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vernante, je vais vous faire ce récit avec, toute la sincérité dont je suis capable.

Alors elle lui débita avec un art infini tous les discours qu'elle avait fait accroire à Léonor que le comte lui avait tenus. Elle le peignit avec les plus belles couleurs ; c'était un amant tendre, délicat et sincère. Comme elle ne pouvait s'écarter de la vérité au dénoûment, elle fut obligée de la dire; mais elle s'étendit sur les raisons que l'on avait eues de faire à son insu ce mariage secret, et elle leur donna un si bon tour, qu'elle apaisa la fureur de don Luis. Elle s'en aperçut bien; et pour achever d'adoucir le vieillard Seigneur, lui dit-elle, voilà ce que vous vouliez savoir : punissez-nous présentement; plongez votre épée dans le sein de Léonor. Mais qu'est-ce que je dis? Léonor est innocente, elle n'a fait que suivre les conseils d'une personne que vous avez chargée de sa conduite; c'est à moi seule que vos coups doivent s'adresser; c'est moi qui ai introduit le comte dans l'appartement de votre fille; c'est moi qui ai formé les nœuds qui les lient. J'ai fermé les yeux sur ce qu'il y avait d'irrégulier dans un engagement que vous n'autorisiez pas, pour vous assurer un gendre dont vous savez que la faveur est le canal par où coulent aujourd'hui toutes les grâces de la cour; je n'ai envisagé que le bonheur de Léonor, et l'avantage que votre famille pourrait tirer d'une si belle alliance; l'excès de mon zèle m'a fait trahir mon devoir.

Pendant que l'artificieuse Marcelle parlait ainsi, sa maîtresse ne s'épargnait point à pleurer, et elle fit paraître une si vive douleur,.que le bon vieillard n'y put résister. Il en fut attendri sa colère se changea en compassion; il laissa tomber son épée; et dépouillant l'air d'un père irrité : Ah! ma fille, s'écria-t-il les larmes aux yeux, que l'amour est une passion funeste! Hélas! vous ne savez pas toutes les

raisons que vous avez de vous affliger. La honte seule que vous cause la présence d'un père qui vous surprend excite vos pleurs en ce moment; vous ne prévoyez pas encore tous les sujets de douleur que votre amant vous prépare peut-être. Et vous, imprudente Marcelle, qu'avez-vous fait ? Dans quel précipice nous jette votre zèle indiscret pour ma famille ! J'avoue que l'alliance d'un homme tel que le comte a pu vous éblouir, et c'est ce qui vous sauve dans mon esprit; mais, malheureuse que vous êtes, ne fallait-il pas vous défier d'un amant de ce caractère? Plus il a de crédit et de faveur, plus vous deviez être en garde contre lui. S'il ne se fait pas de scrupule de manquer de foi à Léonor, quel parti faudra-t-il que je prenne? Implorerai-je le secours des lois? Une personne de son rang saura bien se mettre à l'abri de leur sévérité. Je veux bien que, fidèle à ses serments, il ait envie de tenir parole à ma fille; si le roi, comme il vous l'a dit a dessein de lui faire épouser une autre dame, il est à craindre que ce prince ne l'y oblige par son autorité.

Oh! pour l'y obliger, seigneur, interrompit Léonor, ce n'est pas ce qui doit nous alarmer. Le comte nous a bien assuré que le roi ne fera pas une si grande violence à ses sentiments. J'en suis persuadée, dit la dame Marcelle : outre que ce monarque aime trop son favori pour exercer sur lui cette tyrannie, il est trop généreux pour vouloir causer un déplaisir mortel au vaillant don Luis de Cespèdes, qui a donné tous ses beaux jours au service de l'État.

Fasse le ciel, reprit le vieillard en soupirant, que mes craintes soient vaines! Je vais chez le comte lui demander un éclaircissement là-dessus ; les yeux d'un père sont pénétrants, je verrai jusqu'au fond de son âme. Si je le trouve dans la disposition que je souhaite, je vous pardonnerai le passé; mais, ajouta-t-il d'un ton plus ferme, si dans ses

discours je démêle un cœur perfide, vous irez toutes deux dans une retraite pleurer votre imprudence le reste de vos jours. A ces mots il ramassa son épée; et les laissant se remettre de la frayeur qu'il leur avait causée, il remonta dans son appartement pour s'habiller.

Asmodée, en cet endroit 'de son récit, fut interrompu par l'écolier, qui lui dit : Quelque intéressante que soit l'histoire que vous me racontez, une chose que j'aperçois m'empêche de vous écouter aussi attentivement que je le voudrais. Je découvre dans une maison une femme qui me paraît gentille, entre un jeune homme et un vieillard. Ils boivent tous trois apparemment des liqueurs exquises; et Landis que le cavalier suranné embrasse la dame, la friponne, par derrière, donne une de ses mains à baiser au jeune homme, qui sans doute est son galant. Tout au contraire,

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répondit le boiteux c'est son mari, et l'autre son amant.

Ce vieillard est un homme de conséquence, un commandeur de l'ordre militaire de Calatrava. Il se ruine pour cette femme, dont l'époux a une petite charge à la cour: elle fait des caresses par intérêt à son vieux soupirant, et des infidélités en faveur de son mari, par inclination.

il

Ce tableau est joli, répliqua Zambullo. L'époux ne seraitpas Français ? Non, repartit le Diable, il est Espagnol. Oh ! la bonne ville de Madrid ne laisse pas d'avoir aussi dans ses murs des maris débonnaires; mais ils n'y fourmillent pas comme dans celle de Paris, qui sans contredit est la cité du monde la plus fertile en pareils habitants. Pardon, seigneur Asmodée, dit don Cleophas, si j'ai coupé le fil de l'histoire de Léonor: continuez-la, je vous prie; elle m'attache infiniment : j'y trouve des nuances de séduction qui m'enlèvent. Le Démon la reprit ainsi :

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ON Luis sortit de bon matin, et se rendit chez le comte, qui, ne croyant pas avoir été découvert, fut surpris de cette visite. I alla au-devant du vieillard; et après l'avoir accablé d'embrassades: Que j'ai de joie, ditil, de voir ici le seigneur don Luis! Viendrait-il m'offrir l'occasion de le servir? Seigneur, lui

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