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ne m'attendrit pas moins que le ridicule me réjouit. Elle est un peu longue, reprit Asmodée; mais elle est trop intéressante pour vous ennuyer. D'ailleurs, je vous l'avouerai, tout Démon que je suis je me lasse de suivre la mort; laissonsla chercher de nouvelles victimes. Je le veux bien, dit Zambullo: je suis plus curieux d'entendre l'histoire dont vous me faites fête, que de voir périr tous les humains l'un après l'autre. Alors le boiteux en commença le récit en ces termes, après avoir transporté l'écolier sur une des plus hautes maisons de la rue d'Alcala.

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N jeune cavalier de Tolède, suivi de son valet de chambre, s'éloignait à grandes journées du lieu de sa naissance, pour éviter les suites d'une tragique aventure. Il était à deux petites lieues de la ville de Valence, lorsqu'à l'entrée d'un bois il rencontra une dame qui descendait d'un carrosse avec précipitation: aucun voile ne couvrait son visage, qui était d'une éclatante beauté ; et cette charmante personne paraissait si troublée, que le cavalier, jugeant qu'elle avait besoin de secours, ne manqua pas de lui offrir celui de sa valeur.

Généreux inconnu, lui dit la dame, je ne refuserai point l'offre que vous me faites: il semble que le ciel vous ait envoyé ici pour détourner le malheur que je crains. Deux cavaliers se sont donné rendez-vous dans ce bois ; je viens de les y voir entrer tout à l'heure, ils vont se battre ; suivezmoi, s'il vous plaît; venez m'aider à les séparer. En achevant ces mots, elle s'avança dans le bois, et le Tolédan, après avoir laissé son cheval à son valet, se hâta de la joindre.

A peine eurent-ils fait cent pas. qu'ils entendirent un bruit d'épées, et bientôt ils découvrirent entre les arbres deux hommes qui se battaient avec fureur. Le Tolédan courut à eux pour les séparer ; et en étant venu à bout par ses prières et par ses efforts, il leur demanda le sujet de leur différend.

Brave inconnu, lui dit un des deux cavaliers, je m'appelle don Fadrique de Mendoce, et mon ennemi se nomme don Alvaro Ponce. Nous aimons dona Theodora, cette dame que vous accompagnez: elle a toujours fait peu d'attention à nos soins, et quelques galanteries que nous ayons pu imaginer pour lui plaire, la cruelle ne nous en a pas mieux traités. Pour moi, j'avais dessein de continuer à la servir, malgré son indifférence; mais mon rival, au lieu de prendre le même parti, s'est avisé de me faire un appel.

Il est vrai, interrompit don Alvaro, que j'ai jugé à propos d'en user ainsi : je crois que si je n'avais point de rival dona Theodora pourrait m'écouter ; je veux donc tàcher d'ôter la vie à don Fadrique, pour me défaire d'un homme qui s'oppose à mon bonheur.

Seigneur cavalier, dit alors le Tolédan, je n'approuve point votre combat; il offense dona Theodora; on saura bientôt dans le royaume de Valence que vous vous serez battus pour elle; l'honneur de votre dame vous doit être

plus cher que votre repos et votre vie. D'ailleurs, quel fruit le vainqueur peut-il attendre de sa victoire? Après avoir exposé la réputation de sa maîtresse, pense-t-il qu'elle le verra d'un œil plus favorable? Quel aveuglement! Croyezmoi, faites plutôt sur vous, l'un et l'autre, un effort plus digne des noms que vous portez rendez-vous maîtres de vos transports furieux, et, par un serment inviolable, engagez-vous tous deux à souscrire à l'accommodement que j'ai à vous proposer; votre querelle peut se terminer sans qu'il en coûte de sang.

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Eh! de quelle manière? s'écria don Alvaro. Il faut que cette dame se déclare, répliqua le Tolédan; qu'elle fasse

choix de don Fadrique ou de vous, et que l'amant sacrifié, loin de s'armer contre son rival, lui laisse le champ libre. J'y consens, dit don Alvaro, et j'en jure par tout ce qu'il y a de plus sacré : que dona Theodora se détermine, qu'elle me préfère, si elle veut, mon rival; cette préférence me sera moins insupportable que l'affreuse incertitude où je suis. Et moi, dit à son tour don Fadrique, j'en atteste le ciel si ce divin objet que j'adore ne prononce point en ma faveur, je vais m'éloigner de ses charmes; et si je ne puis les oublier, du moins je ne les verrai plus.

Alors le Tolédan se tournant vers dona Theodora : Madame, lui dit-il, c'est à vous de parler : vous pouvez, d'un seul mot, désarmer ces deux rivaux; vous n'avez qu'à nommer celui dont vous voulez récompenser la constance. Seigneur cavalier, répondit la dame, cherchez un autre tempérament pour les accorder. Pourquoi me rendre la victime de leur accommodement ? J'estime, à la vérité, don Fadrique et don Alvaro; mais je ne les aime point; et il n'est pas juste que, pour prévenir l'atteinte que leur combat pourrait porter à ma gloire, je donne des espérances que mon cœur ne saurait avouer.

La feinte n'est plus de saison, madame, reprit le Tolédan; il faut, s'il vous plaît, vous déclarer. Quoique ces deux cavaliers soient également bien faits, je suis assuré que vous avez plus d'inclination pour l'un que pour l'autre : je m'en fie à la frayeur mortelle dont je vous ai vue agitée. Vous expliquez mal cette frayeur, repartit dona Theodora la perte de l'un ou de l'autre de ces cavaliers me toucherait sans doute, et je me la reprocherais sans cesse, quoique je n'en fusse que la cause innocente; mais si je vous ai paru alarmée, sachez que le péril qui menace ma réputation a fait toute ma crainte.

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Don Alvaro Ponce, qui était naturellement brutal, perdit

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