Imágenes de páginas
PDF
EPUB

suggérer. J'espère que ce seigneur ne formera plus de pareils attentats, et que ses galanteries cesseront désormais d'occuper ma vigilance. Je rends grâce au ciel que vous ayez, par votre fermeté, évité le piége qu'il vous avait tendu. J'en pleure de joie. Je suis ravie qu'il n'ait tiré aucun avantage de son artifice; car les grands seigneurs se font un jeu de séduire de jeunes personnes. La plupart même de ceux qui se piquent le plus de probité ne s'en font pas le moindre scrupule, comme si ce n'était pas une mauvaise action que de déshonorer des familles. Je ne dis pas absolument que le comte soit de ce caractère, ni qu'il ait envie de vous tromper; il ne faut pas toujours juger mal son prochain; peut-être a-t-il des vues légitimes. Quoiqu'il soit d'un rang à prétendre aux premiers partis de la cour, votre beauté peut lui avoir fait prendre la résolution de vous épouser. Je me souviens même que dans les réponses qu'il a faites à mes reproches, il m'a laissé entrevoir cela.

Que dites-vous, ma bonne? interrompit Léonor. S'il avait formé ce dessein, il n'aurait déjà demandée à mon père, qui ne me refuserait point à un homme de sa condition. Ce que vous dites est juste, reprit la gouvernante; j'entre dans ce sentiment; la démarche du comte est suspecte, ou plutôt ses intentions ne sauraient être bonnes; peu s'en faut que je ne retourne encore sur mes pas pour lui dire de nouvelles injures. Non, ma bonne, repartit Léonor; il vaut mieux oublier ce qui s'est passé, et nous venger par le mépris. Il est vrai, dit la dame Marcelle; je crois que c'est le meilleur parti; vous êtes plus raisonnable que moi. Mais d'un autre côté, ne jugerions-nous point mal des sentiments du comte? que savons-nous s'il n'en use pas ainsi par délicatesse? Avant que d'obtenir l'aveu d'un père, il veut peut-être vous rendre de longs services, mériter de vous plaire, s'assurer de votre cœur, afin que votre union ait plus de charmes.

Si cela était, ma fille, serait-ce un grand crime que de l'écouter? Découvrez-moi votre pensée; ma tendresse vous est connue ; vous sentez-vous de l'inclination pour le comte, ou auriez-vous de la répugnance à l'épouser?

A cette malicieuse question, la trop sincère Léonor baissa les yeux en rougissant, et avoua qu'elle n'avait nul éloignement pour lui; mais, comme sa modestie l'empêchait de s'expliquer plus ouvertement, la duègne la pressa de nouveau de ne lui rien déguiser. Enfin, elle se rendit aux affectueuses démonstrations de la gouvernante. Ma bonne, lui dit-elle, puisque vous voulez que je vous parle confidemment, apprenez que Belflor m'a paru digne d'être aimé. Je l'ai trouvé si bien fait, et j'en ai ouï parler si avantageusement, que je n'ai pu me défendre d'être sensible à ses galanteries. L'attention infatigable que vous avez à les traverser m'a souvent fait beaucoup de peine, et je vous avouerai qu'en secret je l'ai plaint quelquefois, et dédommagé, par mes soupirs, des maux que votre vigilance lui fait souffrir. Je vous dirai même qu'en ce moment, au lieu de le haïr après son action téméraire, mon cœur, malgré moi, l'excuse, et rejette sa faute sur votre sévérité.

Ma fille, reprit la gouvernante, puisque vous me donnez lieu de croire que sa recherche vous serait agréable, je veux vous ménager cet amant. Je suis très-sensible, repartit Léonor en s'attendrissant, au service que vous voulez me rendre. Quand le comte ne tiendrait pas un des premiers rangs à la cour, quand il ne serait qu'un simple cavalier, je le préférerais à tous les autres hommes; mais ne nous flattons point: Belflor est un grand seigneur, destiné sans doute pour une des plus riches héritières de la monarchie. N'attendons pas qu'il se borne à la fille de don Luis, qui n'a qu'une fortune médiocre à lui offrir. Non, non, ajouta-t-elle, il n'a pas pour moi des sentiments si favorables; il ne me

regarde pas comme une personne qui mérite de porter son nom; il ne cherche qu'à m'offenser.

Eh! pourquoi, dit la duègne, voulez-vous qu'il ne vous aime pas assez pour vous épouser? l'amour fait tous les jours de plus grands miracles. Il semble, à vous entendre. que le ciel ait mis entre le comte et vous une distance infinie. Faites-vous plus de justice, Léonor; il ne s'abaissera point en unissant sa destinée à la vôtre : vous êtes d'une ancienne noblesse, et votre alliance ne saurait le faire rougir. Puisque vous avez du penchant pour lui, continuat-elle, il faut que je lui parle; je veux approfondir ses vues; et si elles sont telles qu'elles doivent être, je le flatterai de quelque espérance. Gardez-vous-en bien, s'écria Léonor; je ne suis point d'avis que vous l'alliez chercher; s'il me soupçonnait d'avoir quelque part à cette démarche, il cesserait de m'estimer. Oh! je suis plus adroite que vous ne pensez, répliqua la dame Marcelle. Je commencerai par lui reprocher d'avoir eu dessein de vous séduire. Il ne manquera pas de vouloir se justifier; je l'écouterai; je le verrai venir enfin, ma fille, laissez-moi faire, je ménagerai votre honneur comme le mien.

La duègne sortit à l'entrée de la nuit. Elle trouva Belflor aux environs de la maison de don Luis. Elle lui rendit compte de l'entretien qu'elle avait eu avec sa maîtresse, et n'oublia pas de lui vanter avec quelle adresse elle avait découvert qu'il en était aimé. Rien ne pouvait être plus agréable au comte que cette découverte ; aussi en remerciat-il la dame Marcelle dans les termes les plus vifs : c'est-àdire qu'il promit de lui livrer dès le lendemain les mille pistoles; et il se répondit à lui-même du succès de son entreprise, parce qu'il savait bien qu'une fille prévenue est à moitié séduite. Après cela, s'étant séparés fort satisfaits l'un de l'autre, la duègne retourna au logis.

:

Léonor, qui l'attendait avec inquiétude, Jui demanda ce qu'elle avait à lui annoncer. La meilleure nouvelle que vous puissiez apprendre, lui répondit la gouvernante : j'ai vu le comte. Je vous le disais bien, ma fille, ses intentions ne sont pas criminelles il n'a point d'autre but que de se marier avec vous; il me l'a juré par tout ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes. Je ne me suis pas rendue à cela, comme vous pouvez penser. Si vous êtes dans cette disposition, lui ai-je dit, pourquoi ne faites-vous pas auprès de don Luis la démarche ordinaire?

Ah! ma chère Marcelle, m'a-t-il répondu sans paraître embarrassé de cette demande, approuveriez-vous que, sans savoir de quel œil me regarde Léonor, et ne suivant que les transports d'un aveugle amour, j'allasse tyranniquement l'obtenir de son père? Non, son repos m'est plus cher que mes désirs, et je suis trop honnête homme pour m'exposer à faire son malheur.

Pendant qu'il parlait de la sorte, continua la duègne, je l'observais avec une extrême attention, et j'employais mon expérience à démêler dans ses yeux s'il était effectivement épris de tout l'amour qu'il m'exprimait. Que vous dirai-je? il m'a paru pénétré d'une véritable passion; j'en ai senti une joie que j'ai bien eu de la peine à lui cacher: néanmoins, lorsque j'ai été persuadée de sa sincérité, j'ai cru que, pour vous assurer un amant de cette importance, il était à propos de lui laisser entrevoir vos sentiments: Seigneur, lui ai-je dit, Léonor n'a point d'aversion pour vous; je sais qu'elle vous estime; et, autant que j'en puis juger, son cœur ne gémira pas de votre recherche. Grand Dieu ! s'est-il alors écrié tout transporté de joie, qu'entends-je ? Est-il possible que la charmante Léonor soit dans une disposition si favorable pour moi? Que ne vous dois-je point, obligeante Marcelle, de m'avoir tiré d'une si longue

incertitude? Je suis d'autant plus ravi de cette nouvelle, que c'est vous qui me l'annoncez; vous qui, toujours révoltée contre ma tendresse, m'avez tant fait souffrir de maux! Mais achevez mon bonheur, ma chère Marcelle; faites-moi parler à la divine Léonor; je veux lui donner ma foi, et lui jurer devant vous que je ne serai jamais qu'à elle.

A ce discours, poursuivit la gouvernante, il en a ajouté d'autres encore plus touchants. Enfin, ma fille, il m'a priée d'une manière si pressante de lui procurer un entretien secret avec vous, que je n'ai pu me défendre de le lui promettre. Eh! pourquoi lui avez-vous fait cette promesse? s'écria Léonor avec quelque émotion. Une fille sage, vous me l'avez dit cent fois, doit absolument éviter ces conversations, qui ne sauraient être que dangereuses. Je demeure d'accord de vous l'avoir dit, répliqua la duègne, et c'est une trèsbonne maxime; mais il vous est permis de ne la pas suivre dans cette occasion, puisque vous pouvez regarder le comte comme votre mari. Il ne l'est point encore, repartit Léonor, et je ne le dois pas voir que mon père n'ait agréé sa recherche.

La dame Marcelle, en ce moment, se repentit d'avoir si bien élevé une fille dont elle avait tant de peine à vaincre la retenue. Voulant toutefois en venir à bout, à quelque prix que ce fût : Ma chère Léonor, reprit-elle, je m'applaudis de vous voir si réservée. Heureux fruit de mes soins! Vous avez mis à profit toutes les leçons que je vous ai données. Je suis charmée de mon ouvrage; mais, ma fille, vous avez enchéri sur ce que je vous ai enseigné : vous outrez ma morale; je trouve votre vertu un peu trop sauvage. De quelque sévérité que je me pique, je n'approuve point une farouche sagesse qui s'arme indifféremment contre le crime et l'innocence. Une fille ne cesse pas d'être ver

« AnteriorContinuar »