prieres de fes religieufes pour le fecours de cette fervante, qui étoit dans un extrême danger. La pauvre créature revint comme une fille demiemorte, difant aux tourrieres le péril qu'elle avoit échapé, fans fçavoir comment,aßûrant qu'elle avoit été entourée de quelques foldats tout furieux, qui au moment qu'elle croyoit être perduë, s'étoient retirez fans la toucher. Lorfque fes religieufes avoient quelques afflictions, elles alloient trouver leur bonne mere, qui les recevoit tres-amiablement ; & connoiffant par infpirations ce qui leur faifoit de la peine, les confoloit, & remedioit à leurs maux avant qu'elles euffent ouvert la bouche. Des perfonnes de confi

deration, tant religieux, que prêtres féculiers, font venus fouvent prendre ses avis & confeils, dont ils fe font toûjours bien trouvez. Elle étoit vraiment la mere des pauvres & des affligez, les confolant & affiftant dans leurs befoins. On peut dire que perfonne ne s'eft retiré d'elle, que tres-content & fatisfait.

Quelque peu de temps avant la démission de notre vigilante abbeffe, pour empêcher que tout ce qu'elle avoit établi & enseigné pour la perfection de fes religieufes & le bon ordre de ce monaftere, ne s'oubliât point à la longueur du temps, elle compofa un livre, qu'elle appella le Livre de l'Ordre, où elle écrivit toutes les cérémonies de l'office divin & de la messe, des proceffions & toutes les actions régulieres ; comme il faut les faire, avec toutes les circonstances & les devoirs de chaque officiere en general & en particulieer; les exercices des jeunes profeffes, & la maniere dont elles doivent les faire ; enfin depuis la premiere action du jour & de la nuit jusqu'à la derniere, tout y est marqué & specifié ; & elle a bien recommandé de n'en jamais négliger la moindre circonftance, disant que c'eft en cela que confifte la fimplicité de l'ordre, pour laquelle faint Bernard promettoit le paradis à fes religieux. Il n'y a donc rien de petit dans la religion (difoit-elle) puifque la récompenfe eft Dieu même ? Il suffit que vos actions foient animées de l'Esprit de Dieu, pour être d'une valeur infinie, quelques petites qu'elles foient.

&

Nous n'avons point de miracles à écrire de nôtre reverende & bonne mere. Elle a été plus admirable en s'humiliant, s'anéantiffant & fe mortifiant, que fi elle avoit refufcité des morts, rendu la vûë aux aveugles : car pour faire ces miracles, il n'en coûte rien à la nature, c'eft Dieu feul qui les opere ; mais pour mener une vie de croix & de mort, telle nôtre reverende mere que pratiquée, c'est la nature prévenuë & aidée de la grace qui agit.

Nous joignons ici une Lettre que cette vertueufe abbesse écrivit à toutes ses cheres filles peu de temps avant de perdre la vûë, que nous avons copiée met pour mot de l'original.

A mes tres-cheres Filles, & tres - amées Confœurs; toutes les Benedictines de nôtre Réforme, fpecialement celles de ce monaftere de la Paix NôtreDame à Douay, falut.

MES

ES TRES-CHERES ET DEVOTES FILLES,

Depuis que nôtre bon Dieu daigna me placer en la fainte religion, je me fuis par fa fainte grace toûjours étudiée de reconnoître en quoi confiftoit le vrai efprit de mon inftitut ; & comme j'entendois fouvent ès lectures communes, que mon glorieux pere Saint Bernard promettoit avec tant d'assurance le ciel fans purgatoire aux religieux de fon ordre, qui perfeveroient humbles & obéiffans en la fimplicité de l'ordre, je restois éprise d'un defir de connoître vraiment en quoi confiftoit cette fimplicité de l'ordre, tant recommandée : car pour l'humilité & l'obedience, la fainte Régle le dit, jufqu'au dégré le plus éminent de la perfection. Ce defir, dis-je, me preffoit à en faire recherche vers les perfonnes bien duites en l'obfervance réguliere par longue experience, doc trine & bonne vie ; & en vingt ans que j'ai vêcu en nôtre honorable monaftere de Flines en ces defirs & recherches, je n'ai pû apprendre autres chofes, finon que les fimplicitez de l'ordre font les cérémonies, les fujections, & la pratique journaliere & ordinaire en ce qui concerne l'exterieur, joint à l'efprit interieur & fimplicitez. Le continuel defir de la parfaite obfervance de cet inf titut premier, m'a preßée d'entreprendre une chofe fi difficile, que la réformation de nous-même, & de celles qui poussées de même fentiment, nous voudroient fuivre.

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Notre bon Dieu nous favorifant en forte, que l'an mil fix cens quatre, fous l'a protection de Notre-Dame de Lorette, s'eft donné commencement à cette réforme, où je fus choisie (quoique tresincapable) pour premiere fuperieure, bien qu'à mon tres - grand regret. Me trouvant donc obligée de donner commencement à cette réforme, & inftruire ou je defirois d'apprendre, après la régle &conftitutions que prétendions fuivre au pied de la lettre, je commençai à rechercher cette fimplicité de l'ordre par un bon reglement. Mais comme nôtre résolution étoit de changer d'ordre,

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du

&le divin office, non toutefois de régle, l'on ne peut exprimer les difficultez qu'avons experimentées, & combien d'années nous avons été contraintes de faire & défaire, changer & renoüer, jufqu'à ce qu'ayons trouvé la vraye pratique de nôtre inftitut, avec toutes les cérémonies & obfervations monaftiques, joint aux rubriques Romaines, à laquelle nos conftitutions nous obligent ; avec ce le défaut de cloître & lieux réguliers, qui donnent gran. de aide pour le reglement ; n'ayant toutefois laiẞé d'inftruire, felon le peu de talens que Dieu m'a donné, à faire observer & gar der l'ordre, felon que les temps & lieux l'ont pû permettre. Mais l'experience nous ayant fait voir, qu'il eft tres-difficile d'imprimer ès memoires de la jeuneffe tant de particularite entierement neceffaires, fans que petit-a-petit elles ne fe perdent, & aillent à rien, au détriment & totale ruine de la réforme ; j'ai jugé néceffaire de faire rédiger par écrit toute en particulier nôtre generale obfervance & pratique, conforme à nôtre fainte Régle & conftitutions, que tâchons outre ce obferver à la lettre. Ce font feulement cérémonies ; & comme j'ai dit cy-devant, la fimplicité de l'ordre pour le reglement exterieur. Quant à l'interieur qui doit être conjoint, c'est une autre direction, plus le propre Saint Efprit que des créatures. L'on ne laissera toutefois celles qui en auront la charge, de faire leurs devoirs, d'inftruire & diriger la jeunesse, particulierement pour les y aider à profiter en efprit, trouvant des bons auteurs en abondance pour en tirer inftruction. Je ne laiffe de recommander autant que la pratique m'a fait voir être néceffaire, que les commençantes foient con duites par la vie purgative, & par la vraye imitation de la vie, mort & paffion de notre Seigneur JESUS-CHRIST. Si l'on en trouve aucunes conduites par autres chemins, leurs humilitez, obediences, & mortifications de leurs passions, feront assez voir, étant bien éprouvées, fi Dieu les conduit, ou quelque efprit étranger. Fe Supplie tres-affectueusement toutes mes cheres filles de cette maifon de la Paix en Douay, & celles des autres cloîtres de nôtre réforme, qui defireront fe conformer & obferver ce reglement, pour laquelle j'ai travaillé à faire mettre en bon ordre ces écrits, les avoir pour agréables ; & qu'elles ne laiffent em parer leur cœur de tiédeur, qui leur rendroit diffioile le joug du Seigneur, qu'elles ont embrasé volontairement, & de fi grand courage, puifque par l'obfervance fidéle de chofes fi faciles faint Bernard leur promet le ciel fans purgatoire. Que cette promeffe, je vous prie, vous roidiffe le courage, & vous donne cœur,

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